Plongée dans l’antre de Tesla

. © Alexis Georgeson/PG

Le jeune constructeur de berlines électriques fabrique plus de 1.000 véhicules par jour, en plein coeur de la Silicon Valley. “Trends-Tendances” a poussé les portes de l’usine principale de Tesla, la firme qui veut révolutionner le monde de l’automobile.

A Fremont (Californie), les chauffeurs de taxis ont bien du mal à vous amener au centre-ville. Et pour cause : dans cette banlieue américaine typique, quadrillée de routes à six bandes desservant une longue litanie de résidences pavillonnaires, de supermarchés et de fast-food, ” downtown ” est un concept qui n’existe pas. Par contre, tous les chemins mènent à l’usine Tesla, véritable attraction de cette cité industrielle logée à quelques coups de volant de Menlo Park, siège de Facebook, et de Mountain View, repère de Google.

Pour la visite des lieux, Tesla se la joue en mode parc d’attractions. Steve, notre guide du jour, nous installe dans une voiturette de golf pour un parcours non fléché à la découverte d’une usine qui s’étale sur 500.000 m2. Nous remontons la ligne de production, où travaillent chaque jour plusieurs milliers d’ouvriers, en horaires décalés. Des robots s’affairent autour d’une succession de portières. Le métal se compresse, se tord, se découpe pour prendre la forme recherchée. Avant de passer dans une sorte de chambre froide à l’aspect clinique, où certains éléments choisis au hasard seront jaugés et mesurés sous toutes les coutures, afin de s’assurer qu’ils ne présentent aucun défaut de fabrication.

Plongée dans l'antre de Tesla
© DR

Les lieux dégagent une atmosphère mixant la tradition automobile américaine et l’univers technologique de la Silicon Valley. Pour se donner un vernis contemporain rappelant l’esprit start-up, les lieux ont été peints dans un blanc immaculé. Les pièces détachées en aluminium brillant, les polos noirs d’encre des ouvriers et les robots rouge vif baptisés des noms de X-Men célèbres (Wolverine, Storm, The Beast, etc.) percutent d’autant mieux la rétine. Bien que la chaîne de montage de Tesla ressemble en de nombreux points à celles des acteurs traditionnels de l’automobile, le rendu visuel plonge le visiteur dans une sorte de représentation cinématographique de l'” usine du futur “.

Un petit constructeur aux ambitions démesurées

Personne n’avait osé créer un nouveau constructeur automobile depuis des décennies.

De ce gigantesque hangar sortent chaque jour plus de 1.000 voitures. Une paille en comparaison d’un géant de l’automobile comme Volkswagen, qui a vendu près de 10 millions de véhicules en 2015. Il s’agit pourtant d’une incroyable performance pour un constructeur qui a vu le jour en 2003 et livré sa première voiture – un roadster – en 2008. Personne n’avait osé créer un nouveau constructeur automobile depuis des décennies. Le fantasque Elon Musk, qui a bâti sa fortune en revendant la société Paypal, l’a fait. Qui plus est en misant sur une technologie encore inaboutie : le moteur fonctionnant à 100 % à l’électricité.

L’usine de Fremont turbine sur deux fronts. Elle produit le Model S, la berline électrique, modèle le plus connu actuellement en Europe. Une deuxième ligne de production, plus récente, fabrique le Model X, le nouveau SUV aux portes en ” ailes de faucon ” inspirées de la DeLorean du film Retour vers le Futur , dont les premiers exemplaires ont été livrés aux Etats-Unis. Suivra par la suite le Model 3, qui devrait selon la marque signer le début d’une véritable production industrielle atteignant 500.000 véhicules par an dès 2018.

