Personal branding: quand la voix des CEO devient stratégique sur les réseaux sociaux

Le personal branding du CEO est un outil de la stratégie de communication d’une entreprise. © Getty Images
Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Donner une voix à l’entreprise. Attirer et retenir les talents. S’engager sur des sujets de société. Les raisons pour lesquelles les CEO investissent les réseaux sociaux sont multiples. Mais dans un monde saturé de contenus, chaque prise de parole doit être pensée, authentique et en accord avec la vision de l’entreprise.

Vlog #153 : “On est en dessous de la gare de Charleroi pour cette visite de terrain”. Entouré de Paul Magnette, bourgmestre de Charleroi, Sophie Dutordoir, patronne de la SNCB, et d’une série d’officiels, le patron d’Infrabel, Benoît Gilson, tient son smartphone en “face cam”. Tourné vers lui, son téléphone enregistre des séquences vidéo dans lesquelles il commente sa visite sur un chantier carolo. Présentateur, il explique ce qu’il fait là, présente des personnes autour de lui et en interroge même, comme un journaliste. “Alors, Paul Magnette, un avancement assez impressionnant ?”, lance-t-il au bourgmestre pour le faire réagir sur ce qu’il voit.

Parmi les patrons belges, Benoît Gilson fait plutôt figure d’exception : peu vont aussi loin dans la mise en image et dans le partage, même si l’on observe une nette augmentation de la prise de parole des dirigeants sur des plateformes de réseaux sociaux, LinkedIn en tête.

Dans un monde où la communication et l’image sont omniprésentes, les CEO ne peuvent plus se contenter de gérer leur entreprise dans l’ombre. Aujourd’hui, la visibilité personnelle des dirigeants sur les réseaux est devenue un vrai sujet, et la thématique du personal branding reste au centre des intérêts des patrons… et de leur entreprise. Dans la plupart des cas, la question n’est plus de savoir s’ils doivent être ou non présents sur les réseaux, mais sur lesquels, de quelle manière… et pour quelle raison exactement.

“On voit parfois la visibilité des CEO sur LinkedIn comme une simple question d’ego, analyse Xavier Degraux, spécialiste des réseaux sociaux et formateur. Mais ce n’est pas ce que je constate au quotidien. Les drivers d’une stratégie de personal branding en ligne sont très différents, mais toujours liés à des stratégies qui dépassent les patrons.”

De fait, “les comptes des dirigeants sur les réseaux doivent servir à quelque chose, prévient Vincent Pittard, consultant et chargé de cours en ‘e-réputation’. Il faut savoir et comprendre quel est l’objectif poursuivi. Dans la plupart des cas, cela fait partie d’une approche plus globale de l’entreprise et cela correspond à des objectifs business. Le personal branding du CEO devenant, alors, un outil de la stratégie de communication de la boîte. Les dirigeants doivent absolument réfléchir à leur présence en ligne comme un élément clé de la stratégie de l’entreprise”.

Que ce soit pour positionner l’entreprise dans un secteur concurrentiel, pour montrer une vision forte ou pour accompagner un projet de croissance, la prise de parole du patron s’aligne sur des objectifs stratégiques clairs. Cela demande de définir en amont les raisons précises pour lesquelles ce personal branding est nécessaire, et de les ajuster en fonction des besoins de l’entreprise et de l’évolution du marché. “Le patron est le premier ambassadeur de l’entreprise et son premier commercial, réagit Manuel Pallage, CEO de la firme informatique NSI. Pour moi, ne pas être sur les réseaux sociaux serait un abandon de poste. Il faut communiquer, d’autant que le message qu’on véhicule en tant que personne a plus d’impact que celui transmis par l’entreprise.”

Recruteur en chef

Xavier Degraux abonde largement en ce sens et précise que “souvent, c’est le département communication de l’entreprise ou les ressources humaines qui initient cette démarche, avant de se rendre compte que le CEO doit aussi être intégré à l’équation”. Le spécialiste des réseaux sociaux souligne par ailleurs que cette montée en puissance de la prise de parole sur LinkedIn est souvent motivée par des enjeux de recrutement, d’attractivité et de rétention de talents. Dans un contexte où la guerre des talents fait rage et où les entreprises font face à des métiers en pénurie, le fait qu’un dirigeant incarne les valeurs de l’entreprise sur les réseaux permet d’envoyer un message fort aux employés et aux candidats potentiels.

