Quels sont les opportunités du marché chinois, ses codes, et les erreurs à ne pas commettre?

Le groupe américain Yum! qui possède Pizza Hut, KFC etc. a créé la spin-off de sa filiale chinoise en 2016. © Getty Images
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Sandrine Zerbib, de Lazard Consulting, a passé une trentaine d’années dans l’empire du Milieu. Elle nous explique les recettes à suivre pour bien investir en Chine.

Dans un monde où la globalisation se conjugue de plus en plus au passé, la Chine et ses 1,4 milliard d’habitants constituent-ils encore un marché abordable pour une entreprise belge ? Oui, répondent de nombreux groupes du pays, le dernier en date étant Puratos, le grand spécialiste des produits pour la boulangerie et la pâtisserie, implanté dans 80 pays à travers le monde, et qui vient de signer un partenariat stratégique avec un groupe chinois, Guelph Foods, spécialisé notamment dans des produits végétaux qui se substituent aux œufs.

Mais quelles sont les recettes pour bien investir en Chine, quels sont les codes à respecter, les dangers à éviter ? C’est ce que nous avons demandé à Sandrine Zerbib, senior advisor chez Lazard Consulting et forte de 30 ans d’expérience dans le pays. Elle avait corédigé en 2022, avec Aldo Spaanjaars, un ouvrage intitulé Dragon Tactics qui recensait les recettes du management à la chinoise et elle en prépare un autre sur la globalisation des entreprises chinoises et la manière dont leur approche peut inspirer les entreprises occidentales.

Si les entreprises chinoises ont progressé dans leur internationalisation, elles commettent encore des erreurs, notamment dans la gestion des marques et des ressources humaines, où les différences culturelles sont marquées. “En Chine, le management est souvent très vertical, avec un leader fort qui impose sa vision sans laisser beaucoup de place à l’expression des équipes. Cette approche, efficace dans le contexte chinois, est mal adaptée aux attentes occidentales, où l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, ainsi que la participation aux décisions sont valorisés”, explique Sandrine Zerbib.

Un marché difficile, mais toujours en croissance

Si les entreprises chinoises cherchent à s’implanter en Europe, une entreprise européenne peut-elle encore s’installer et se développer en Chine ? “Oui, c’est possible, et même souhaitable pour beaucoup d’entre elles, répond Sandrine Zerbib. La Chine n’a certes plus le dynamisme économique qu’on lui a connu il y a quelques années, mais elle reste un très grand marché, avec de très belles poches d’opportunités et une classe moyenne qui, malgré les difficultés, continue à être en expansion. C’est donc un marché très précieux et très important.”

Mais ce n’est pas un marché facile. “Il est devenu beaucoup plus compliqué qu’auparavant, et pas seulement pour des raisons géopolitiques, poursuit la senior advisor de chez Lazard Consulting. Bien sûr, il y a une méfiance qui peut compliquer les choses, mais il y a aussi des aspects politiques au sens large qui affectent autant les entreprises privées chinoises que les entreprises occidentales. Par exemple, il peut exister une réglementation devenue plus stricte sur un certain nombre de sujets et qui peut être difficile à gérer.

Enfin, et c’est très important, il y a aussi le fait que la concurrence locale est devenue d’une telle qualité qu’elle est souvent difficile à battre sur son terrain : les Chinois sont devenus très bons dans ce qu’ils font, ils ont l’avantage de comprendre leur environnement et leur marché bien mieux que nous. Et ils ont développé dans certains domaines, dont la tech bien entendu, les chaînes d’approvisionnement, les savoir-faire, etc. pour lesquels ils nous dépassent de beaucoup.”

S’implanter en Chine, c’est devenir chinois en conservant son ADN d’origine.” – Sandrine Zerbib, senior advisor chez Lazard Consulting

S’adapter et prendre le temps

Pour Sandrine Zerbib, l’erreur fondamentale à ne pas commettre lorsqu’une entreprise occidentale envisage de s’implanter en Chine est de vouloir reproduire mécaniquement son modèle d’affaires tel qu’il existe dans son pays d’origine. “Penser que l’on peut aller en Chine et faire exactement ce qu’on fait ailleurs, sans adapter, sans localiser fondamentalement son approche, est une grave erreur”, explique-t-elle.

Cette localisation ne se limite pas à la production ou à l’embauche de personnel local – bien que 95 à 98% des employés d’une entreprise étrangère en Chine soient généralement chinois. Elle englobe une transformation profonde de l’entreprise pour qu’elle s’inscrive dans le tissu économique, social et culturel local.

s’inscrire dans le tissu local

Concrètement, cela signifie plusieurs choses. “Cela signifie d’abord de s’inscrire dans le tissu local. C’est un peu comme lorsque vous faites vos courses dans le supermarché près de chez vous, vous ne repérez pas la nationalité des marques. La logique est similaire : 95 à 98% de votre filiale chinoise sera constituée par des employés locaux, vous allez très certainement produire localement et faire de la recherche et développement au niveau local. Cela signifie aussi que si vous êtes une entreprise de produits de consommation, une partie au moins de votre gamme de produits fera l’objet d’un design et d’un développement pour le marché chinois. Non seulement parce que les goûts sont différents, mais aussi parce que la chaîne d’approvisionnement est beaucoup plus rapide et que les attentes des consommateurs sont elles aussi différentes, plus rapides.”