Cette prédiction, beaucoup d’observateurs la jugent trop optimiste. Il faut dire qu’Elon Musk a souvent mangé ses promesses. Il a dû retarder la livraison des premières séries, qui étaient loin d’être prêtes. Alors que les premiers roadsters étaient pré-commandés à 92.000 dollars, le patron a même relevé leur prix en cours de route à 109.000 dollars. Plus récemment, il a annoncé que Tesla fournirait 80.000 à 90.000 voitures d’ici la fin de l’année, mais au terme du premier semestre seuls 29.000 véhicules ont été achevés. Malgré ces retards à l’allumage, l’engouement suscité par ces voitures électriques d’un nouveau genre ne faiblit pas : 373.000 Model 3 (prix plancher annoncé : 36.000 euros, soit environ la moitié du prix des Model S et X) ont déjà été pré-commandés, alors que les premières livraisons ne commenceront qu’en 2017 !

Une base de fans

Pour comprendre l’enthousiasme qui accompagne le développement de cette marque devenue emblématique en quelques années, il faut se plonger dans les innovations apportées par Tesla à la conduite automobile. Des innovations qui ont séduit en premier lieu – ce n’est pas un hasard – les (riches) fans de techno tendance écolo vivant dans la Silicon Valley. ” Jusqu’à présent, toutes les voitures électriques étaient nulles “, déclarait un Elon Musk très sûr de lui, lors de la présentation de la première Tesla en 2006 *.

Principal signe distinctif du bolide : le mode de propulsion lui-même, qui renvoie le pétrole aux oubliettes. Elément central des véhicules de la marque, la batterie constitue le challenge majeur relevé par les équipes de recherche et développement de Tesla. Dès l’origine, la conviction des cofondateurs de la start-up est la suivante : les performances des batteries lithium-ion s’amélioreront et permettront d’assurer une autonomie suffisante aux véhicules électriques. Les Tesla sont donc alimentées par des batteries similaires à celle qui se trouve dans votre smartphone. En beaucoup plus gros. Pour éviter d’encombrer l’habitacle, l’entreprise a choisi de la placer sous la voiture, où elle occupe la quasi-totalité de la superficie du véhicule.

Pilote automatique, mais pas infaillible

Le pilote automatique, qui constitue l’un des arguments de vente de Tesla, a été mis en cause dans un récent accident mortel. Le logiciel n’a pas détecté la présence en travers de la route d’un camion blanc, qui se serait confondu avec un ciel très lumineux. Le conducteur n’a pas freiné non plus et est mort dans l’accident. Une bien mauvaise publicité pour Tesla. La société se défend en rappelant que le pilote automatique est une aide à la conduite, qui ne peut pas se substituer à l’attention permanente du conducteur. Selon Elon Musk, le bilan global du pilote automatique est positif, le risque d’accident mortel étant plus faible avec son système qu’avec un véhicule “classique”. Cet accident n’empêche pas Tesla de poursuivre les développements du système. Selon certains médias spécialisés, la société prépare une nouvelle version du logiciel, qui détecte les feux de signalisation et les panneaux “stop”.

La batterie est l’un des derniers éléments à être attaché au véhicule, tout au bout de la chaîne de montage de Fremont, pour les véhicules destinés au marché américain, ou de la petite unité d’assemblage de Tilburg, aux Pays-Bas, où arrivent (par bateau et en pièces détachées) les voitures commandées sur le continent européen. Le placement de la batterie se fait en quelques minutes – une exigence particulière d’Elon Musk. Le grand patron a en effet promis à ses clients qu’ils pourraient un jour choisir de recharger leur batterie dans un centre Tesla… ou de l’échanger contre une batterie chargée à 100 %, pour le prix d’un plein d’essence *.