“La raison première de mes vidéos en ligne était la motivation du personnel, témoigne Benoît Gilson, CEO d’Infrabel. Il s’agissait d’une manière d’être proche de nos quelque 10.000 collaborateurs. Et de partager une vision et les réussites de l’entreprise. Et puis, on s’est rendu compte que cela jouait un rôle dans l’employeur branding, sachant qu’on recrute entre 700 et 800 personnes par an. Nous avons pas moins de 800 métiers différents et, dans mes vidéos, je présente souvent des collègues, ce qui permet de montrer ce que c’est que de travailler chez nous.” Dans cet exemple, le dirigeant devient ainsi le visage de la culture d’entreprise et montre ce que cette dernière peut offrir en termes de vision, d’engagement et d’environnement de travail.

https://startupvie.co/De manière générale, une présence sur les réseaux, “rend le CEO accessible et cela attire plus, détaille Xavier Degraux. Notamment certains types de profils qui cherchent à s’identifier. C’est le côté role model des patrons.” Pour Thierry Huart-Eeckhout, qui a lancé l’agence 2 Hours Studio, qui enregistre des vidéos pour les CEO et chefs d’entreprise, “un patron présent et actif sur les réseaux inspire confiance, montre qu’il est accessible et à l’écoute, ce qui renforce l’attachement des employés et améliore leur fidélisation. Le personal branding devient ainsi un levier puissant dans les stratégies de recrutement et de rétention des talents”.

Une présence sur les réseaux rend le CEO accessible et cela attire plus
Xavier Degraux

Xavier Degraux

Expert en communication

Mais bien sûr, le personal branding ne concerne pas uniquement le recrutement. Il peut s’inscrire dans une stratégie d’entreprise bien plus vaste, pouvant inclure des opérations de notoriété, le positionnement de marque, ou encore le dépoussiérage de l’identité d’une société. La présence sur les réseaux permet également de préparer des étapes cruciales telles qu’une fusion-acquisition ou une introduction en bourse. Dans ces contextes, la voix et l’image du CEO peuvent servir de leviers pour rassurer les parties prenantes, gagner en crédibilité ou séduire de nouveaux investisseurs.

Emna Everard, fondatrice de Kazidomi, start-up qui commercialise en ligne des produits sains et bios, joue pleinement la carte des réseaux.

Incarner la boîte

L’objectif peut aussi être plus large et soutenir le positionnement de l’entreprise, de sa marque ou de ses produits. Emna Everard, fondatrice de Kazidomi, start-up qui commercialise en ligne des produits sains et bios, joue pleinement la carte des réseaux. L’entrepreneuse compte plus de 45.000 abonnés sur LinkedIn et 5.000 sur Instagram. Elle assure ainsi une présence régulière sur l’une et l’autre plateforme.

“Je ne suis pas une influenceuse, se défend-elle d’emblée. Mon objectif est avant tout de donner de la visibilité à Kazidomi. En tant que marque B to C, j’ai réfléchi à l’intérêt d’être sur les réseaux et quel était le canal le plus approprié à utiliser. Et pourquoi il est aujourd’hui plus difficile de percer sur les réseaux avec une page de marque qu’avec un compte personnel ? Comme j’ai lancé Kazidomi parce que je consomme sain et que je suis convaincue qu’il faut consommer mieux, je constitue en quelque sorte ‘le persona’ des clients du site. Dans cette optique, ma présence sur les réseaux fait sens.” Mais elle l’a bien compris, “les gens ne vous suivent pas si vous êtes une affiche publicitaire” et il faut éviter d’écrire et de partager tout et n’importe quoi. Tout doit être assez bien maîtrisé.

“Le point de départ, évoque Xavier Degraux, spécialiste des réseaux sociaux et formateur, c’est de créer une posture, c’est-à-dire un projet éditorial autour du nom de la personne. Comment la positionner ? L’image qu’elle veut refléter ?” Les postures peuvent être nombreuses : de manager qui est sur le terrain avec ses équipes et ses clients, à visionnaire qui comprend et explique les transformations en cours et à venir de son secteur, en passant par porte- parole qui incarne, explique et répond aux interrogations sur son entreprise, son environnement et le secteur… Évidemment, chacun de ces types de positionnement doit être cohérent avec la stratégie de communication globale de l’entreprise et adapté aux attentes des audiences cibles.

