Comment récompenser les salariés à la fin de l’année?

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Il n’y a pas que les enfants qui attendent fiévreusement le père Noël. La fin d’année est traditionnellement le moment où les entreprises remercient leurs salariés pour le travail accompli. Il existe de nombreuses formules différentes. Les plus populaires ne sont pas forcément les plus rentables et inversement. Petit tour d’horizon.

Traditionnellement, les entreprises, à des degrés divers suivant leur bonne santé, profitent de la fin d’année pour récompenser leurs salariés ou pour leur annoncer le paiement prochain d’un bonus. C’est une manière élégante et hautement stratégique de renforcer l’engagement et le sentiment d’appartenance. Il existe différentes formules, de complexité très variable, qui permettent de faire plaisir financièrement, tout en optimisant fiscalement le cadeau.

À voir ce qui se trouve sur la table des négociations de l’Arizona (modification de la politique des chèques, révision de certains plafonds, voire suppression de certains avantages), il est possible que certaines options changent dans un futur proche. Raison de plus pour les mettre en œuvre sans traîner.

La semaine dernière, Acerta, le prestataire de services RH, a publié une étude très intéressante sur les bonus offerts aux salariés. On y apprend qu’un quart des employés belges en ont reçu un en 2024, pour un montant moyen de 6.327 euros brut (+5,5% par rapport à 2023, soit une hausse supérieure à l’index).

Acerta rappelle, avec justesse, qu’en raison du caractère très corseté de l’indexation automatique et des augmentations sectorielles, les différents bonus sont, aujourd’hui, un élément essentiel qui garantit la flexibilité de leurs politiques salariales. Évidemment, cette étude ne concerne que le secteur privé et les clients d’Acerta (570.000 travailleurs pour 44.000 entreprises), mais elle s’avère un instantané utile pour ce tour d’horizon.

1. Les cadeaux

C’est évidemment le geste le plus simple et souvent le moins onéreux. Les cadeaux sont aussi souvent offerts en complément d’autres bonus parfois plus ciblés. Ils prennent différentes formes : en nature (champagne, panier gourmand, etc.) ou sous forme de chèques-cadeaux. Le législateur permet une exonération d’impôts et de cotisations sociales jusqu’à 40 euros par personne. Avec la possibilité d’ajouter 40 euros pour chaque enfant du salarié. Le cadeau doit être offert à tout le personnel sans distinction.

Les chèques-cadeaux doivent obligatoirement venir d’un prestataire agréé comme Edenred, Monizze ou Pluxee. Un bon d’achat chez Ikea ou chez Krëfel n’entre donc pas en ligne de compte pour les exonérations.

Signalons encore que les chèques culture et sport sont une forme de récompense autorisée tout au long de l’année, avec un maximum de 100 euros pour être exempts de cotisations ONSS. Ils ne sont pas déductibles fiscalement. Enfin, le repas de fin d’année est déductible fiscalement à hauteur de 69%.

2. Le cash

Dans l’étude d’Acerta, 5,1% des employés ont reçu un bonus sous forme de cash (prime brute) en 2024. Il s’est élevé en moyenne à 5.381,70 euros (-8,4% sur un an). Sur une prime de 1.000 euros brut destinée à son salarié, l’employeur rajoute 280 euros de cotisations patronales ONSS et 179 euros à titre de pécule de vacances. Au final, l’employeur débourse donc 1.459 euros pour que son salarié en reçoive 465. C’est donc un effroyable ratio de 32% !

“C’est de la folie de faire cela, s’exclame Jérôme Aubertin, partenaire spécialisé dans le droit du travail chez Stibbe. Cela frustre l’employé quand il voit la différence brut/net. C’est quasiment de la rage confiscatoire. En outre, ces primes brutes donnent lieu à des cotisations de sécurité sociale qui, vu les plafonds, ne contribueront pas aux futurs avantages. Évidemment, le cash a un avantage non négligeable : on le donne à qui on veut, sans être lié à la moindre règle. À la tête du client donc.”

