Comment les entreprises peuvent-elles licencier de manière plus humaine ? Témoignage et conseils
Après son licenciement abrupte de la VRT, Annick Ruyts a été choquée par la manière brutale dont cela s’est passé. Elle a fait son deuil et a voulu savoir pourquoi la plupart des entreprises n’arrivent pas à licencier une personne de manière humaine.
“J’étais amoureuse de mon travail“, déclare Annick Ruyts. “Mon licenciement m’a arraché une partie de mon identité et cela m’a fait très mal”. Pendant 33 ans, Annick Ruyts a conçu et réalisé de nombreux programmes à succès pour la VRT. Mais, lorsqu’en 2022, l’entreprise publique de radio et de télévision licencie une cinquantaine de personnes pour faire des économies, elle en fait partie. Annick Ruyts mettait cœur et âme à réaliser son travail. Ce licenciement a déclenché une tempête de sentiments en elle. Le chapitre de son livre “Bedank voor bewezen diensten” (traduction: “Merci pour les services rendus”) s’intitule “Tsunami”.
Il n’y a pas de faute dans ce titre. Annick Ruyts veut bien dire “Merci” et non “remerciée” (ndlr: “bedank” dans le titre original en néerlandais et non “bedankt”). Beaucoup d’entreprises tiennent leur personnel en haleine. Ainsi, Annick Ruyts a reçu une “demande de réunion”. Le licenciement qui est ensuite tombé comme une douche froide est traité rapidement. C’est ce que l’on appelle la “douleur courte”. En s’adressant à des experts du marché du travail, des ressources humaines et de l’accompagnement du deuil, Annick Ruyts comprend mieux comment un licenciement affecte une personne. Et surtout comment les organisations peuvent respecter la valeur de chacun. Sa conclusion: il faut remercier quelqu’un pour les services rendus au lieu de le mettre à la porte sans ménagement ni reconnaissance.
Dans votre livre, vous décrivez la manière dont les entreprises abordent le licenciement, principalement d’un point de vue juridique. Pourquoi cela ne suffit-il pas ?
ANNICK RUYTS. “Je n’ai certainement pas été traitée de manière irrespectueuse, j’ai d’ailleurs écrit ce livre sans rancune. J’ai simplement été licenciée de manière très professionnelle, après avoir donné le meilleur de moi-même pendant tant d’années. D’un point de vue juridique, tout était correct, mais d’un point de vue humain, j’aurais espéré une autre manière de procéder. Lors d’une réunion comme celle-ci, où l’on apprend une si mauvaise nouvelle, on a besoin d’être accompagné par quelqu’un qui nous connaît. Dans mon cas, il s’agissait de deux personnes à qui je n’avais jamais parlé auparavant. Qui a pris la décision ? Comment ont-ils procédé ? Je n’ai reçu aucune explication à ce sujet. Je n’ai jamais revu ces personnes non plus. En Flandre, nous ne sommes pas très doués pour évoquer les mauvaises nouvelles, alors que l’aspect personnel est très important dans ces moments-là. Un licenciement est une blessure et en ne me considérant pas comme un être humain dans le processus, en ne me remerciant pas pour ce que j’ai fait, on a saupoudré du sel dans cette blessure”.
D’un point de vue juridique, tout était correct, mais d’un point de vue humain, j’aurais espéré une autre manière de procéder.
Vous écrivez que les gens sont considérés comme des numéros, qu’ils sont interchangeables. D’un autre côté, les entreprises licencieront toujours dans certaines circonstances.
RUYTS. “Je comprends qu’il puisse y avoir une nécessité économique ou un besoin de rajeunissement. Pour être claire, je n’ai rien contre les licenciements. Cela doit parfois arriver. Mais si vous licenciez des personnes, vous devez avoir une politique sur la façon dont vous gérez la situation du début à la fin. Il ne s’agit pas d’envoyer un courriel, d’organiser une réunion d’adieu le lendemain et de dire “ciao, vous ne devez plus venir”. Il faut plutôt une procédure impliquant plusieurs entretiens, avec un accompagnement des personnes.”
Quels conseils donneriez-vous aux chefs d’entreprise et aux directeurs des ressources humaines qui veulent faire mieux ?
