La vente n’est pas un talent, c’est un entraînement

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Je suis toujours surpris de voir le nombre de commerciaux qui entament un processus commercial “la fleur au fusil”, comprenez sans la moindre préparation ni le moindre entraînement, sous prétexte que la vente est avant tout une affaire de relations humaines, comme s’il suffisait, pour réussir, d’avoir de la tchatche et un bon karma.

Je ne les blâme pas. Cette tendance à l’improvisation, à la limite de l’inconscience, est souvent le produit d’un système qui pousse les entreprises à s’intéresser davantage à ce qu’elles vendent plutôt qu’à comment elles le vendent. Sur le terrain, les commerciaux sont régulièrement formés aux produits, aux services, aux innovations, aux campagnes marketing… mais beaucoup plus rarement à l’art de vendre. Une fois par an pour les plus organisées. Tous les trois ans, dans le meilleur des cas, pour la moyenne. Ces formations, généralement brèves et denses, regorgent de bons conseils, mais restent pauvres en mise en pratique et en impact durable.

Et pour cause : on n’apprend pas à vendre dans un séminaire annuel, ni en suivant pendant une semaine le meilleur vendeur de la boîte. David Sandler, le père de la célèbre méthode de vente éponyme, en a même fait le titre de son premier livre : You Can’t Teach a Kid to Ride a Bike at a Seminar.

Pratiquer et encore pratiquer

Toutes disciplines confondues, la condition clé du succès tient en un seul mot : la pratique. Et entendons-nous bien, quand je parle de pratique, je n’inclus pas les rendez-vous ou les entretiens quotidiens que les commerciaux gèrent tous les jours, mais bien de la pratique organisée, délibérée et focalisée, en dehors des meetings clients.

Un bon joueur d’échecs n’improvise pas. Il connaît ses ouvertures par cœur. Il les a travaillées, rejouées jusqu’à l’obsession, et pas uniquement en compétition. Il sait quel coup jouer après chaque mouvement adverse. Il anticipe, il enchaîne. C’est pour cela que les parties de blitz sont aussi spectaculaires que fascinantes : on assiste à une joute rapide de réflexes durement acquis et longuement préparés. Là où un amateur se fige devant un coup inconnu, un maître avance, sans trembler. Il a déjà vécu ce moment, mille fois, dans sa tête et possède déjà plusieurs possibilités de réponses parmi lesquelles il doit simplement choisir la plus efficace.

Il en va strictement de même pour la vente. Quand un vendeur sait quoi répondre et comment anticiper pour contrôler la suite d’une vente, il conduit son client avec aisance et fluidité. Et s’il ne sait pas comment accueillir une réaction de son client, il est fort probable qu’il perde le contrôle et abdique (“On se rappelle ? Je vous envoie une offre ? N’hésitez pas à revenir vers moi si besoin !”). Car face à l’inconnu, notre cerveau ne choisit généralement pas le courage, mais bien la fuite. Le plus ironique ? Il y a en réalité moins de variations dans les réactions possibles d’un client ou d’un prospect que sur un échiquier. Les démarrages, les demandes, les questions, les objections, les doutes, les freins éventuels se ressemblent et se répètent. Prévisibles, mais trop rarement anticipés. Un excellent vendeur a toujours un coup d’avance sur chacune de ces situations.

Comment se préparer utilement ?

D’abord, fixez-vous non pas un, mais plusieurs objectifs clairs, prioritaires et secondaires. Certes, vous voulez le deal, mais que pouvez-vous obtenir d’autre ? Si l’affaire ne se concluait pas tout de suite, qu’est-ce qui la ferait quand même progresser ? Un engagement partiel ? Un prochain rendez-vous validé ? Une mise en relation ? Un conseil ? Il y a un éventail d’issues possibles pour que le jeu continue, même si la partie actuelle tourne court.

Ensuite, évaluez tous les scénarios probables à chaque interaction avec votre client depuis la première poignée de main jusqu’à sa fidélisation totale et élaborez les meilleures réponses possibles. Ne vous contentez pas d’écrire le script idéal de la transaction normale. Préparez aussi toutes vos réactions face à des comportements différents et surprenants.

Évaluez tous les scénarios probables à chaque interaction avec votre client depuis la première poignée de main jusqu’à sa fidélisation totale.

Par exemple, que n’ai-je pas vu de commerciaux complètement désarmés face à un prospect qui les accueille en rendez-vous avec un sévère “Je ne peux plus vous consacrer que 15 minutes, j’ai une urgence !”. Bien que plus rare, cette réaction est néanmoins prévisible. Sans entraînement, le vendeur bafouille, tente de concentrer sa vente de 60 minutes sur 10 et se retrouve dehors, sans aucune autre forme de procès. Mieux préparé, un bon sales dira, par exemple, “D’accord, ça arrive ! On va déjà prendre 5 minutes ensemble pour refixer ce rendez-vous à un meilleur moment et on utilisera les 10 minutes qui suivent pour le préparer ensemble. Prenons nos agendas !”.
Il en va de même pour chaque phase de la vente : savoir quelles questions poser, les avoir préparées, améliorées, répétées, savoir comment réagir face à leurs réponses les plus probables, positives ou négatives. Un autre exemple : bon nombre de commerciaux sont tétanisés à l’idée de demander son budget au client parce qu’ils redoutent de provoquer une réaction négative, sans pour autant s’y être jamais préparés. C’est parce qu’ils ne savent pas quoi répondre à “mon budget ne vous regarde pas !” qu’ils évitent soigneusement la question, au risque de partir sur des solutions qui ne correspondront pas au client.

Rien ne vaut la pratique

Et enfin, pratiquez, pratiquez, pratiquez ! Pour obtenir une équipe commerciale qui gagne, il vous faudra avoir prévu et répété les justes réactions à chaque interaction dans tout le processus : accueil, découverte, argumentation, objections et négociations, conclusion, suivi. Et établir votre recette et vos variations comme autant d’options possibles et disponibles, non pas en un seul script linéaire, mais en itérations, toujours orientées vers la même obsession du résultat : faire avancer le client dans la réalisation de son projet.

Et oui, il faudra répéter les gestes, les mots, les postures. En équipe, régulièrement, en simulation, avec acharnement. Vous allez devoir jouer à vendre avant de vendre et vous entraîner sur chaque échange critique. J’invite ceux qui se plaignent que les mises en situation ne sont pas naturelles à considérer qu’il n’est pas non plus “naturel” pour un tennisman de répéter 100 fois un revers ou 100 fois un service, seul, sur un court. Il est évidemment bien plus naturel de jouer contre un véritable adversaire. Mais sans ces répétitions préalables, c’est l’adversaire qui gagne, à tous les coups.

L’improvisation, elle, est réservée à ceux qui, par une pratique délibérée, longue et couronnée de succès ont atteint peu à peu le stade de la “compétence inconsciente”. Regardez les pratiquants de talent qui réussirent des improvisations incroyables, qu’ils soient acteurs, musiciens de jazz ou sportifs de très haut niveau… Tous ont en commun deux choses : l’obstination de l’entraînement et l’humilité de n’être jamais totalement satisfaits de leurs résultats. Alors, à ce stade, si vous pensez encore pouvoir compter seulement sur l’improvisation pour mieux vendre, votre problème réside peut-être moins dans votre technique que dans votre ego.

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