Pourquoi le courant passe difficilement entre certains promoteurs éoliens et les coopératives citoyennes

© François HUBERT
Bastien Pechon Journaliste

“Délicates”. Cet adjectif, lâché par un de nos interlocuteurs, résume à lui seul les relations qu’entretiennent certains promoteurs éoliens et certaines coopératives citoyennes. Reproches et inquiétudes pour les uns, défense de l’investissement citoyen pour les autres. Le marché doit s’en accommoder.

Lancé le 26 janvier 2017, le site Coopalacarte.be rassemble les projets de 22 coopératives d’énergies renouvelables actives en Belgique. Il a été créé par l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (APERe) et les fédérations wallonnes et flamandes des associations locales et coopératives d’énergie renouvelable (REScoop Wallonie et REScoop Vlaanderen) pour booster les investissements citoyens dans leurs projets. Un an après, cette vitrine comptait déjà 326.000 euros de promesses d’investissement en provenance de citoyens comme vous et moi.

Le site recense uniquement les projets issus de coopératives citoyennes. Les coopératives dites ” industrielles “, lancées par des producteurs d’électricité comme Electrabel (CoGreen) ou par des entreprises comme Colruyt (Eoly Coopération), ne sont pas répertoriées sur Coopalacarte.be. Celles-ci incluent bien des participations citoyennes mais elles ne sont pas entièrement gérées par les citoyens eux-mêmes. Nous n’aborderons donc pas ici ce type de structure.

Une fois inscrits sur Coopalacarte.be, les candidats investisseurs décident d’acheter des parts de 100, 200 ou 250 euros, selon les coopératives qu’ils ont choisies. Cette demande d’achat est ensuite envoyée à la coopérative concernée, qui se charge des formalités avec le candidat investisseur. Chaque citoyen peut investir jusqu’à 5.000 euros par coopérative.

Pierre Mat (Ventis):
Pierre Mat (Ventis): “Pour un projet éolien à Sprimont, il n’y aucune raison d’accepter des coopérateurs bruxellois ou flamands.”© belgaimage

Sous pression

Cette plateforme marque une structuration supplémentaire pour le secteur des coopératives citoyennes. Ces dernières s’affirment de plus en plus comme étant des acteurs incontournables du paysage énergétique wallon et bruxellois. Historiquement, la plupart de ces coopératives ont été fondées par des militants des énergies alternatives pour construire des éoliennes.

Une coopérative s’associe généralement à un promoteur pour développer son projet. Elle essaye d’être propriétaire de sa propre éolienne mais, bien souvent, elle n’en possède qu’une partie.

En Wallonie, les relations entre les promoteurs et ces coopératives peuvent être tendues. En particulier depuis le cadre de référence éolien proposé en 2013 par le ministre wallon de l’Energie de l’époque, Philippe Henry (Ecolo). Ce cadre de référence inscrit comme principe que ” les développeurs éoliens ouvriront le capital du projet, pour autant qu’une demande ( de la part d’une coopérative ou d’une commune, Ndlr) soit faite en ce sens, à la hauteur de cette demande “. Le document précise cependant que, dans un cas comme dans l’autre, les développeurs éoliens sont tenus d’ouvrir le capital de leur projet jusqu’à 24,99 %.

Adopté par le gouvernement wallon en juillet 2013, ce cadre de référence a par la suite été abandonné à cause d’une volée de critiques, essentiellement sur son second volet : une cartographie des zones où il est possible d’installer des éoliennes. Cependant, ce principe d’ouvrir le capital est resté. Ce n’est, certes, pas une obligation mais il a donné un argument important aux coopératives qui, selon des promoteurs éoliens, mettent la pression pour qu’ils acceptent de s’ouvrir à elles et d’intégrer leurs projets.

” Beaucoup de coopératives généralistes profitent de ce cadre, transforment les préconisations en réglementations pour s’inviter unilatéralement dans les projets, explique Pierre Mat, cofondateur de Ventis, une société de développement éolien. A chaque enquête publique, nous recevons des lettres de coopératives qui écrivent : ‘nous voulons participer au projet’.” Comme il ne s’agit pas d’une obligation, le promoteur éolien peut refuser cette prise de participation, mais ” le développeur privé a tout intérêt à ouvrir son projet pour que son permis soit accepté par le ministre “, prévient cependant Fawaz Al Bitar, conseiller éolien auprès d’Edora, la Fédération belge des énergies renouvelables.

