Global Human Capital Trends 2024 de Deloitte: la durabilité doit aussi être humaine!

© Getty Images

Chaque année, Deloitte analyse les grandes tendances mondiales des ressources humaines. La version 2024 de ces Global Human Capital Trends met l’accent sur la confiance et la durabilité humaine, deux éléments étroitement imbriqués. En Belgique, plus de la moitié des employés estiment que leur entreprise ne les aide pas à progresser.

Chaque année, Deloitte, le spécialiste mondial de la consultance et de l’audit, analyse les grandes tendances en termes de capital humain dans les entreprises du monde entier. Un travail toujours très attendu, vu le vaste échantillon de CEO et de DRH sondés (14.000 dans 95 pays, cette année), à quoi s’ajou­tent des interviews ainsi que des enquêtes spécifiques auprès d’employés, pour mesurer les éventuelles différences de perception. Nous vous livrons la version 2024 de ces Global Human Capital Trends (HCT 24) en exclusivité, avec un focus sur le comportement, adapté ou non, des entreprises belges.

Deux mille vingt-quatre est une année charnière à bien des égards. La sortie de pandémie a provoqué de solides changements parmi les travailleurs, en Belgique comme ailleurs : recherche d’un meilleur équilibre vie privée-vie pro­fessionnelle, besoin de sens, place moins importante du travail dans ce qui les définit en tant qu’individu, besoin de sécurité psychologique et de bien-être au travail, etc. Amplifiés au sein des jeunes générations, ces phénomènes se produisent parallèlement à une pénurie de main-d’œuvre et de talents et à l’émergence d’outils digitaux et de l’intelligence artificielle. L’ensem­ble charrie son lot de demandes, qu’il faut satisfaire d’une façon ou d’une autre, mais aussi d’inquiétudes et de problèmes : forte prévalence des burn-out et des problèmes de santé mentale, élimination (ou pas) de postes par l’IA, besoin de renouveler ou d’adapter de plus en plus rapidement ses compétences dans un monde volatil et en mouvement perpétuel, etc.

Changement de paradigme

Jusqu’à aujourd’hui, les entreprises se sont attelées à développer des systèmes qui nous rendent meilleurs au travail et qui permettent de mesurer la productivité. Jusqu’à aujourd’hui, l’homme a été considéré comme une ressource dont on s’est échiné à mesurer l’engagement et à définir ce qu’il apportait à l’entreprise. L’heure est venue de réaliser un shift culturel majeur que Deloitte appelle la durabilité humaine, soit le degré avec lequel une entreprise crée de la valeur pour son employé en tant qu’être humain, au profit d’un bien-être accru, de compétences plus acérées et d’une meilleure employabilité, lui proposant des possibilités de progression de carrière, plus de diversité et d’égalité et un sentiment accru d’appartenance et de sens à son travail. Cette durabilité humaine induit un cercle vertueux, de meilleurs aboutissements humains se combinant avec de meilleurs résultats pour l’entreprise. C’est le règne de la performance humaine. En ce sens, ce constat, mondial, rejoint le lien réalisé il y a peu (lire le Trends-Tendances du 21 mars) par Securex et GraydonCreditSafe en Belgique : investir dans la qualité de vie des employés, c’est aussi, pour une entreprise, investir dans sa propre réussite et sa croissance.

Dans les HCT 24, Deloitte a interrogé les employés belges à ce sujet: seuls 46 % estiment être dans une position plus favorable que quand ils ont commencé. En d’autres termes, une majorité estime que leur entreprise ne les fait pas progresser. Un résultat un poil meilleur que la moyenne mondiale.

“Je dirais que nous sommes un peu moins mauvais que les autres, sourit Yves Van Durme, EMEA Human Sustainability Leader chez Deloitte et co-auteur des HCT 24. La relation doit devenir réciproque. Oui, je dois apporter quelque chose à mon entreprise mais au-delà du contrat de travail que tout le monde respecte, que va-t-elle m’apporter de plus ou faire pour moi ? Le monde du travail n’est plus monolithique, il est varié, digital et en perpétuelle évolution. Au lieu d’engagement, il faut parler aujourd’hui de confiance mutuelle, de valeur du collaborateur plutôt que de sa productivité ; il faut parler de micro-cultures d’entreprise plutôt que de culture tout court. Le message doit être consistant et les attentes des uns, alignées avec celles des autres.”

Cette performance humaine suppose de trouver une façon plus intelligente et utile de mesurer la performance individuelle et la valeur de l’employé que la simple productivité. Une majorité des Belges le pensent (54 %), mais seuls 19 % le vivent au quotidien.

Cocréation

Les micro-cultures dont parle Yves Van Durme sont un autre fil rouge des HCT 24. A bien des égards, elles ressemblent à s’y méprendre aux cercles autonomes des entreprises libérées. Deloitte tord le cou au vieux canard qui a longtemps prétendu que la culture d’entreprise devait convenir à tout le monde et faire que tout le monde travaille de la même manière. En réalité, et le rapport le décrit très bien, chaque entreprise, qu’elle le veuille ou non, est parsemée de ces micro-cultures qui font que le travail est réalisé différemment au sein d’équipes, de divisions géographiques et même, de fonctions spécifiques.

