Les coûts salariaux jouent au yo-yo

Ce n’est pas un scoop : la Belgique présente les coûts salariaux par heure prestée quasi les plus élevés de l’Union européenne. Ce constat posé, notre pays présente de très fortes disparités entre les secteurs et les régions. Nos entreprises ne sont pas toujours conscientes qu’elles peuvent agir sur les facteurs qui font exploser ces coûts.

La compétitivité de nos entreprises est un leitmotiv dans toutes les négociations entre partenaires sociaux. Un certain nombre de paramètres, comme l’indexation des salaires et les charges sociales très élevées, reviennent, comme une antienne, dans ces discussions.

Pour objectiver cette compétitivité, il est utile de comparer, par exemple, le coût salarial horaire moyen par heure prestée affiché par chacun des membres de l’Union européenne. Eurostat, l’Office européen des statistiques, s’est penché sur la question. Pour l’année 2022, il est arrivé à un coût salarial horaire moyen par heure prestée de 30,50 euros pour l’ensemble de l’UE et de 34,30 euros pour la seule zone euro. Il y a évidemment des énormes écarts entre les Etats membres : de 8,20 euros pour la Bulgarie à 50,70 au Luxembourg, le leader européen, en passant par les 12,50 euros de la Pologne. Dans ce classement, la Belgique se classe troisième (le Danemark est deuxième avec 46,80 euros) avec 43,50 euros et 23,10 % de coûts non liés au salaire. Inutile de chercher ailleurs le choix de certaines délocalisations ou, comme c’est à la mode ces dernières semaines, la peur du retour du plombier polonais en Belgique.

Il est intéressant de constater que, selon Eurostat, ce coût salarial a augmenté chez nous de 10 euros depuis 2008, une hausse qui est aussi parmi les plus élevées d’Europe. Dans ce classement, la Belgique fait moins bien que ses voisins directs mais l’écart n’est pas gigantesque : la France affiche un coût de 40,80 euros, les Pays-Bas de 40,50 et l’Allemagne de 39,50. C’est d’ailleurs outre-Quiévrain que le pourcentage de coûts non liés au salaire sont les plus importants : 32 %.

“Le salaire horaire moyen par heure prestée est une indication pour l’employeur d’un secteur et pas 
pour un candidat.” – Heidi 
Verlinden (Securex)

Un quadruple !

Securex, le prestataire de services RH, et Starfish Consultancy, un cabinet spécialisé dans l’analyse des données RH basé à Gand, se sont penchés sur la compétitivité entre nos entreprises à partir de l’écart du coût salarial. Ils ont analysé les données 2022 de Securex, soit celles de 22.389 entreprises du secteur privé situées dans les trois Régions du pays. Les dirigeants d’entreprise et les sociétés de plus de mille personnes ont été exclues de l’étude. Pour chaque entreprise, ils ont déterminé un coût salarial moyen par heure prestée en divisant le coût salarial total par le nombre total d’heures prestées au cours d’une même période par TOUS les travailleurs (donc aussi les malades ou les gens en vacances).

Pour que les choses soient claires, par coût salarial, on entend la somme des salaires bruts (en ce y compris le pécule de vacances, le bonus salarial, les avantages en nature, etc.), des charges patronales (ONSS, chèques-repas et écochèques, assurances groupe et hospitalisation, etc.) et des indemnités nettes (indemnité de télétravail, indemnité vélo, etc.). De cette somme, les deux partenaires ont déduit les réductions patronales (groupe-cible, réductions fiscales, etc.) et les déductions nettes (par exemple, la part du travailleur dans l’avantage en nature). Ils ont ainsi pu déterminer un coût salarial horaire moyen par heure prestée pour chacun des secteurs étudiés. Ainsi que l’écart de ce coût salarial : il compare les 10 % des entreprises ayant le coût plus élevé aux 10 % ayant le coût le moins élevé.

Les résultats sont assez édifiants : tous secteurs confondus, les entreprises ayant le coût salarial le plus élevé paient 4,4 fois plus que celles dont le coût est le plus faible. En d’autres termes, il y a un énorme gouffre entre les 10,64 euros des unes et les 46,82 des autres ! Cet écart du coût salarial varie fortement d’un secteur à l’autre.

La construction arrive en tête des disparités du coût salarial (7,39) devant les garages, les secteurs connexes à l’industrie, l’horticulture et l’agriculture. A l’inverse, le commerce de détail indépendant (3,3) et l’industrie chimique (3,17) ont des coûts plus uniformes. Comment expliquer de tels écarts, notamment dans la construction ?

“C’est un mélange de différents facteurs, souligne Heidi ­Verlinden, research project ­manager chez Securex. Pour la construction, il y a de fortes disparités, par ordre d’importance, au niveau des salaires bruts, du nombre de CDD et de contrats d’apprentissage, du taux d’absentéisme de longue durée et du nombre de licenciements. Je voudrais quand même préciser que le salaire horaire moyen par heure prestée que nous avons déterminé est une indication pour l’employeur d’un secteur et pas pour un candidat. Il ne doit pas se baser sur ce chiffre pour définir un éventuel salaire puisque d’autres paramètres interviennent. Ce coût n’est pas propre au secteur mais aux politiques des entreprises. Elles ne sont pas monolithiques et présentent des approches de gestion salariale très différentes. Parallèlement, les entreprises payant des salaires élevés disposent encore de marges de manœuvre pour réduire leurs coûts avec des interventions ciblées.”