Pourquoi le courant passe difficilement entre certains promoteurs éoliens et les coopératives citoyennes
© François Hubert

Des coopératives opportunistes ?

” Les coopératives n’ont jamais développé un projet de A à Z “, avancent certains promoteurs éoliens privés. Ce n’est pas le seul reproche qu’ils font à l’égard des coopératives. Certains trouvent qu’elles arrivent trop tardivement dans l’élaboration du projet. ” Elles entrent dans le jeu à partir du moment où elles entendent parler du projet et où nous avons déjà fait la réunion publique “, explique un promoteur qui souhaite garder l’anonymat. Elles n’ont donc pas participé aux travaux et aux études ultérieures.

” Il y a plusieurs moments où les coopératives peuvent entrer dans le projet “, explique Fawaz Al Bitar. L’idéal, c’est de faire du co-développement : une coopérative s’associe à un promoteur éolien dès le début, en partageant donc les frais de développement. Même si ce cas de figure s’est déjà présenté, cela reste peu courant. ” Il se présente rarement car cela implique une prise de risque importante pour une coopérative “, poursuit Fawaz Al Bitar.

Mais les promoteurs éoliens sont aussi confrontés aux risques… Entre autres celui que le projet n’aboutisse pas à cause de recours au Conseil d’Etat. Un seul mécontent suffit pour initier ce recours, ce qui est quasi devenu systématique aujourd’hui, avec le risque que le projet soit totalement annulé. ” A peine un permis sur cinq va conduire à une installation “, constate Fawaz Al Bitar. Il y a donc une grande instabilité juridique.

Quel prix pour le risque ?

Or, développer un projet demande des investissements conséquents. Rien que pour l’étude d’incidence environnementale, il faut compter entre 100.000 et 120.000 euros. Les grandes coopératives, qui ont déjà plusieurs projets en exploitation, pourraient encore se permettre de mettre une telle somme sur la table. Mais pour les plus petites, cela s’avère difficile de lever autant d’argent en sachant que quatre projets sur cinq n’aboutissent pas. ” Les coopératives récoltent souvent des fonds lorsque le permis est octroyé, et même parfois, lorsqu’il est devenu libre de tout recours et au moment où le développeur va effectivement construire “, poursuit Fawaz Al Bitar.

C’est là que le problème se pose. La coopérative va devoir négocier avec le développeur éolien qui, lui, a pris les risques. Elle va devoir racheter le permis. Or, ” il n’y actuellement aucune méthodologie pour calculer le prix de revente d’un permis “, analyse Fawaz Al Bitar. Les coûts de développement en eux-mêmes sont assez simples à déterminer : il suffit de se pencher sur les comptes du projet. Cependant, à ces coûts s’ajoute une prime de risque : bloqué au Conseil d’Etat, le projet aurait très bien pu ne pas aboutir. ” Certaines coopératives acceptent cette prime, d’autres sont juste prêtes à payer les coûts à livre ouvert “, explique Fawaz Al Bitar.

La négociation se complique davantage lorsque les coopératives s’immiscent dans le projet à un stade intermédiaire : entre l’idée et le bouclage. A ce stade, une partie du risque a déjà été assumé par le développeur éolien et une autre partie reposera sur les épaules des deux partenaires. Les coopératives revendiquent alors aussi leur apport dans le projet : faire du lobbying auprès de la commune, communiquer auprès des riverains, organiser des pétitions, représenter un ancrage local, etc. Une plus-value relativisée par certains promoteurs.

Un produit financier comme un autre ?

Via Coopalacarte.be, chaque citoyen peut donc investir dans des projets d’énergie renouvelable sans être pour autant riverain de l’éolienne qui va être installée et donc, sans en subir les éventuelles nuisances.

