Prospection téléphonique: le cold call est mort, vive le cool call!

Pour la jeune génération, savoir prospecter, c’est affirmer sa capacité de se nourrir soi-même, de ne plus être dépendant d’un système. © Getty Images

La prospection a toujours été l’activité commerciale la plus détestée et la plus déléguée. De coutume, quand on ne la confie pas aux “newbies” pour qu’ils s’y cassent les dents et “se forgent le caractère”, on l’externalise vers des call-centers spécialisés, souvent bien au-delà de nos frontières physiques, et parfois même morales.

Lorsque, faute d’alternative, la prospection est confiée en interne aux commerciaux de l’entreprise, il s’agit trop souvent encore d’une activité triste et solitaire, accomplie dans le secret d’un bureau-cube insonorisé pour éviter que quiconque ne soit témoin de la gêne terrible d’un râteau en direct. La peur de l’échec – et surtout celle du triple rejet : d’abord celui du prospect, puis celui de l’équipe, et enfin celui de soi-même, écœuré de se voir relégué au rang dégradant de quémandeur – a forgé, dans nos cultures pétries d’ego, une image détestable de cette pratique. Cachez donc cette prospection que je ne saurais voir !

Le “cold call” est mort

En parallèle, avec la montée en puissance des moyens digitaux – mails, réseaux sociaux, plateformes de mise en relation professionnelle, et messageries directes – de nombreuses voix se sont élevées ces 15 dernières années pour décréter le décès imminent du cold call. Jugé trop agressif, intrusif, malaisant et terriblement dégradant tant pour l’individu que pour l’entreprise qui l’emploie, la prospection à froid a été considérée comme totalement passéiste et, à terme, nuisible à l’image des professions commerciales dans leur ensemble.

En conséquence, notre paysage commercial “latin” s’est façonné à l’aune de ces croyances limitantes. Par crainte de paraître trop agressive, la croissance commerciale de nos entreprises s’est souvent retrouvée atone, voire mollassonne. Refroidie par l’horrible cold call, l’immense majorité des échanges clients passe désormais par la confortable boîte mail de l’entreprise. Dans les équipes commerciales, les “éleveurs” passifs abondent, tandis que les rares “chasseurs”, ceux qui osent encore composer un numéro et démarrer une conversation avec un parfait inconnu, sont à la fois recherchés comme des oiseaux rares et perçus comme des bêtes curieuses.

Outre-Atlantique, par contre, peu d’entreprises et d’auteurs ont abandonné le soldat cold call derrière les lignes de la digitalisation. Une culture plus axée sur l’opérationnel, plus orientée business, valorisant davantage le succès que la préservation de l’ego, couplée à l’habitude profondément ancrée de se servir du téléphone pour vendre – plutôt que de franchir des distances colossales – en ont fait les champions de la prospection. Là où nous avons fait glisser, par réflexe, nos efforts de prospection de la voix vers le digital pour éviter toute confrontation, les commerciaux américains, eux, ont renforcé l’impact de leur prospection téléphonique en la combinant habilement avec ces nouveaux canaux.

Moins “cold”, plus “fresh” !

Pourtant, chez nous, un vent de fraîcheur souffle actuellement sur le domaine. Depuis environ cinq ans, une toute nouvelle génération de cold callers a éclos, portée par l’essor de jeunes entreprises hyper dynamiques dans le numérique, les applications, et le SaaS. Ces petites structures, biberonnées à une culture entrepreneuriale fortement inspirée de la Silicon Valley, et gonflées à bloc par un esprit d’indépendance, d’autonomie, et par le culte du no pain, no gain, sont prêtes à casser les codes, sortir des moules traditionnels et tenter tout ce qui fonctionne. Elles proposent un modèle de réussite alternatif, en réaction à la rigidité des carrières classiques dans les grands groupes et les institutions, obsédés par les études, les diplômes, les réseaux, et les pistons. Pour la jeune génération qui embarque dans ces projets à croissance rapide, savoir vendre, et surtout savoir prospecter, c’est affirmer sa capacité de se nourrir soi-même, de ne plus être dépendant d’un système.

La digitalisation des plateformes d’appels et la systématisation des enregistrements ont accéléré ce renversement de tendance, rendant la prospection impossible à “planquer”. Jadis perçu comme la “boîte noire” de la vente, l’entretien téléphonique de prospection peut désormais être rejoué, réécouté, étudié et partagé sans aucune limite. Progressivement, la pudeur honteuse qui entourait la prospection chez les aînés a laissé place à un exercice franc, normalisé et décomplexé des méthodes qui fonctionnent et rapportent aux jeunes générations.

Il ne manquait plus que la démocratisation de l’enregistrement personnel et la popularisation des vidéos courtes pour parachever cette résurrection de la prospection, et la rendre enfin “hype” ! Les cravates ont disparu, les vestons prennent la naphtaline dans les placards. Les protagonistes, eux, sont en hoodies, casquettes, moustaches et bandanas. Face caméra, en streaming, Enzo Colucci et Julien Bouic passent des calls en live sur des cibles B to B intelligemment qualifiées, utilisant des numéros de portables scrapés sur le web et les réseaux. Ruben Taieb, de son côté, commente, célèbre, ou encourage. L’audience interagit via chat et messagerie. Ils se prennent des tôles, rient, dansent et passent au prochain appel. Paradoxe du funambule, on tremble pour eux, partagé entre l’ardent désir de les voir réussir et la jubilation coupable de les voir trébucher.

La formule du Kold.Club est née en septembre 2022 : une session de prospection en live, chaque vendredi de 11h à 12h, avec une audience plus qu’honorable et une communauté fidèle d’environ 1.000 membres. Surtout, le Kold.Club a ouvert un sillage fertile, entraînant dans sa suite une toute nouvelle génération de créateurs de contenu sur le même thème. Avec des formats courts, un brin spectaculaire – suspense oblige – et une répétition addictive, leurs vidéos, publiées régulièrement sur LinkedIn, Instagram, et même TikTok, sont largement suivies et commentées. Elles entraînent quotidiennement de plus en plus de vendeurs à se (re)mettre à prospecter. Qu’ils s’appellent Théo Pauchez, Cyriac Caillive, Pauline Perez, Augustin Tonnel ou Pierre Ardellier, chacun contribue, avec son propre style, à démontrer que la prospection est à la portée de tous et que l’humain, même à l’ère de l’IA, peut faire la différence.

Méta-analyse

L’avenir s’annonce plus fascinant encore ! Au sein des systèmes de big data, qui stockent désormais des pétaoctets de données de visios et d’appels, de nouvelles IA dotées de capacités de transcription et d’analyse infinies s’en donnent à cœur joie, croisant, explorant et identifiant les ingrédients qui font la réussite des appels les plus percutants. La méta-analyse en masse produira bientôt des conclusions qui permettront de savoir précisément ce qui fonctionne, ce qui percute, ce qui convertit au mot et à la modulation près ! Les prochains manuels de vente ne seront plus rédigés par des vendeurs ou des coachs formateurs, mais bien par des analystes capables d’attester de l’efficacité d’une formule par rapport à une autre, sur la base de millions d’appels passés, sans l’influence des biais de perception de l’appelant ou de l’observateur.

Le cold call est peut-être bien mort. Place au cool call. Autrefois froid et distant, il est devenu frais, nouveau, vivifiant. Alors entendez l’appel du cool calling, faites porter votre voix, et redonnez à la vente toute sa grandeur.

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