Remplacer son employé par une IA, est-ce légal?
Un employeur peut-il motiver le licenciement d’un travailleur par son remplacement par une intelligence artificielle (IA) ou un robot?
Depuis 2014, la législation belge prévoit une obligation de motivation du licenciement d’un travailleur en contrat à durée indéterminée de plus de six mois. En effet, la convention collective (CCT) 109 impose à l’employeur de motiver le licenciement en raison soit de l’aptitude ou du comportement du travailleur, soit des nécessités du fonctionnement de l’entreprise.
Vu les derniers développements en la matière (en Corée, on compterait près de un robot pour 10 travailleurs et en Belgique, selon une étude de Manpower, 29% des entreprises belges disposeraient d’outils qui tournent avec des IA analytiques qui apprennent), un employeur peut-il valablement justifier le licenciement d’un travailleur par son remplacement par une IA ou un robot?
Dans l’état actuel des choses, force est de reconnaître que la mise en place d’une IA ou de robots ressort sans aucun doute d’une restructuration de l’entreprise dont on pourra défendre qu’elle répond aux nécessités de son fonctionnement en vue, par exemple, d’accélérer le traitement de commandes, d’optimiser des déplacements, d’augmenter la rentabilité, etc.
L’employeur pourrait donc valablement motiver le licenciement par le remplacement du travailleur par une IA ou un robot dans le cadre d’une réorganisation de l’entreprise et de la mise en place d’une nouvelle technologie, ce que la jurisprudence a déjà confirmé en matière de licenciement abusif.
Rester raisonnable
Est-ce à dire qu’aucun garde-fou n’existe? Non, car l’employeur doit non seulement justifier d’un motif lié aux nécessités du fonctionnement de l’entreprise et que ce motif soit réel mais en outre, faut-il qu’en licenciant le travailleur, il adopte le comportement d’un employeur normal et raisonnable. L’exercice du droit de licencier peut donc être contrôlé même en présence d’un motif valable à la lumière de ce que serait l’exercice de ce droit par un employeur normal et raisonnable. Ce qui ressort de l’appréciation marginale du tribunal.
Ainsi, licencier un travailleur pour ce motif à quelques mois de la pension pourrait être considéré comme manifestement déraisonnable, l’employeur pouvant attendre simplement son départ à la retraite. En cas de licenciement reconnu comme “manifestement déraisonnable” l’employé pourrait obtenir de 3 à 17 semaines de rémunération en plus de son indemnité de préavis.
Mais force est de reconnaître que ce contrôle reste limité hors des cas très spécifiques. Compte tenu du coût pour la société de la perte de nombreux emplois (jusque 30%) et pas forcément remplacés par les nouveaux emplois en lien avec les IA (responsable éthique, cognicien, data miner, analyste, etc.), d’aucuns pourraient s’interroger sur l’opportunité d’un durcissement sur la motivation des licenciements.
Ceci étant dit, dans la mesure où cela peut menacer l’emploi ou son organisation, la mise en œuvre de l’IA ou de robots requiert d’informer et de consulter au préalable le conseil d’entreprise ou la délégation syndicale. Sans oublier qu’un avis du comité pour la prévention et la protection au travail est normalement requis, vu les impacts potentiels pour le bien-être au travail.
A mon sens, le développement d’un plan d’urgence interne doit aussi être envisagé pour répondre à tout mauvais fonctionnement. Le non-respect de ces obligations pourrait permettre au travailleur de réclamer des dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Christophe Delmarcelle,
Cabinet DEL-Law Juge suppléant au tribunal du travail
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