RUYTS : “Le premier entretien où l’on vous apprend votre licenciement, c’est comme si on vous annonçait que vous êtes atteint d’une maladie mortelle. Il est de toute façon préférable qu’une telle conversation ne soit pas inattendue. Je me souviens encore que je fixais une couverture, mais sinon je ne me rappelle rien de cette conversation. J’ai marché pendant des semaines avec une sensation incroyable de coton dans la tête, j’étais perdue. Il n’est pas logique de vouloir discuter immédiatement des aspects pratiques. Faites-le lors d’un deuxième, voire d’un troisième entretien. Vous serez alors un peu plus calme et pourrez poser des questions concrètes.”
Le premier entretien où l’on vous apprend votre licenciement, c’est comme si on vous annonçait que vous êtes atteint d’une maladie mortelle.
Vous avancez que les entreprises sous-estiment également l’impact sur les personnes qui restent à leur poste et qui voient leurs collègues licenciés.
RUYTS. “Dans mon cas, 50 personnes sont parties d’un coup. Pour ceux qui sont restés, ce n’était pas facile. En fait, c’est le bon moment pour les entreprises de dire à ces personnes pourquoi elles peuvent rester, de les aborder de manière positive pour une fois. Il est également bon de voir comment quelqu’un se sent lorsqu’il doit remplacer un collègue licencié. J’ai parlé à une personne qui a repris le travail d’un collègue et qui s’est ensuite effondrée parce qu’elle s’est sentie comme un traître. ”
Dans votre livre, vous soulignez régulièrement le manque de communication. Quels sont les points à améliorer ?
RUYTS. “Vicky Buelens (avocate spécialisée en droit du travail, ndlr) le souligne également. Elle y travaille activement. Selon elle, cela ne doit même pas coûter très cher. Il suffit d’essayer de parler aux gens et d’apprendre aux managers à avoir des conversations difficiles. Peu de personnes sont capables de le faire. Certains le font si maladroitement qu’ils aggravent même la situation. Les choses ne sont pas nommées. Lorsqu’il s’agit de 50 personnes, comme ça a été le cas pour moi, il faut consacrer beaucoup de temps à une approche plus personnelle. Mais, on ne peut pas mettre les gens dehors en vrac et les traiter comme tels. Cela n’est vraiment pas possible. Il faut faire le petit effort et dire: “L’aventure se termine ici, mais vous avez accompli de très bonnes choses avec détermination”. Personne n’a rien dit de tel jusqu’à présent. Cela fait mal.”
Cela montre, selon vous, que le travail n’est pas suffisamment valorisé. Il en va souvent ainsi lors de restructurations. Un département est supprimé ou un nouveau patron veut faire quelque chose de complètement différent. Les gens ont alors l’impression que leur travail n’a servi à rien.
RUYTS. “Oui, même dans le cas d’une personne qui n’est pas remplacée, cela se produit. Les gens abandonnent alors mentalement parce qu’ils ont l’impression que leur travail n’est pas apprécié. Les licenciements ou les restructurations sont parfois nécessaires, mais là encore, la communication est essentielle. Je connais une personne dans cette situation. Tout le monde disait d’elle qu’elle avait été mise sur une voie de garage. Elle-même a dit qu’elle avait pu discuter de son nouveau rôle avec son patron et que c’était une meilleure solution pour elle. Vous seriez surpris de voir à quel point les gens acceptent un message négatif, s’il est bien expliqué ou si vous prenez le temps de l’expliquer à différents moments”.
Une bonne communication est très importante parce que nous sommes touchés dans notre identité lorsque nous sommes licenciés.
RUYTS. “J’ai vraiment été bouleversée par ce licenciement. Je n’aurais jamais écrit ce livre si je n’avais pas été aussi bouleversée. Je sais aussi maintenant que c’est en partie parce que j’ai lié mon identité à mon travail, que j’y ai travaillé si longtemps et que je l’ai tant aimé. Et comme il n’y avait pas de littérature sur le sujet, j’ai cherché moi-même des experts.
Il y a aussi un tabou à ce sujet. La première fois que je suis allée au théâtre avec une amie, elle m’a présentée à quelqu’un et quand on m’a demandé ce que je faisais, j’ai répondu : “Je suis au chômage”. J’étais gênée. Il serait bon de développer cela, car à cause de ce tabou, beaucoup de gens s’en tiennent aux apparences. On ne parle pas de toute cette tristesse. Par exemple, je n’avais jamais entendu parler des besoins latents que le travail comble. Les gens qui travaillent n’ont aucune idée de ce que c’est que de perdre son emploi. Certains m’ont vraiment dit des choses comme : “Tu es payée pendant deux ans et demi, profite!”. Ou que je ne devais pas me plaindre parce que mon mari travaillait encore et que nous avions deux maisons. Alors que j’étais très déprimée. Ces gens sont tellement catégoriques qu’ils ne voient pas les besoins latents.