Une fois la posture définie, “on traduit ensuite cela concrètement dans un calendrier éditorial type, enchaîne Xavier Degraux. On choisit le rythme de publication, le mix de formats (textes, vidéos…), les cibles différentes, etc. Comme s’il s’agissait d’une marque.”

Mais dans tous les cas, qu’il s’agisse de contenu ou de forme, tout est question de sensibilité du patron. Il doit se sentir à l’aise et, surtout, doit s’y impliquer. Pas forcément à 100% et dans les moindres détails, mais il doit idéalement valider les approches de contenus, les messages… et savoir quand tout cela est mis en ligne. Quoi de plus désagréable pour un patron que d’être questionné sur un contenu en ligne lors d’un cocktail mondain s’il n’est pas au courant de sa publication ?

Quel type de contenus partager ?

Autant être direct : il n’y a pas de règle puisque chaque patron va définir différemment ses objectifs et sa posture. “Je pars toujours des affinités et de la personnalité du patron, détaille Vincent Pittard. Il convient d’accompagner une démarche naturelle et de s’adapter à la cible définie. Car au final, c’est elle qui détermine les canaux et les contenus.” Un bon contenu de personal branding doit idéalement être à la fois informatif, authentique et en lien direct avec les objectifs de l’entreprise. Le choix des sujets doit refléter la personnalité du dirigeant tout en répondant aux attentes du public.

Postant plusieurs posts par semaine sur LinkedIn comme sur Instagram, Emna Everard de Kazidomi a bien compris les codes des différents réseaux. “Pour que la marque ressorte mieux, analyse-t-elle, il faut voir d’autres sujets. Voilà pourquoi j’en ai identifiés qui me tiennent à cœur, qui me correspondent et qui fonctionnent bien sur LinkedIn : les sujets RH et les partages d’expérience d’entrepreneur.” Le tout avec un ton qui lui est propre et qui semble plaire. “J’ai une communauté généralement bienveillante et je reçois beaucoup plus de feedbacks positifs que de messages de haters. J’en ai, mais cela fait partie du jeu. Reste que je choisis mes sujets : je ne suis pas quelqu’un de polémique et je ne veux pas aller sur ce type de sujets en ligne.”

Je reçois beaucoup plus de feedbacks positifs que de messages de haters.
Emna Everard,

Emna Everard,

CEO de Kazidomi

Il convient, en effet, de bien mettre la barrière sur les thèmes à aborder selon l’image et la posture prise par le dirigeant. Vincent Pittard préconise ainsi de bien déterminer la “ligne éditoriale” des thèmes à aborder, en positionnant les curseurs, de jamais à toujours, sur chaque grand sujet potentiellement polémique : politique, taxation, énergie, droits humains, développement durable, etc.

Parler bébé et musique ?

Et la vie privée dans tout cela ? Jusqu’où faut-il aller dans la transparence et le partage sur les réseaux ? Dans l’une ou l’autre de ses publications, Emna Everard a annoncé sa récente grossesse. Un sujet qu’elle a volontairement choisi de partager. “On me disait parfois que tout ce que je réalisais était forcément plus facile parce que j’étais sans enfant, mais que d’autres femmes avaient d’autres réalités et qu’entreprendre n’était pas aussi simple avec des enfants, témoigne-t-elle. Alors, en évoquant ma grossesse, j’ai eu envie de montrer aux femmes que c’est possible de cumuler les deux. Le sujet de l’entrepreneuriat féminin me tient à cœur et c’était assez naturel finalement de partager cela.”

Vincent Pittard rappelle qu’il n’y a pas de règle universelle, chaque patron doit fixer ses propres limites. Cependant, il est essentiel de ne pas tomber dans un storytelling trop personnel qui pourrait détourner l’attention de l’entreprise et diluer l’image professionnelle du dirigeant. Le personal branding doit rester authentique, mais stratégique : il faut partager suffisamment pour humaniser l’image, sans pour autant sacrifier la vie privée ou brouiller les messages professionnels. Pour Thierry Huart, spécialiste de la vidéo, les anecdotes personnelles et les moments de succès ou d’échec des dirigeants résonnent particulièrement bien auprès des publics.