Ce principe pose question pour les détracteurs des coopératives éoliennes. Cette participation citoyenne serait-elle devenue un produit financier comme un autre ? ” Nous voulons rendre un pouvoir de contrôle aux citoyens sur la production d’énergie, clame Fabienne Marchal, présidente de REScoop Wallonie et de la coopérative Clef. Nous ne voyons donc pas pourquoi l’énergie devrait être quasi exclusivement maîtrisée par des groupes qui n’ont pas leur centre décisionnel en Belgique. ”

Mais lorsqu’un projet est plébiscité par un grand nombre de citoyens à travers la souscription de parts dans une coopérative, cela laisse également peu de marge de manoeuvre aux groupes de riverains qui s’y opposeraient. Ce à quoi Fabienne Marchal réplique : ” Pourquoi ceux qui n’auraient pas un parc éolien près de chez eux ne pourraient pas investir dans la transition énergétique ? “.

N’autoriser la souscription de parts qu’aux seuls riverains de la commune restreindrait de facto la somme récoltée, et donc la part de l’investissement citoyen dans le projet. Mais pour Pierre Mat, cofondateur de Ventis, cet investissement citoyen n’est, par définition, pas un produit financier comme un autre. ” Pour un projet éolien à Sprimont, il n’y aucune raison d’accepter des coopérateurs bruxellois ou flamands. Pour nous, la partici- pation citoyenne doit être locale. C’est au promoteur, avec la commune, d’organiser cette coopérative. ” L’idée de Pierre Mat est de créer une coopérative pour un seul projet et dans laquelle peuvent investir uniquement les riverains. Le capital de cette coopérative serait donc composé pour moitié d’une participation citoyenne et d’une participation communale pour la moitié restante. Une fois constituée, la coopérative devient actionnaire de la société d’exploitation de l’éolienne, dans laquelle est également actionnaire Ventis.

Fabienne Marchal (REScoop, Clef
Fabienne Marchal (REScoop, Clef ” Nous voulons rendre un pouvoir de contrôle aux citoyens sur la production d’énergie. “© pg

Le spectre d’une dictature

Dans la plupart des coopératives, chaque coopérateur possède une voix à l’assemblée générale, qu’importe le nombre de parts qu’il possède. Exception faite de la coopérative Clef où, historiquement, chaque coopérateur a une voix par part souscrite. ” Mais personne ne peut voter pour plus de 10 % des voix des votants lors d’une assemblée “, nuance Fabienne Marchal, présidente de Clef. Un mode de fonctionnement qui se veut plus démocratique que dans une entreprise où chaque actionnaire a autant de pouvoir que sa part dans le capital est importante.

Beaucoup de coopérateurs n’assistent pas à ces assemblées générales, qui se déroulent une à plusieurs fois par an selon les coopératives. Sur les 1.267 coopérateurs que compte Clef, seulement 173 d’entre eux étaient présents ou se sont fait représenter à la dernière assemblée générale, le 18 mai dernier. Ils peuvent en effet voter par procuration pour élire les membres du conseil d’administration. Ce qui présente un risque important : d’autres membres pourraient récolter un maximum de procurations et représenter les coopérateurs absents. Une ” campagne électorale ” avec un risque d’informations partielles, biaisées, voire de fake news pour s’adjuger un maximum de voix et de pouvoir. Un épisode similaire s’est produit il y a quelques années dans la coopérative Emissions Zéro. Le problème a été résolu avec l’instauration d’une règle d’un nombre de procurations limité par coopérateur. Pour la coopérative Clef, par exemple, il s’agit de deux procurations par personne. Un cas de figure qui a fait jurisprudence auprès des autres membres de REScoop Wallonie.

Un investissement risqué

Fawaz Al Bitar (Edora)
Fawaz Al Bitar (Edora) ” A peine un permis d’éolienne sur cinq va conduire à une installation effective. “© pg

Après avoir souscrit une part dans le capital de la coopérative, le coopérateur peut espérer jusqu’à 6 % de dividende, le maximum légal. Cependant, cela reste un placement risqué : ce dividende évolue et il est possible qu’il ne soit pas distribué certaines années.