Quels sont ces besoins latents ?
RUYTS. “Le travail donne une structure à votre journée et un sens à ce que vous faites. Le premier jour où j’étais à la maison, j’ai vidé mon agenda. Il faut ensuite le remplir à nouveau, mais à part aller à l’outplacement ou une fois chez le médecin, il n’y a rien qui a du sens pour combler cet emploi du temps. C’est incroyablement difficile. Au début, je pensais que j’aurais plus de temps à consacrer à ma mère âgée et à d’autres choses, mais il y a toujours un sens spécifique de l’objectif lié au travail qui a disparu. Parmi les autres besoins latents, citons les besoins sociaux, le statut, l’identité, l’épanouissement. Au début, on se sent vraiment seul. Je viens de grandes équipes où il y avait beaucoup de monde. Les lundis étaient terribles parce que tout le monde retournait au travail. Le besoin de statut me faisait peur. Je disais : “Je suis rédactrice en chef de Alleen Elvis blijft bestaan (nldr: une émission télévisée sur VRT Max). Comme j’en étais très fière, j’ai souffert de la perte de mon statut. C’était difficile de l’admettre.”
Le besoin de statut me faisait peur.
Sur les conseils d’un expert, vous avez créé plusieurs playlists Spotify. Vous vous êtes même fait tatouer en guise de rituel de deuil. Pourquoi est-ce important ?
RUYTS. “Ce sont des choses auxquelles les gens ne pensent pas. J’ai beaucoup lu sur le deuil. Les rituels d’adieu avaient leur raison d’être. J’ai fait la connaissance de Janske, la spécialiste du deuil dont il est question dans mon livre. J’ai créé trois listes de lecture : une pour les moments de colère, une pour les moments de tristesse et une pour les moments de bonheur. Au début, je n’écoutais pas beaucoup la playlist festive, mais j’écoutais en boucle les chansons tristes. Avec ce tatouage (qui montre un triangle ouvert sur son avant-bras, ndlr), je remarque que je commence inconsciemment à le frotter lorsque je me sens en insécurité. C’était un symbole, pour montrer clairement que je suis ouverte au changement. Ces rituels ne seront pas les mêmes pour tout le monde, mais il peut être utile de trouver quelque chose qui vous aide”.
Le licenciement a toujours existé. Est-ce lié à l’air du temps qu’il y ait de nos jours plus d’attention portée à la façon dont cela se passe ?
RUYTS. “Oui, nous sommes prêts à traiter les gens différemment dans les entreprises. Je pense que ce sont surtout les jeunes qui sont prêts à être traités différemment. La pandémie de Covid-19 a été un énorme bouleversement. Une entreprise bénéficie toujours d’une politique RH humaine. Lorsque les gens disent après leur licenciement ‘c’est dur d’avoir été licencié, mais c’était fait avec tant de classe que je ne peux en dire que du bien’, c’est la meilleure publicité pour votre entreprise. L’histoire récente d’Airbnb, qui circule maintenant dans les cercles internationaux des ressources humaines, en est un exemple (pendant la pandémie, le PDG Brian Chesky a licencié 1 900 personnes de manière si empathique que beaucoup de collaborateurs se sentent toujours liés à l’entreprise, ndlr).”
Citez-nous un seul objectif que vous voudriez atteindre avec votre livre
RUYTS. “Pour mon livre, j’ai dû travailler avec des témoignages anonymes de personnes licenciées. Elles sont toujours traumatisées. Donc, si quelqu’un reconnaît son traumatisme dans le livre, ou si un seul dirigeant d’entreprise s’améliore, ce sera déjà un succès pour moi.”
Bio
1963 : Né à Merksem
1988 : Master en traduction et interprétation allemand/anglais/danois (HIVT)
1989 : Commence à travailler à la VRT. Crée et anime des émissions de voyage sur les Belges à l’étranger (We Are From Belgium et Grenzeloze liefde), sur la sexualité (Seks@Canvas), sur la pandémie (Kutjaar) et sur le bien-être psychologique (Te Gek).
2019 : Série sur Canvas, De Slapelozen
2016 : Rédactrice en chef d’Alleen Elvis blijft bestaan
2022 : Licenciement collectif à la VRT
2023 : Chroniqueuse chez Libelle, publication de Bedank voor bewezen diensten et début d’une activité en tant qu’indépendante
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