Quel plan B pour les compagnies après l’interdiction de vol des Boeing 737 MAX?

Les quatre 737 Max de TUI Fly ont été cloués au sol. Pour l'instant, pas un problème pour la compagnie belge. © photos belgaimage

Les Boeing 737 Max, dont les vols ont été interdits après le crash d’Ethiopian Airlines, pourraient rester au sol jusqu’à l’été prochain. Un gros pépin pour les compagnies si elles veulent assurer tous les vols programmés, surtout à l’entame de la saison d’été. TUI Fly y arrive. Mais d’autres plus difficilement.

Comment continuer à faire voyager des clients lorsqu’un modèle d’appareil est interdit de vol ? C’est le problème de plusieurs dizaines de compagnies dans le monde qui se sont procuré des Boeing 737 Max. En Belgique, par exemple, TUI Fly en possède quatre. Ryanair, deuxième compagnie sur le marché national et qui en a commandé 135 (210 avec les options), en attendait 33 dès cette année. Et devait faire voler le premier d’entre eux sur ses lignes en avril. C’est que le Boeing 737 est, avec son concurrent européen, l’Airbus 320, l’avion le plus présent sur les tarmacs belges. Ces modèles à un seul couloir, de plus de 140 places, transportent quasiment tous les passagers vers l’Espagne, l’Italie, la Turquie, le Maroc, la Scandinavie et l’Europe centrale.

Pour les compagnies, la suspension de l’exploitation du Boeing est donc nettement plus embarrassante que celle d’un modèle plus marginal.  » C’est une situation quasi sans précédent « , relève André Clodong, expert en aéronautique qui a travaillé pour British Airways. Cette suspension, heureusement, ne touche que la dernière génération des Boeing 737, les Max, plus économiques en carburant et qui ne représentent qu’une fraction du parc en activité des moyens-courriers de Boeing. Soit 376 sur un total de 7.000, toutes générations confondues. Selon Eurocontrol, ils représentaient, jusqu’à leur suspension, 220 vols par jour sur le Vieux Continent, concentrés sur quelques compagnies.

Les quatre 737 Max de TUI Fly ont été cloués au sol. Pour l'instant, pas un problème pour la compagnie belge.
Les quatre 737 Max de TUI Fly ont été cloués au sol. Pour l’instant, pas un problème pour la compagnie belge.© photos belgaimage

Loueurs providentiels

 » Nous n’annulons aucun vol, assure Sarah Saucin, porte-parole de TUI Fly, dont la compagnie a gelé ses Boeing 737 Max depuis le 12 mars dernier. Nous avons pris le taureau par les cornes pour éviter tout retard et assurons le service en utilisant davantage la flotte existante et en recourant à des avions de compagnies de location « . TUI Fly exploite, en Belgique, une flotte de 33 avions, dont 26 Boeing 737, toutes versions confondues. La compagnie appartient au tour-opérateur allemand TUI qui gère plusieurs compagnies aériennes sous le même nom et opère au total 15 Boeing 737 Max. Le coût de leur immobilisation a été évalué à 200 millions d’euros, si les vols reprennent en juillet prochain.

 » Heureusement, ce problème est intervenu durant la saison d’hiver, note un expert du monde aérien, coutumier des gestions de flottes. Les avions sont alors généralement moins utilisés et les compagnies peuvent régler le gel d’un modèle en exploitant mieux la flotte existante. Il est aussi possible de recourir à des compagnies spécialisées dans la location d’appareils avec équipage, potentiellement plus disponibles en basse saison.  »

C’est le cas de TUI Fly.  » Nous nous arrangeons avec les autres Boeing 737 de la flotte, confirme Sarah Saucin, et nous recourons notamment à AirExplore, une compagnie slovaque. Les avions sont loués avec équipage mais nous y affectons du personnel de bord pour assurer le commercial et le service dans la langue de la clientèle.  » Pour les voyageurs, rien ne change, le service et le catering restent identiques.

Plusieurs compagnies se sont spécialisées dans ce type de location. Elles sont souvent situées dans des pays où les coûts de main-d’oeuvre sont modérés (Europe de l’Est, Portugal). Les contrats sont appelés, dans le jargon du secteur, wet lease ou ACMI ( aircraft, complete crew, maintenance and insurance). La facture revient environ 10% à 15% plus cher par heure qu’un avion de la flotte de la compagnie locataire.

La compagnie Norwegian a déjà réclamé des compensations à Boeing.
La compagnie Norwegian a déjà réclamé des compensations à Boeing.© © Alastair Philip Wiper

Norwegian annule

Parfois, l’usage de ce procédé est impossible. La compagnie Norwegian Air Shuttle, qui opère 18 Boeing 737 Max, a ainsi été obligée de supprimer certains vols. Cette low cost, qui dispose d’une flotte de 169 avions, est aussi très active en long-courrier. Si elle s’efforce d’assurer les vols des avions suspendus avec d’autres appareils de son parc, c’est plus compliqué pour les trajets transatlantiques. Le Boeing 737 Max a en effet la particularité de pouvoir assurer ce type de vol là où peu de modèles de format équivalent (environ 189 places) y arrivent.

