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Qui censure sur les réseaux sociaux?

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Il serait préoccupant que la tendance actuelle aboutisse un jour à ce que la révélation d’un fait autre que celui reproduit par les médias traditionnels devienne impossible.

Les décisions conjointes de Twitter, Facebook et YouTube de supprimer définitivement les comptes et chaînes du président Donald Trump peuvent être vues comme un signe supplémentaire de la déchéance totale du président des Etats-Unis. Son comportement lors des émeutes du 6 janvier et de l’invasion du Capitole est évidemment incompréhensible et cause un dommage certain à l’image de la démocratie américaine, et peut-être à celle de la démocratie en général. On ne pleurera donc pas sur la perte de son moyen d’expression favori par un dirigeant au bord de l’abîme.

Il faut toutefois se rappeler qu’avant d’adopter un comportement perçu comme une “incitation à la violence”, le même président américain a déjà été censuré à de nombreuses reprises pour des annonces interprétées par les réseaux sociaux comme des fake news ou des opinions jugées offensantes pour une communauté. La même sanction a frappé de très nombreuses personnes ordinaires, au point que l’on parle de “censure des réseaux sociaux”.

La censure est en général un mode de contrôle de la presse exercé par le Pouvoir. Ici, il n’en est rien, ce sont des entreprises privées qui empêchent certains de leurs “clients” de s’exprimer dans un sens ou l’autre.

C’est aussi ce qui rend licite une telle initiative, du moins dans son principe. L’entreprise privée traite avec qui elle veut et peut exclure un client comme bon lui semble, sous réserve toutefois des règles relatives à la discrimination, variables selon les pays. Et de ce point de vue, on peut douter de la cohérence des décisions prises, par exemple par Twitter. On peut comprendre qu’elle n’apprécie pas les dirigeants violents, mais on se demande alors pourquoi elle maintient le compte du dictateur turc Erdogan avec ses plus de 17 millions de suiveurs.

On peut d’ailleurs douter que les réseaux sociaux agissent vraiment de manière purement volontaire. Il faut remarquer que leur tendance à contrôler le contenu posté par leurs adhérents a commencé en même temps que sont apparus des projets, voire des législations, de certains Etats tendant à les responsabiliser pour de prétendues fake news qui s’apparentent le plus souvent à des nouvelles qui déplaisent à ces mêmes Etats. Et ceux-ci disposent de moyens de pression importants, comme le montrent les projets de la Commission européenne de contrôler davantage les Gafa. Dans ce contexte, on peut déplaire à un président américain en pleine déchéance, mais non à un président turc omnipotent.

Et par ailleurs, ces mêmes réseaux sociaux sont particulièrement sensibles au “politiquement correct”. Ils ne se contentent plus du contrôle tatillon de certaines photos un peu légères mais adoptent parfois de manière explicite, comme Instagram, filiale de Facebook, des principes suivants lesquels il serait interdit de “choquer” une “communauté” nationale, ethnique, religieuse ou autre. Ce qui reviendrait à dire, par exemple, que toute critique contre une religion, ses saints ou ses prophètes ne serait plus permise alors que la liberté de religion devrait inclure celle de critiquer les religions.

Il n’y a aucune raison particulière de traiter Trump en martyr, bien au contraire. Mais il serait préoccupant que la tendance actuelle aboutisse un jour à ce que l’expression de toute idée dérangeante ou la révélation d’un fait autre que celui reproduit par les médias traditionnels devienne impossible, ou que, pour user de sa liberté d’expression, il faille recourir, paradoxalement, à des réseaux russes ou chinois.

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