Il s’agira aussi d’adopter une communication marketing alignée sur les pratiques chinoises, notamment sur les réseaux sociaux locaux, qui jouent un rôle déterminant dans la perception des marques. “Il faut devenir une entreprise chinoise tout en conservant son ADN d’origine”, résume Sandrine Zerbib. Cette intégration permet non seulement de répondre aux attentes du marché, mais aussi de naviguer dans un environnement réglementaire et administratif de plus en plus strict.

Des consommateurs qui évoluent

Voilà pour les règles. Mais quels secteurs de l’économie chinoise offrent encore des perspectives de croissance pour les entreprises étrangères ? “Il y a tout ce qui va être porteur d’innovation, dans le service ou dans l’industrie. Et dans les biens de consommation, un domaine qui est davantage ma spécialité, il y a ce qui est lié au bien-être, au sport, à l’outdoor, détaille l’experte. Ce sont des domaines dans lesquels nous observons encore une forte croissance parce qu’ils sont portés par un changement de valeurs chez les consommateurs.

Auparavant, les consommateurs en Chine se caractérisaient par un consumérisme à tout crin. Aujourd’hui, ils en reviennent. Les consommateurs se disent : ‘au fond, à quoi bon ?’. Leurs parents voulaient prendre une revanche sur la vie en disant : ‘mes enfants auront une vie meilleure que nous’. Et cela s’est vérifié en à peine une génération, voire une demi-génération. Mais pour les plus jeunes, surtout après la grande crise immobilière, qui n’est pas terminée, la situation devient plus difficile. Demain ne sera pas forcément meilleur qu’aujourd’hui. Acheter un appartement dans une grande ville ou acheter la voiture de ses rêves ne sera peut-être jamais possible. Cela les amène vers de nouvelles valeurs sûres : le bien-être, la réflexion sur soi, le sport.”

Installer une filiale en Chine ne se limite pas qu’à engager du personnel local. L’entreprise doit aussi pouvoir s’inscrire dans le tissu économique, social et culturel local. © Getty Images

L’indispensable partenaire

Face à ces défis, s’appuyer sur un partenaire local est souvent nécessaire. “C’est une conviction fondée sur des observations de terrain. Pour une petite ou moyenne entreprise occidentale, s’implanter en Chine sans partenaire est une entreprise risquée, voire vouée à l’échec”, affirme Sandrine Zerbib. Même les grandes entreprises, souvent déjà établies, font la démarche et optent pour des partenariats, voire des spin-off (lorsqu’une société mère transforme une de ses divisions en une société indépendante). Yum!, le groupe américain qui possède Pizza Hut, KFC, etc. a créé la spin-off de sa filiale chinoise en 2016. Starbucks se prépare à céder plus de la moitié du capital de sa filiale chinoise.

“Un partenaire local offre plusieurs avantages, souligne Sandrine Zerbib. Il permet de s’intégrer au tissu économique et social, réduisant ainsi les risques liés aux tensions géopolitiques. Il apporte aussi une connaissance approfondie du marché, une réactivité et une flexibilité que les entreprises étrangères peinent à égaler. Enfin, il facilite la navigation dans l’administration chinoise et les médias sociaux, deux domaines où les faux pas peuvent être coûteux. Un bon partenaire, c’est quelqu’un qui connaît son marché de façon intime, qui sait y répondre de façon plus intuitive qu’une entreprise occidentale.”

Négocier en Chine, que ce soit avec un partenaire potentiel, une entreprise ou l’administration, nécessite de comprendre des codes culturels spécifiques. “Avec l’administration, les démarches sont relativement bien organisées et rapides, à condition de respecter les délais et les procédures”, observe la consultante.

Le capital confiance

Mais choisir un partenaire est un processus plus délicat. “Bâtir une relation avec un partenaire potentiel est un processus plus complexe, comparable à un mariage dont le divorce serait coûteux, explique Sandrine Zerbib. Il ne s’agit pas seulement de conclure un accord, mais de construire une relation durable. Les entreprises occidentales doivent donc éviter l’approche pressée : arriver accompagné d’une armée d’avocats et repartir ensuite. Elles doivent privilégier une démarche patiente, basée sur l’établissement d’une confiance mutuelle. Il faut entretenir cette relation même après la signature du contrat, car des renégociations sont probables”. Prendre le temps de bâtir une relation de confiance est une nécessité.

“Bâtir une relation avec un partenaire chinois est un processus comparable à un mariage dont le divorce serait coûteux.” – Sandrine Zerbib, senior advisor chez Lazard Consulting

“Dans nos pays, lorsque l’on entame une relation d’affaire, le capital de confiance vis-à-vis du partenaire est généralement élevé, et peut décroître si jamais il se passe quelque chose de négatif, explique la consultante. En Chine, la dynamique est inverse. La société chinoise est une société où le capital de confiance, au départ d’une relation, est faible et réservé à la famille ou au clan.”

Cette relation de confiance est d’autant plus nécessaire qu’en Chine, le contrat lui-même n’a pas la même valeur qu’en Occident : “Un contrat reflète une situation à un moment donné, mais il peut être renégocié si les circonstances changent. Cela exige des entreprises étrangères de rester proches du marché chinois, de comprendre ses évolutions et de maintenir une relation active avec leur partenaire”, souligne Sandrine Zerbib.

S’implanter en Chine aujourd’hui exige donc à la fois de la stratégie, de l’humilité et du temps, afin de s’ancrer dans la réalité locale. Comme le souligne Sandrine Zerbib, réussir en Chine, c’est devenir une entreprise chinoise tout en préservant son identité. Une leçon d’équilibre.

“Dans la société chinoise, le capital de confiance au départ d’une relation est faible et réservé à la famille ou au clan.” – Sandrine Zerbib, senior advisor chez Lazard Consulting

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