 » L’impact de la crise dépendra de la durée d’immobilisation des 737 Max, continue notre expert. La demande en avions et en vols augmente avec la saison d’été. Il est alors plus difficile d’en trouver à louer.  » Durant cette période, les compagnies font en effet déjà régulièrement appel à des appareils de location pour les jours de rush – TUI Fly comme les autres. Cela évite de rester avec trop d’appareils inutilisés en hiver. Or, dans l’aéronautique, la saison d’été commence le dernier dimanche du mois de mars, pour sept mois. C’est là que les compagnies font leur chiffre. Selon les calculs de Bloomberg, 253 avions équivalents (Boeing 737 et Airbus A320) non utilisés sont disponibles dans le monde, et plus de 70 le sont chez des loueurs ou des financiers. Le problème est de disposer des équipages pour les exploiter.

Quel plan B pour les compagnies après l'interdiction de vol des Boeing 737 MAX?

Une longue absence ?

Le risque est donc grand que les appareils de location soient plus difficiles à trouver dans les mois à venir.  » Nous avons reçu de nombreuses demandes ces derniers jours mais nous ne pouvons répondre à toutes car notre capacité est saturée « , indique Martin Stulajter, CEO de la compagnie AirExplore basée à Brastislava, qui opère six Boeing 737-800. Il a toutefois pu fournir un avion à TUI Fly Belgique.  » Nous avions déjà un contrat avec eux pour leur saison d’été, convenu bien avant le souci des Boeing 737 Max « , continue le CEO. Cette fois, ils nous ont demandé de les aider plus tôt. TUI Belgique est un excellent client. Nous avons répondu positivement. Un de nos Boeing 737-800, basé à Bruxelles, vole déjà pour eux actuellement. Un autre arrivera cette semaine.  »

Combien de temps cette situation va-t-elle perdurer ? Personne ne le sait avec exactitude. Aucune indication sur le délai de la suspension d’exploitation du Boeing 737 Max n’a encore été communiquée. Tout dépendra de la mise à jour de l’équipement de sécurité de l’avion et du feu vert donné par les autorités aéronautiques. Cela semble plutôt être une question de mois que de semaines. La compagnie américaine Southwest a envoyé ses 34 Boeing 737 Max dans une zone de stockage à long terme, en Californie, dans le désert de Mojave. Ce qui laisse à penser à une suspension au moins jusqu’en juin ou juillet.

Des risques pour Ryanair… et Boeing

Si la crise se prolonge, cela pourrait poser de vrais problèmes à Ryanair. Comme le rappelle Bloomberg, la compagnie irlandaise est l’une des compagnies qui devait recevoir le plus grand nombre de livraisons de Max cette année. Elle figure donc parmi les compagnies qui pourraient être les plus affectées par une longue suspension.

A court terme, Ryanair peut jouer sur sa flotte de 460 avions, et reporter la sortie prévue de certains de ses appareils – des Boeing 737 encore récents – pour pallier cette suspension. Mais toute prolongation freinera un développement très attendu, après les résultats décevants du dernier trimestre (perte de 20 millions d’euros). Les modèles commandés, d’une version adaptée appelée 737 Max 200, compteront en effet 194 sièges au lieu de 189 sur les 737 actuels. Et  » ils seront 16% plus efficients en consommation de carburant et émettront 16% de bruit en moins « , rappelait le communiqué de Ryanair qui accompagnait l’annonce des résultats du troisième trimestre 2018.

Les compagnies négocieront certainement des compensations avec Boeing. Norwegian Air Shuttle en a publiquement réclamé. Bloomberg Intelligence évalue cette indemnisation potentielle à 100, voire 150, millions de dollars par mois. A ajouter à la facture de la crise qui prend aussi en compte le coût d’adaptation des avions et les indemnités à verser aux victimes des accidents des Boeing 737 Max…

La correction

Les conclusions de l’enquête sur le crash du Boeing 737 Max d’Ethiopian Airlines, le 10 mars dernier, ne sont pas encore connues. Mais Boeing estime avoir trouvé la solution qui permettrait à ses modèles, interdits de vols peu après l’accident, de reprendre l’air. Il s’agit d’une nouvelle version du logiciel destiné à éviter le décrochage de l’avion en raison d’une vitesse trop lente ou quand la portance des ailes disparaît.

Ce système, appelé MCAS, corrige automatiquement l’assiette de l’appareil et lui abaisse le nez s’il grimpe de manière trop verticale. C’est un nouveau système par rapport à la génération précédente de 737. Mais le manuel des pilotes ne mentionne pas ce nouveau système, qui ne donne pas lieu à une formation spécifique. Une situation qui a été acceptée par l’administration américaine de l’aéronautique, la FAA, ce qui suscite des interrogations.

Selon Boeing, le crash du vol d’Ethiopian Airlines et de celui de Lion Air, fin 2018, auraient été causés par la panne de l’unique capteur détectant l’angle d’attaque de l’avion. Cette défectuosité pourrait induire en erreur le système MCAS, celui-ci baissant alors automatiquement le nez de l’appareil vers le sol. Le pilote a très peu de temps pour neutraliser cet automatisme. S’il n’est pas prévenu de son existence, il perd de précieuses secondes à trouver la parade.

Le correctif que Boeing souhaite mettre en place est donc une nouvelle version du logiciel et un deuxième capteur. Si les capteurs enregistrent des données différentes, le système MCAS ne se mettra pas en marche et un témoin lumineux signalera le problème. Avant de modifier les avions, de permettre à nouveau leur exploitation et de former les pilotes, la FAA et d’autres autorités nationales de l’aéronautique devront certifier cette modification.

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