Il y a également le risque de ne pas retrouver son capital de départ à la fin du projet, ou quand la coopérative revient vers ses coopérateurs pour lever des fonds, en cas d’avarie ou de rénovation d’une éolienne en fin de vie (même s’il existe des garanties et des contrats de maintenance prévus pour une partie de la durée de vie de la centrale). Tout dépend de la manière dont la coopérative est gérée et si elle a suffisamment budgétisé pour ces aléas.

Au terme de notre enquête, nous n’avons pas eu connaissance d’un organisme de contrôle qui suivrait au jour le jour la gestion d’une coopérative. C’est donc à l’investisseur lui-même de bien s’informer avant et après son investissement ( lire l’encadré ” Quelques conseils avant d’investir “). En gardant à l’esprit que cela reste un investissement plus risqué qu’un placement dans un compte d’épargne ou une créance accordée via une opération de crowdfunding(lire l’encadré ” Option moins risquée : le crowdfunding “).

Option moins risquée : le crowdfunding

La coopérative n’est pas la seule forme de participation citoyenne dans un projet éolien. Certaines communes, par exemple, taxent les éoliennes qui s’installent sur leur territoire. Le promoteur éolien, pour autant qu’il soit fournisseur d’énergie, peut également proposer à la commune de lui fournir de l’électricité à un tarif préférentiel, fixé pour 20 ans, par exemple.

Mais les citoyens peuvent également participer à une opération de crowd-funding. C’est ce qu’a mis sur pied Eneco pour son projet de cinq éoliennes sur les communes de Léglise et de Neufchâteau. Le producteur et fournisseur d’électricité a ainsi récolté 299.750 euros via cette opération de financement. Les riverains pouvaient acheter des parts de 250 euros, pour un total de maximum 5.000 euros. Cependant, il ne s’agit pas d’une prise de capital mais d’une créance. ” Le risque est quand même moindre qu’un système d’actions “, explique Arnaud Janvier, wind development manager chez Eneco. L’investisseur est ainsi garanti de recevoir un rendement de 4 % durant six ans, et de récupérer son capital au terme de cette période. Les habitants des communes concernées ont pu investir prioritairement dans cette campagne de crowdfunding, avant de l’ouvrir à un public plus large.

Quelques conseils avant d’investir

– Les coopératives faisant partie de REScoop et référencées sur Coopalacarte.be sont agréées auprès du Conseil national de la coopération. Elles doivent, en plus, respecter une série de règles pour faire partie de ce réseau et être référencées sur cette plateforme.

– Certaines coopératives présentes sur Coopalacarte ont également le label Financité & FairFin. Ce label prouve qu’une coopérative a un impact bénéfique sur la société, en matière d’environnement dans le cas présent. Parmi les critères requis pour bénéficier de ce label, il y a celui de la transparence. ” Nous regardons les documents qui sont fournis aux candidats investisseurs, vérifions qu’il n’y ait pas d’incohérence entre les chiffres, etc. “, explique Annika Cayrol, coordinatrice des services chez Financité.

– Consultez les statuts de la coopérative pour savoir dans quelles conditions vous pouvez récupérer votre capital. En général, deux procédures peuvent s’appliquer. Un autre coopérateur peut vous racheter vos parts. C’est le moyen le plus rapide. Une seconde procédure, plus longue, consiste à ce que la coopérative elle-même vous rachète vos parts, si toutefois cela ne la met pas en péril. Une fois la demande envoyée, il faut souvent compter un an, au minimum, avant de retrouver son dû. Certaines coopératives imposent de laisser les parts un certain nombre d’années avant de pouvoir les retirer.

– Une coopérative qui a diversifié ses investissements à travers plusieurs projets différents est, a priori, plus solide qu’une coopérative qui a investi dans un seul projet.

– Les comptes annuels disponibles sur le site de la Banque nationale de Belgique, dans la Centrale des bilans, sont aussi une bonne source d’informations.

– Renseignez-vous sur l’histoire de la coopérative, sur ses fondateurs, sur les membres du conseil d’administration, sur les professions de ses administrateurs, etc.

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