“Le cash a un avantage non négligeable : on le donne à qui on veut, sans être lié à la moindre règle. À la tête du client donc.” – Jérôme Aubertin (Stibbe)

3. La CCT 90

Dans l’étude Acerta, la CCT 90 ou bonus non récurrent lié aux résultats est le système le plus populaire. Elle a été octroyée, en 2024, à 13,8% des employés pour une valeur moyenne de 1.590,20 euros (+7,6%). Dans notre exemple des 1.000 euros brut, la part de l’employeur grimpe à 1.330 et l’employé reçoit 869 euros net (on ne lui déduit que la cotisation de solidarité de 13,07%). Le ratio grimpe donc à 65% !

“La CCT 90, réservée au seul secteur privé, présente de solides avantages pour les employeurs, poursuit Jérôme Aubertin. Il n’y a ni pécule de vacances ni droits indirects. En d’autres termes, la CCT 90 n’entre pas en ligne de compte dans le calcul des indemnités de départ où il faut considérer le dernier bonus octroyé. Pareil pour définir le niveau de rémunération en cas d’incapacité de travail.”

Très populaire, mais très corsetée, la CCT 90 présente quand même de solides inconvénients pour l’employeur, dont un plafond limité à 4.020 euros. En d’autres termes, si le bonus envisagé dépasse cette somme, le surplus retombe dans la formule cash.

“La CCT est un bonus obligatoirement collectif, explique Jérôme Aubertin. Pas forcément pour toute l’entreprise, mais pour un groupe bien défini et qui répond à des critères objectifs. Quelque part, ce n’est pas une prime au mérite puisqu’elle récompense tout un groupe sans discrimination du véritable apport individuel dans la réalisation des objectifs. Quand on l’a instauré, on comptait sur la pression sociale pour pousser les moins efficaces. La CCT 90 repose, en effet, sur la réalisation de critères mesurables, transparents et contrôlables. Adhérer aux valeurs de l’entreprise n’en est donc pas un. Atteindre un certain Ebitda ou diminuer la consommation électrique sont autorisés, pas le cours de Bourse, par contre. La CCT 90 demande d’être administrativement en ordre aussi : si je fixe comme objectif la baisse des accidents du travail, il faut évidemment que j’ai mis en place un plan pluriannuel d’analyse des risques. Enfin, dernier inconvénient : il n’y a pas d’effet rétroactif. Si l’objectif n’est pas atteint, il n’y a pas de bonus. On ne peut donc pas envisager une CCT 90 si on a fait une bonne année. Elle se prépare des mois à l’avance et le législateur n’autorise un effet rétroactif que d’un tiers de la période considérée. Comme la plupart des entreprises se basent sur l’année calendrier, il y a un afflux de CCT 90 au SPF Emploi à la fin avril.”

En effet, le SPF Emploi valide toutes les CCT 90 sur base d’un modèle type que l’on retrouve sous la forme d’un document Word sur son site. C’est un questionnaire complet qui comporte une dizaine de rubriques. Cette demande s’introduit de deux manières différentes.