“Par contre, ce coût salarial horaire moyen par heure prestée peut servir de benchmark au secteur lui-même, renchérit Joëlle Boutefeu, senior consultant RH chez Securex. Il permet à une entreprise de se situer par rapport à ses concurrentes mais aussi d’imaginer et de trouver des marges d’amélioration.”

Encore l’absentéisme !

Securex et Starfish ont déterminé que les entreprises peuvent agir sur un quart des facteurs qui déterminent l’écart salarial et gonflent leur coût salarial horaire moyen.

Premièrement, le type de contrat. Un CDD coûte proportionnellement plus cher qu’un CDI et le recours à des contrats d’apprentissage permet aussi de réduire la charge (Securex donne un exemple d’une réduction de 2,2 euros par heure prestée si dans une entreprise de 10 travailleurs, un suit un programme d’apprentissage).

Deuxièmement, la rétention du personnel. La charge salariale moyenne est également plus élevée dans les entreprises où les départs sont plus nombreux. En effet, en cas de résiliation du contrat, l’employeur doit débourser de l’argent au profit du travailleur: les pécules de vacances, par exemple, mais aussi les éventuelles indemnités de licenciement. Troisièmement, le salaire brut. C’est l’élément le plus impactant mais aussi celui sur lequel les entreprises ont le moins d’influence vu la conjoncture de l’emploi en Belgique, la chasse aux talents et la pénurie de main-d’œuvre. Seule l’optimisation salariale (plan cafétéria, voiture de société, etc.) permet d’adoucir le coût salarial.

Enfin, l’absentéisme. C’est un élément essentiel et son importance démontre, là aussi, l’impérieuse nécessité de la mise en place d’une véritable politique de prévention des risques psycho- sociaux et de bien-être au travail. Plus d’absents impliquent plus d’heures non prestées et donc logiquement une augmentation du coût salarial horaire moyen par heure prestée ! Les absences de courte durée sont, en effet, couvertes par le salaire garanti. Au bout d’un mois, les mutuelles entrent en action. Mais, et l’étude le souligne pleinement, les coûts salariaux ne s’arrêtent pas pour autant ! Peu d’entreprises en sont vraiment conscientes.

“Le coût salarial horaire moyen 
par heure prestée permet à une entreprise de 
se situer par 
rapport à ses concurrentes.” – Joëlle 
Boutefeu (Securex)

“Beaucoup pensent qu’au bout d’un mois, elles sont tranquilles et certaines pensent même économiser un salaire, confie Heidi ­Verlinden. Mais rien n’est plus faux ! Quand les mutuelles intervien­nent, les employeurs continuent à payer l’assurance groupe, l’assurance hospitalisation, la voiture de société, les frais comme le téléphone ou la ligne internet, la prime d’ancienneté, etc. Il faut rajouter à cela les heures supplémentaires des employés qui restent et le coût, plus élevé, lié au remplacement via un CDD. Et je n’évoque même pas le coût du recrutement en lui-même, la formation du remplaçant et la baisse de productivité de l’entreprise en général.”

Horeca et flexi-jobs

L’horeca n’apparaît ni dans le tableau du coût salarial moyen ni dans celui de l’écart salarial. Et pour cause, il est en dehors du top 20. L’écart salarial y est de 2,17. Ce secteur démontre l’importance du travail étudiant et des flexi-jobs pour abaisser les coûts salariaux.

“A la base, les salaires dans l’horeca ne sont pas très élevés même si la conjoncture actuelle dans le secteur les pousse un peu vers le haut, souligne Joëlle Boutefeu. On y trouve peu d’optimisation salariale ou d’avantages qui peuvent grever les coûts. En outre, dans notre étude, c’est le secteur où la part du travail étudiant et des flexi-jobs est la plus importante, soit respectivement 29 % et 16 % en moyenne. Enfin, l’écart du coût salarial y est faible car la taille des entreprises est fort comparable.”

Signalons encore qu’au niveau régional, c’est à Bruxelles que le coût salarial horaire moyen par heure prestée est le plus élevé avec 27,15 euros.

“Cela s’explique par la présence de grandes entreprises dans la capitale, qui versent en moyenne des salaires bruts plus élevés, ont moins recours aux flexi-jobs et où les licenciements et les ruptures de contrat sont plus fréquents, conclut Jeroen Naudt, managing partner de Starfish Consultancy. Les entreprises en Flandre suivent de près avec 26,10 euros par heure prestée. Les entreprises wallonnes ont, quant à elles, le coût salarial le plus bas par heure travaillée, avec une moyenne de 20,86 euros. En revanche, l’écart du coût salarial est le plus élevé entre les entreprises wallonnes, avec un facteur de 5,06.”