“La micro-culture permet de libérer ​des équipes, poursuit Yves Van Durme, de mieux répondre aux besoins des employés et de leur permettre de vraiment exprimer leur différence. C’est assurément un moyen pour l’entreprise de montrer de l’agilité, de réagir plus vite aux changements et d’être efficace dans la séduction et la rétention de talents. Une direction d’entreprise doit savoir où placer le curseur. Comment ressentir cette évolution pour comprendre qui libérer et qui recadrer ou quelle micro-culture mériterait d’être étendue à d’autres. Dans notre étude 2024, un chiffre fait froid dans le dos : 85 % des leaders interrogés souffrent de paranoïa de la productivité, une proportion qui a grandi avec le télé­travail. Avoir son personnel en présentiel pour ressentir le contrôle, c’est une illusion. Les études de motivation le démontrent depuis des années mais ce vieux cliché a la peau dure.

“La micro-culture permet de libérer des équipes, de mieux répondre aux besoins des employés et de leur permettre de vraiment exprimer leur différence.” – Yves Van Durme (Deloitte)

On abuse de la culture d’entreprise pour limiter les liber­tés individuelles. Le télétravail et l’organisation autonome de son propre travail en font partie. Faire revenir tout le monde au bureau, comme beaucoup de dirigeants le souhaitent aujourd’hui, c’est une règle bête et méchante. Je comprends qu’il faut gérer l’excès qui se niche, chez certains, dans la baisse de sentiment d’appartenance à l’entreprise. J’entends dire que le présentiel permet aux équipes d’être plus créatives. Moi, je veux bien, mais je connais très peu d’équipes qui travaillent toute la semaine du lundi matin au vendredi soir en mode créatif.”

Confiance et transparence

Cette paranoïa témoigne d’un manque de confiance certain. Cette confiance, qui est une rue à double sens, est aussi au centre des nouvelles tendances. Elle va de pair avec la transparence, dans une relation devenue extrêmement complexe en raison des outils digitaux et des données désormais accessibles au plus grand nombre. La frontière est devenue ténue entre la vie privée et les systèmes digitaux qui permettent de mesurer et de libérer la performance humaine. On pense, à titre d’exemple positif, à ces outils basés sur l’IA qui aident à mieux cibler l’évolution d’une carrière, de proposer les bonnes formations à suivre pour s’épanouir, d’améliorer la sécurité tant psychologique que physique au travail, de gérer du feed-back permanent, etc. Ce degré de confiance mutuelle est aussi au centre d’une nouveauté de cette année : les fossés entre savoir et faire (knowing versus doing gaps). Ils sont très éclairants.

“Sur un certain nombre de sujets, comme la transparence, le développement de micro-cultures et la durabilité humaine, vous avez grosso modo 70 % des leaders qui connaissent et en reconnaissent l’importance, explique Yves Van Durme. Une moitié agit et l’autre fait peu ou rien. C’est inquiétant. Cela signifie que ce ne sont pas des priorités et que globalement, la moitié des responsables ne trou­vent pas fondamental de créer de la valeur pour leurs employés. Il ne faut donc pas s’étonner des fameux 46 % cités plus haut…”

85% des leaders interrogés 
souffrent de paranoïa de la productivité, un chiffre 
qui a grandi avec 
le télétravail.

RH sans frontières

Enfin, Deloitte introduit cette année un concept fondamental amené à accompagner les développements futurs du travail : les RH sans frontières. Soit le shift culturel nécessaire pour sortir les ressources humaines de leur silo et les faire suinter dans toutes les strates d’une entreprise. Il part du principe que l’expertise humaine, définie comme la capacité de développer, motiver et déployer des employés pour réussir des aboutissements personnels et collectifs, n’est pas que l’apanage des RH.

“Le département RH est rarement un facteur motivant ou démotivant pour un employé, conclut Yves Van Durme. On le fréquente nettement moins que son chef d’équipe. On quitte une entreprise à cause d’un mauvais manager. L’impact de ce dernier est donc nettement plus important au quotidien et il est crucial qu’il donne du feed-back, qu’il écoute, qu’il montre de l’empathie, qu’il cons­truise un esprit d’équipe, etc. Il faut sortir de cette logique souvent rencontrée : les managers ne sont pas à niveau, je vais renforcer les RH. Donner à ces managers 10 % supplémentaires de leur temps pour aider leurs équipes est un investissement bien plus intelligent. Bien que l’impact soit indirect, le rôle des RH demeure critique. Les outils et approches qu’ils développent doivent permettre, en partenariat, aux mana­gers et à leurs équipes de développer et de renforcer la micro-culture qui conduit à une performance durable et donc, à la durabilité humaine.”

2024 Global Human Capital Trends, Deloitte Insights, 120 pages, disponible via www.deloitte.com/be/human-capital-trends

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content