“En cas de délégation syndicale, cette demande doit prendre la forme d’une CCT interne, confirme Jérôme Aubertin. Les secrétaires permanents des syndicats présents dans l’entreprise doivent la contresigner. Cette disposition rebute parfois les entreprises car elle suppose de négocier, notamment sur les critères et sur le groupe concerné. Comme elle fait intervenir un secrétaire permanent, les employeurs craignent aussi de faire entrer le loup dans la bergerie, c’est-à-dire attirer l’attention d’un syndicat sur le fait que l’entreprise existe et se porte bien. En cas d’absence de délégation syndicale, l’employeur doit rédiger un acte d’adhésion. C’est quasiment le même document type. Si personne dans l’entreprise n’a d’objection, il entre en vigueur. En général, extrêmement peu de gens protestent contre une prime. Selon moi, la CCT 90 est une excellente formule pour les PME sans présence syndicale. Son ratio est excellent. À l’origine, les syndicats, même si la CCT 90 a été approuvée, n’étaient pas chauds pour des raisons idéologiques : elle appauvrit, selon eux, la sécurité sociale vu sa structure fiscale et sociale. Les primes sont déductibles fiscalement et ne font l’objet d’aucun précompte. Seules les cotisations de solidarité sont dues. Cette objection est moins forte de nos jours. Il faut dire qu’à l’époque où elle a été conclue, les cotisations patronales s’élevaient à 35%. Cette méthode permettait d’octroyer des primes en faisant diminuer la pression.”

4. La prime bénéficiaire

Dans l’étude Acerta, la prime sur les bénéfices a été octroyée, en 2024, à 2% des employés pour une valeur moyenne de 2.324,80 euros (-4,7%). Elle n’est donc pas extrêmement populaire, alors qu’elle offre le meilleur ratio après la CCT. Les 1.000 euros brut de l’exemple débouchent sur une prime de 810 euros net sans coût supplémentaire de l’employeur. Seulement, comme il n’y a pas de déductibilité fiscale, il faut tenir compte du degré de taxation de l’entreprise. Dans l’exemple extrême (30%), le ratio s’élève à 62%.

“Elle est trop peu utilisée à mon goût, sourit Jérôme Aubertin. Elle se conclut en aval et suppose l’existence de bénéfices. Elle est vertueuse, je trouve : j’ai fait une bonne année et je la partage avec mes employés. Comme vous le soulignez, il n’y a ni charges patronales ni pécule de vacances à prévoir. L’employé ne perd que les 13,07% de cotisation solidarité et un impôt de 7% sur le solde. Elle est quasiment sans limite puisqu’on peut octroyer jusqu’à 30% de la masse salariale annuelle. Contrairement à la CCT 90 à laquelle on prête des vertus qu’elle n’a pas forcément, la prime bénéficiaire peut se décider très vite et est beaucoup plus flexible. Elle peut être annoncée à la fin de l’année, même si le paiement n’interviendra qu’à la consolidation des comptes quelques mois plus tard. Elle est aussi très intéressante si l’on souhaite dépasser le plafond de 4.020 euros.”

La prime bénéficiaire peut être identique pour tous : on octroie le même bonus à tout le monde ou, à tout le moins, on applique la même formule à tout le monde. Elle peut aussi être catégorisée. Dans ce cas, il faudra passer par une CCT interne ou un acte d’adhésion. Histoire de fixer les paramètres qui impactent la valeur de la prime (ancienneté, degré de formation, poste occupé, niveau de rémunération, etc.), le législateur a toutefois mis un garde-fou : la prime la plus haute ne peut pas excéder dix fois la prime la plus basse. Durant toute sa carrière, Jérôme Aubertin n’a organisé aucune prime bénéficiaire catégorisée…

5. Les warrants

Voilà une autre mesure très populaire. Dans l’étude d’Acerta, elle a concerné 7,4% des employés pour une somme moyenne de 12.652,40 euros ! Soit une hausse de 1.100 euros sur un an. Dans notre exemple des 1.000 euros brut, l’employé reçoit ici 465 euros. Ce n’est guère mieux que le cash, mais on va voir qu’il y a des nuances à apporter à ce ratio peu engageant.