Il ne faut pas tomber dans un storytelling trop personnel qui pourrait diluer l’image professionnelle du dirigeant.
Vincent Pittard

Vincent Pittard

consultant et chargé de cours en “e-réputation”.

Mais certains se plaisent à s’aventurer sur le terrain des hobbies. C’est par recherche d’authenticité que Manuel Pallage, CEO de la société informatique NSI, a commencé à parler de sa passion, une fois par semaine, sur son profil LinkedIn. L’homme à la tête d’une entreprise de plus de 1.800 personnes est un fan absolu de musique et écrit d’ailleurs des chansons. “Pour avoir une vraie pertinence sur les réseaux, les gens doivent sentir que c’est vous-même, souligne-t-il. Cela me paraissait être moi-même de parler de musique. Toute la semaine, je parle de business en ligne. Le week-end, je casse les codes en parlant de musique. Cela me fait un bien fou.”

Chacun fait, fait, fait, c’qui lui plaît…

Enfin, le choix du format est un autre élément crucial dans une stratégie de personal branding. Là non plus, pas de règle particulière. Le patron doit être à l’aise dans ce qu’il fait. Si Benoît Gilson apprécie se filmer lui-même dans ses vlogs, d’autres préféreront l’écrit. Le format texte restant incontournable pour partager des idées plus complexes ou des réflexions stratégiques. Certes, la vidéo est ainsi un format puissant, particulièrement sur LinkedIn, où la capacité d’un patron à être vu et entendu directement peut faire toute la différence. Mais tout est question de justesse. Mieux vaut un texte juste, agrémenté d’une bonne photo qui parle au public, qu’une vidéo qui sonne faux !

Que ce soit en vidéo ou à l’écrit, la sincérité est ce qui capte véritablement l’attention.

Car au final, il ne s’agit pas simplement de choisir les bons sujets ou le bon format, mais bien d’incarner pleinement ce que l’on partage. Il ne s’agit pas de se conformer à une mode ou à une stratégie prédéfinie, mais de rester fidèle à soi-même dans chaque prise de parole. Cette authenticité s’exprime à travers le ton, le contenu et la manière de se présenter. Que ce soit en vidéo ou à l’écrit, la sincérité est ce qui capte véritablement l’attention. Le personal branding ne doit jamais être une mise en scène éloignée de la réalité : il doit refléter la véritable identité du patron, alignée avec les valeurs et les ambitions de l’entreprise.

Soyez à la fois autruche, mammouth et papillon
Comme dans la vraie vie, sur les réseaux sociaux, chacun cultive son propre style. Dans un ouvrage paru il y a plusieurs années, Vincent Pittard, spécialiste en “e-réputation”, avait symbolisé les patrons sur les réseaux par trois animaux… bien différents.
Les autruches adoptent le principe “Pour vivre heureux, vivons cachés”. Craignant l’exposition médiatique, ces dirigeants préfèrent la discrétion. Cependant, dans l’ère numérique actuelle, cette stratégie est risquée : leur image peut être façonnée par d’autres. Cette prudence manque de proactivité dans un monde où la transparence est cruciale.
Les mammouths, adeptes d’une communication traditionnelle, privilégient des messages contrôlés, souvent préparés par une équipe, et validés juridiquement. Leur approche descendante manque d’interactivité, ce qui les rend moins adaptés à un environnement numérique où rapidité et dialogue sont essentiels.
Les papillons, quant à eux, sont omniprésents en ligne, tweetant et postant sans relâche. Ils offrent une grande visibilité à leur entreprise, mais souvent de manière désordonnée, sans stratégie à long terme. Leur enthousiasme les pousse à s’éparpiller, au risque de brouiller leur message et de compromettre leur image professionnelle.
Pour Vincent Pittard, ces différents profils ne sont pas forcément tous mauvais. Mais la clé du succès online réside dans un équilibre subtil entre ces trois approches. “Un dirigeant efficace sur les réseaux sociaux doit combiner la prudence de l’autruche, la puissance du mammouth et la vivacité du papillon. Il doit savoir se montrer quand il le faut, interagir avec son audience de manière authentique, tout en conservant une certaine maîtrise de son image et de ses messages”.

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