Réforme du droit des sociétés : “L’égalité des actionnaires est mise à mal”

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Parmi les mesures controversées du projet de réforme du droit des sociétés, il y a la possibilité pour les sociétés de créer des actions à droit de vote multiple et, pour les sociétés cotées, d’accorder un droit de vote double “de loyauté” après deux années de détention d’actions nominatives. Une mauvaise idée, selon Pierre Nothomb, associé de Deminor.

1. Un droit de vote double de loyauté favoriserait l’investissement à long terme et découragerait la spéculation intensive, non ?

Pas du tout, car le spéculateur ne s’intéresse pas aux droits de vote ! La mesure n’aura aucun impact sur lui. En revanche, elle affectera les investisseurs qui détiennent des participations minoritaires – souvent non nominatives – qui s’intéressent à la société et ont une vision à long terme de celle-ci. Octroyer une double voix aux actionnaires de référence, cela revient à dire aux minoritaires qu’ils ont encore moins leur mot à dire dans la conduite de la société !

2. Le principe de l’égalité entre les actionnaires est mis à mal ?

Bien sûr. Le principe ” une part, une voix ” maintient un rapport de proportionnalité entre l’investissement financier (le risque) et le pouvoir votal qui en découle. Une fois que l’on supprime ce garde-fou, on autorise certains actionnaires à augmenter leur contrôle sur la société sans porter les risques qui en résultent. Et l’on instaure une discrimination à l’égard des actionnaires pour qui une conversion des titres en actions nominatives implique un coût élevé, une grande complexité administrative et un impact important sur la liquidité.

3. Certains prétendent toutefois que le droit de vote multiple encourage l’ouverture du capital et constitue un facteur de liquidité et de croissance de la société.

On retrouve en effet cet argument dans l’exposé des motifs de l’avant-projet. Le droit de vote multiple serait bon pour la croissance et la liquidité puisqu’il inciterait les fondateurs et actionnaires de contrôle à franchir le cap de l’introduction en Bourse ou à augmenter le free float en leur garantissant qu’ils ne perdront pas le contrôle.

Cette vision est tout à fait erronée. Déconnecter le pouvoir du capital pousse au contraire la société à se renfermer sur elle-même. Les investisseurs potentiels ne sont pas dupes. Ils n’ont aucun intérêt à supporter la plus grande partie du risque financier sans droit de contestation et sans partage de la prime en cas d’OPA.

La présence de titres à droit de vote double compliquera également l’évolution du contrôle de la société. Et le franchissement des seuils prévus en matière d’OPA obligatoire et de squeeze-out risque de devenir chaotique. L’actionnaire qui détient seulement 18 % des titres franchit le seuil de 30 % des droits de vote si ses actions se voient attribuer le droit de vote double. Doit-il faire une OPA ?

Et l’on voit donc mal d’où viendrait la croissance. AB InBev respecte le principe ” une part, une voix “, Heineken pas. Lequel des deux a connu la plus forte croissance ?

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