“Ah les warrants ! sourit Jérôme Aubertin. Personne n’y comprend rien et c’est cela qui est fabuleux ! Même mon épouse n’y comprend rien (rires…). Ce n’est, en fin de compte, pas très compliqué, même si c’est dur à expliquer. Le warrant est une forme d’option sur action. La différence entre les deux est celle-ci : l’option porte sur une action qui existe déjà, le warrant porte sur une action qui n’existera que si on exerce l’option. Mais quasiment personne n’exerce ses warrants. Le but est que les employés les revendent. Le mécanisme d’optimisation fiscale repose sur une anomalie de la loi : les options sur action ne sont pas soumises à la sécurité sociale. On ne paie ni cotisations patronales de 28%, ni personnelles de 13,07%. Mais c’est comme un billet de loterie : on demande d’acheter demain quelque chose au prix d’aujourd’hui. Cela va monter ou descendre ou ne plus rien valoir dans le futur. Il ne faut donc jamais traîner pour les revendre.”

L’employé ne touche que 465 euros net sur les 1.000 car, pour éviter d’être floué, le fisc taxe quand on reçoit l’option et pas quand on l’exerce. Le taux est élevé : 53,5%. En réalité, le fisc ne reçoit rien car la loi stipule que le précompte reçu soit reversé à l’ONSS qui, elle, n’a rien prélevé sur l’opération. Un vrai système à la belge ! Les montants en jeu sont souvent très élevés car les banques et les autres intermédiaires qui se chargent des transactions et des émissions ne travaillent pas sur des petits montants. Quant au net reçu, il est souvent plus conséquent. Dans notre exemple, il est fréquent que l’employeur annonce une prime de 1.000 euros brut payée sous la forme d’un warrant de 1.300. Ce qui ajoute un degré d’incompréhension chez les employés. Pourquoi ?

“En fait, l’employeur est parfaitement au courant de l’optimisation fiscale, explique Jérôme Aubertin. Il regarde son coût. S’il avait donné 1.000 euros cash, il aurait dépensé 1.459 euros. En passant par les warrants, il réalise une solide économie. Souvent, cela va le pousser à partager cette économie et à donner plus. C’est de la gestion fine entre le brut et le net, et un geste qui est très apprécié en termes de ressources humaines. Donc, dans notre exemple, s’il octroie une prime de 1.000 euros brut sous la forme d’un warrant de 1.300, il épargne 159 euros par rapport au cash et le net de l’employé grimpe à 604 euros. Tout dépend où l’employeur met le curseur.”

“Le mécanisme d’optimisation fiscale des warrants repose sur une anomalie de la loi : les options sur action ne sont pas soumises à la sécurité sociale.” – Jérôme Aubertin (Stibbe)

6. L’assurance groupe bonus

Voilà une formule qui n’a pas été testée par Acerta. Elle est utilisée plus souvent qu’on ne le pense et pour cause, elle est imbattable en termes de ratio pour qui sait attendre. Elle est donc souvent proposée à des employés seniors qui, au-delà de la cinquantaine, pensent à leur pension prochaine. À l’assurance groupe classique déjà offerte, on ajoute un produit appelé assurance groupe bonus et destinée à accepter du variable. Elle est souvent mise en œuvre seule ou en combinaison avec un plan sous forme de cash.

“C’est la méthode la plus efficace et la plus rentable, conclut Jérôme Aubertin. Alors, oui, il s’agit d’une économie forcée qui immobilise les fonds pendant des années. Mais c’est très utile pour l’avenir. En outre, suivant les conditions posées par les compagnies d’assurances, il est possible de se servir de l’argent ainsi épargné pour rénover ou acheter une maison. Ce produit est principalement proposé à une catégorie élevée du personnel, souvent des cadres.”

Enfin, signalons que les employés ne sont pas les seuls à bénéficier de primes. Dans l’étude Acerta, en 2024, un ouvrier sur dix (9,8%) a également déjà reçu un bonus de la part de son employeur, soit autant qu’en 2023. Le montant moyen de ce bonus pour les ouvriers s’élève à 1.138,60 euros, ce qui est légèrement inférieur au montant de 2023.

2 % – Proportion d’employés qui a bénéficié de la prime bénéficiaire, peu populaire, alors qu’elle offre un bon ratio.

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