Notre enseignement doit-il s’adapter au monde du travail ?

La FEB a publié en septembre un livre blanc intitulé "Jobs of the future : corriger l’inadéquation entre l’enseignement et le marché du travail. © Getty Images

Voici quelques semaines, la FEB a publié un livre blanc sur les manières de corriger l’inadéquation entre l’enseignement et le marché du travail. Même si le terme est sans doute exagéré, il n’en demeure pas moins qu’une collaboration plus étroite entre les entreprises et nos différents réseaux d’enseignement est souhaitable pour permettre une meilleure insertion socio-professionnelle.

À la fin du mois de septembre, dans le cadre du projet Young Talent in Action qu’elle a lancé en 2015, avec l’aide de l’Union européenne, pour stimuler l’insertion socio-professionnelle, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) a publié un intéressant livre blanc intitulé Jobs of the future : corriger l’inadéquation entre l’enseignement et le marché du travail. Ce travail fouillé tente de comprendre pourquoi 44% des jeunes estiment que l’école ne les prépare pas suffisamment au marché du travail, selon une enquête menée l’an dernier par iVox, à la demande de cette même FEB. Quatre-vingt-deux pour cent des employeurs partagent cette même conviction.

Le débat n’est pas neuf, loin s’en faut, mais il prend évidemment une tournure cruciale dans le contexte de la transformation digitale et de la transition énergétique, dans un marché de l’emploi très tendu et marqué par une guerre des talents, une pénurie de main-d’œuvre et de compétences, ainsi qu’un vieillissement de nos personnes actives.

Trop lent

Même si l’on peut regretter son caractère parfois un peu trop flamand (le financement de l’enseignement supérieur, le marché du travail et les métiers en pénurie ne sont pas les mêmes qu’en Wallonie), le livre blanc met le doigt sur un certain nombre de problèmes : une collaboration entre entreprises et enseignement qui n’est pas assez intensive, le niveau cognitif des diplômés qui diminue, l’enseignement trop lent pour suivre l’évolution du marché du travail, les stages qui ne sont pas toujours dignes d’intérêt, l’apprentissage tout au long de la vie qui est crucial, mais qui n’est pas soutenu par les pouvoirs publics ni suffisamment mis en évidence dans les entreprises, la “durée de vie” des diplômes qui est plus courte qu’avant, etc.Anne Grzyb

La question de la lenteur de l’enseignement, souvent comparé à un gros paquebot, n’est pas nouvelle. “Beaucoup de constats mentionnés dans le livre blanc sont connus depuis des lustres, assène Laura Beltrame, senior expert capital humain chez Agoria, la fédération de l’industrie technologique. Mais maintenant, il faut arrêter de tergiverser et passer à la vitesse supérieure. Il est temps de s’attaquer aux référentiels des formations et d’ajuster les politiques. La formation professionnelle et l’enseignement ont tendance à travailler en vase clos. Espérons que les nouveaux exécutifs de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Région wallonne parviendront à s’articuler sur cette question. Jusqu’ici, dans l’enseignement au sens large, les démarches sont unilatérales et similaires, quelle que soit la filière. C’est une erreur. Chaque périmètre de secteur est différent. Un soudeur aujourd’hui n’est en rien comparable avec un soudeur d’il y a 20 ans. Le temps de mettre tout le monde autour de la table, il faut entre deux et trois ans pour changer un référentiel. Il faut donc au minimum six ou sept ans avant que les premiers diplômés nouvelle formule ne sortent. C’est trop lent. Sans oublier qu’il est fort probable que le profil soit déjà dépassé. Nous voyons cela lors des Worldskills, le mondial des métiers organisé tous les deux ans. Nous décrochons des médailles d’excellence, mais jamais d’or. Pourquoi ? Parce que nos référentiels sont belges et diffèrent des européens et des internationaux. L’enseignement chinois, lui, est à la page. Il s’adapte constamment et ses élèves raflent les médailles d’or…”

Au niveau de l’enseignement supérieur, on réfute la notion de lenteur ou d’obsolescence plus rapide des diplômes. “Derrière le diplôme, il y a, de fait, des connaissances et des compétences qui ont une ‘durée de vie limitée’, explique Anne Grzyb, directrice de l’IUFC, l’institut de formation continue de l’UCLouvain. Après quelques années, ces connaissances doivent être mises à jour. C’est le rôle, de plus en plus prégnant, de la formation continue et de l’apprentissage tout au long de la vie. Par contre, un diplôme académique apporte des compétences transversales. Elles sont d’ailleurs mises en avant dans le livre blanc. Cette transversalité appelle du temps long. Selon le Forum Economique Mondial (WEF), les compétences les plus recherchées par les entreprises sont la pensée critique, la créativité, la résolution de problèmes complexes, l’intelligence émotionnelle, le people management, etc. Ces compétences-là n’ont pas de date de péremption ! Dans l’enseignement supérieur, on travaille sur ces compétences. Le premier diplôme permet d’ancrer d’autres formations. Il ne suffit pas, mais c’est un socle. Les universités comme la mienne doivent donc donner des outils à leurs diplômés pour continuer à apprendre tout au long de leur vie.”

Derrière le diplôme, il y a des connaissances et des compétences qui ont une durée de vie limitée.
Anne Grzyb

Anne Grzyb

directrice de l’IUFC

Le besoin de compétences est tel qu’aujourd’hui, les entreprises compensent partiellement leurs besoins en créant des académies internes. Certaines vont même s’ouvrir aux non-employés, comme celle de NSI en région liégeoise. Une entreprise devient donc, par la force des choses, un opérateur de formation.