Une batterie, 600 kilos

La principale performance de Tesla est d’avoir créé une batterie affichant une autonomie de 400 km. Revers de la médaille : la taille mais surtout le poids de la batterie ont obligé Tesla à apporter certaines adaptations aux lignes de production. A Fremont et Tilburg, les blocs- batterie, qui pèsent chacun entre 600 et 700 kilos sont transportés par des robots entièrement automatisés. Lorsqu’ils sont arrimés au véhicule, ils nécessitent l’intervention de deux robots articulés (les fameux X-Men), au lieu d’un chez les autres constructeurs. Le poids élevé de la batterie assure une bonne stabilité du véhicule, lui permettant de passer haut la main les tests de sécurité. Mais c’est un facteur handicapant pour une voiture de luxe que le constructeur a voulu ” sportive “.

La principale performance de la Tesla: une batterie qui offre une autonomie de 400 km.
La principale performance de la Tesla: une batterie qui offre une autonomie de 400 km.© DR

Pour compenser, le squelette de la voiture a été construit en aluminium, un métal plus léger que l’acier habituellement utilisé dans l’industrie automobile. Ce choix a compliqué la vie des sous-traitants de Tesla, peu habitués à traiter ce matériau. La ligne de production elle-même a dû être adaptée à ce métal plus malléable, qui nécessite plus de travail en amont, mais permet de réduire de 30 % le poids du châssis.

Au total, une Tesla pèse environ 2 tonnes. Mais la puissance du moteur électrique permet au modèle le plus sportif de passer de 0 à 100 km/h en 2,8 secondes. Ce moteur est une version simplifiée et miniaturisée des traditionnels moteurs à explosion. En fonction des modèles et de leur puissance, Tesla en installera un ou deux. Alignés en rang d’oignons dans l’usine de Fremont, ils attendent bien sagement d’être intégrés dans les voitures pré-commandées par les clients.

Un cerveau sous le capot

Une fois que la mécanique et l’électronique ont été assemblés, il ne reste plus qu’à injecter le logiciel dans l’habitacle. ” C’est là que la voiture reçoit son cerveau “, explique Berith Behrens, communication manager de Tesla Benelux. C’est aussi avec ce logiciel et la technologie embarquée que Tesla veut faire la différence avec le reste de l’industrie automobile. Née dans la Silicon Valley, l’entreprise a construit un produit physique qui emprunte les codes du marché de l’électronique grand public.

Comme un certain Apple, la marque Tesla veut créer des produits attractifs, mais aussi proposer au consommateur un écosystème complet. C’est la raison pour laquelle les voitures de la marque disposent d’un système de mise à jour, permettant de proposer instantanément à toute la flotte les dernières innovations. ” Nous partons du principe que la technologie est censée être toujours la meilleure, avec les fonctionnalités les plus récentes. C’est un parallélisme intéressant avec les appareils individuels comme les smartphones “, pointe Khobi Brooklyn, directrice de la communication de la firme.

La différence principale avec le marché du smartphone reste le prix de la voiture, assez inabordable pour la plupart des consommateurs. Le pari d’Elon Musk est de basculer progressivement d’un produit de luxe vers une production de masse. Il espère pouvoir réaliser cette évolution en réduisant le prix de ses véhicules. Comment ? En diminuant le coût de ses batteries, grâce à la Gigafactory. Cette usine gigantesque, qui ouvrira ses portes fin juillet dans le désert du Nevada, est destinée à produire massivement des batteries pour Tesla.

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Innovation et réindustrialisation

Si Elon Musk réussit son pari fou, il aura contre toute attente sauvé un pan important de l’activité industrielle de Fremont. L’usine locale appartenait auparavant à General Motors, qui avait annoncé sa fermeture. Telsa l’a rachetée en 2010, avec une partie de l’outillage. Si la société accède un jour à une certaine solidité financière (elle a brûlé énormément d’argent depuis sa création en 2003 et n’est pas encore rentable), Tesla pourrait démontrer que technologie et innovation peuvent rimer avec réindustrialisation.

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Plongée dans l'antre de Tesla
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* “Elon Musk, l’entrepreneur qui va changer le monde”, Ashlee Vance, Editions Eyrolles, 2016.

Par Gilles Quoistiaux, à Fremont

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