Quid des stages et des profs ?

À l’UCLouvain, les diplômés se disent globalement satisfaits de leur apprentissage (94% en 2022). Par contre, le degré de satisfaction tombe à 68% quand on évoque la préparation à la vie professionnelle. Il est demandé, en vrac, plus de références à des situations réalistes, plus de vues sur les compétences demandées, plus d’hétérogénéité dans les personnalités académiques qui leur parlent, plus de stages, etc. Plus de stages, c’est aussi ce que réclament les jeunes interrogés dans l’enquête de la FEB. Soixante pour cent d’entre eux trouvent que l’apprentissage sur le lieu de travail devrait être obligatoire dans tous les cursus. Agoria pense la même chose.

“Il est crucial de permettre aux étudiants de se familiariser avec les réalités du terrain, poursuit Laura Beltrame. Le stage n’est pas la solution à tout et sa définition n’est pas toujours claire : observation ou réelle mise en pratique ? Pour l’enseignement qualifiant, nous prônons un séjour en entreprise de longue durée qui soit intégré en fin de cursus, voire dans une année complémentaire. C’est le sens des projets QTRIO lancés sous l’égide de la Fondation pour l’enseignement. Par exemple, des étudiants en électromécanique vont accomplir une septième année supplémentaire, dont les deux tiers se passeront dans un environnement d’entreprise. C’est une formule agile, dite triale, puisqu’elle allie entreprises, centres de compétences et écoles.”

Il est crucial de permettre aux étudiants de se familiariser avec les réalités du terrain.
Laura Beltrame

Laura Beltrame

Agoria

Les alumni de l’UCLouvain demandent une plus grande hétérogénéité du corps académique. Le livre blanc de la FEB évoque, outre leur pénurie, la relative déconnexion des réalités du terrain des enseignants dans leur ensemble. Chez Agoria, on se demande si l’arrivée annoncée du CDI dans l’enseignement ne serait pas l’occasion de favoriser la mixité des carrières.

“Pourquoi un prof du qualifiant ne devrait-il faire que cela ? s’interroge Laura Beltrame. À l’Ifapme (Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes mntreprises, ndlr) et dans les universités, des professionnels comme des chefs d’entreprise, des juges ou des avocats donnent cours. Pourquoi le qualifiant se passe-t-il de ce genre de compétences ? Comment voulez-vous qu’un professeur oriente ou forme convenablement un élève s’il n’a pas la moindre idée de la réalité des entreprises ? Les métiers techniques sont mal vus par les parents ou les grands-parents pour les mêmes raisons de déconnexion ou d’image désuète. Toucher l’enseignant, c’est sensibiliser tous les élèves qu’il va former. C’est le sens du projet ‘Entrapprendre’, que nous poussons via la Fondation pour l’enseignement. Il s’agit de permettre aux enseignants du qualifiant, sur base volontaire, de passer deux jours en immersion en entreprise. Dans la mesure du possible, c’est une démarche qu’il faudrait étendre à tout le monde pour bien saisir le gouffre qu’il y a parfois entre les besoins du terrain et les choses enseignées. Il faut aussi sensibiliser les professeurs du tronc commun et corriger leurs éventuelles idées préconçues sur les métiers techniques. Histoire qu’ils orientent convenablement les élèves.”

Collaboration

Enfin, il apparaît évident que la collaboration entre le monde académique et de l’enseignement et celui des entreprises n’est pas assez poussée. On peut comprendre la réticence de certains à trop faire pénétrer le monde du travail dans les référentiels utilisés. Il n’a jamais été question que les universités produisent des diplômés plug & play. Par ailleurs, certains métiers techniques ne s’apprennent toujours pas dans les écoles, mais uniquement sur le tas.

“Il n’y a, de fait, pas assez de connexions formelles entre étudiants, enseignants et entreprises, conclut Anne Grzyb. À l’UCLouvain, nous avons des advisory boards dans les facultés qui donnent leur avis sur les cursus, mais ils manquent clairement de contacts formels. C’est dès lors plus compliqué d’avoir une vision plus macro sur l’offre de formation et son évolution. Je suis tellement convaincue qu’avec le soutien de l’Union européenne, l’institut universitaire de formation continue va déployer un Future Skills Council dans le domaine des transitions écologique et digitale. Les premières réunions auront lieu au début de l’an prochain. L’idée est de co-construire de nouvelles formations continues et de mettre à jour de façon perpétuelle l’offre existante avec tous les acteurs du marché du travail : entreprises privées et publiques, organismes de formation, associations professionnelles, etc. Le but est de permettre une montée en compétences de tous les apprenants en lien avec les besoins.”

Enfin, il reste à évoquer les modes de financement totalement obsolètes de notre enseignement supérieur. Sans vraiment caricaturer, il est parfois plus rentable d’être très actif dans des filières qui conduisent au chômage que dans des métiers d’avenir. En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’offre est trop fragmentée et peu rationalisée. Même si l’obligation de supprimer un master quand on désire en ajouter un va dans le bon sens. Il y a trop de concurrence, et tout en promouvant la diversité et la qualité de l’offre, il devrait être possible de rationaliser. Enfin, vu l’importance qu’elle prend aujourd’hui, il devient fondamental que les pouvoirs publics apportent leur soutien à la formation continue. Et pas uniquement quand elle touche des demandeurs d’emploi…

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