Pas assez de capital-risque de taille moyenne

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Une étude sur le capital-risque en Europe montre que les fonds de “venture capital” belges reçoivent presque moitié moins de propositions d’investissement que leurs homologues européens. En exergue, aussi: l’importance de la qualité du management dans le choix des projets.

Les gazelles et les licornes sont souvent sur le devant de la scène économique. Mais derrière ces histoires de croissance fabuleuse, il y a des investisseurs qui ont eu confiance dans le potentiel de ces jeunes entreprises. Ces venture capitalists ou capitaux-risqueurs sont souvent très discrets. Une enquête menée auprès de 885 investisseurs en capital-risque en Europe, dont environ 80 en Belgique, lève cependant un coin du voile.

Sophie Manigart, professeur à l’UGent et à la Vlerick Business School.

Les fonds de venture capital qui ont répondu à l’enquête reçoivent en moyenne chaque année 851 propositions d’investissement. Mais il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus: seules 6% de ces propositions déboucheront sur un investissement. Particularité belge: nos venture capitalists ne reçoivent “que” 470 propositions par an en moyenne (et ils en retiennent 5%).

“Je crois que l’on peut lier cet élément à la taille générale des fonds belges, qui est plus petite que la moyenne européenne, note Sophie Manigart, professeure en corporate finance à l’UGent et à la Vlerick Business School, qui a participé à cette étude. Si vous êtes petit, vous attirez moins les opportunités qui peuvent apparaître à l’international: les entrepreneurs néerlandais, français… iront moins chercher de l’argent en Belgique. Et les entrepreneurs belges ambitieux, en revanche, compléteront leur tour de table en allant solliciter des investisseurs internationaux. Quant au pourcentage de projets retenus (5 ou 6%), il n’est pas surprenant. Il me paraît normal d’être très sélectif puisqu’il s’agit de financer des projets risqués.”

Selon l’étude, le rendement moyen des investissements de ces capitaux-risqueurs est de 13,5%, tous projets confondus. Cela peut paraître élevé, “mais ce rendement n’est pas garanti, souligne Sophie Manigart. En moyenne, 23% des investissements réalisés ne remboursent pas la mise de départ, soit parce que la société est tombée en faillite, soit parce que les investisseurs ont vendu leurs parts en dessous du montant de leur investissement”. Une autre tranche de 22% affiche un retour sur investissement situé dans une fourchette entre une fois et deux fois la mise.

Moins de licornes

Il reste donc 55% des projets qui permettent d’emporter plus que deux fois la mise, dont 9% des investissements qui dépassent même les 10 fois. Les rendements les plus fréquents en Belgique sont toutefois généralement compris entre deux et cinq fois. “Par rapport aux autres pays, nous avons beaucoup moins de licornes et beaucoup moins de rendements très élevés”, constate Sophie Manigart. L’explication, là encore, tiendrait dans la taille réduite de nos fonds. “Ils sont plus petits que la moyenne européenne, ils investissent donc des sommes moins importantes”, explique Sophie Manigart.

Et cela joue sur le retour sur investissement. Dans le processus de financement des starters, en effet, le premier tour de table concerne des montants relativement modestes et cet argent est très risqué. Ensuite, si le projet démarre bien, les tours de table s’enchaînent, réclamant des mises de fonds plus importantes puisque le projet grandit. Mais la taille modeste des fonds belges ne leur permet pas de participer aux tours de table successifs qui nécessitent des mises plus importantes. Pourtant, c’est là que les rendements peuvent être plus intéressants puisque le projet a déjà fait sa maladie de jeunesse et comporte plus de chance de succès.

“Nous manquons en Belgique de fonds d’une capacité de 200, 300, 500 millions d’euros.”

“Nous avons certes besoin de fonds de petite taille, qui jouent un rôle important dans la phase de lancement, mais nous manquons en Belgique de fonds d’une capacité de 200, 300, 500 millions d’euros, qui peuvent suivre un projet”, souligne Sophie Manigart. On est conscient du problème. Une solution pour le résoudre est de mobiliser les capitaux des investisseurs institutionnels dans des “fonds de fonds”. Car pour une banque ou un assureur, investir en direct dans une start-up n’est pas intéressant: les tickets sont trop petits et le suivi administratif trop lourd, explique Sophie Manigart.

C’est dans cette optique qu’en 2019, un Belgian Growth Fund a vu le jour, initié par la SFPI, PMV et BNPP Fortis Private Equity auxquels sont venus s’ajouter AG Insurance, Belfius Insurance, Ethias, KBC Insurance, VDK Spaarbank, Crelan et certains investisseurs individuels. Ce fonds de fonds a pu mobiliser une force de frappe de plus de 310 millions. “Ce premier fonds a déjà utilisé presque tous ses moyens et l’on pense à en créer un deuxième”, note Sophie Manigart.

Le jockey, plutôt que le cheval

Un autre enseignement de l’étude est l’importance primordiale de la qualité du management pour emporter la décision d’investir. Benjamin Le Pendeven, professeur agrégé à l’Audencia Business School et responsable de ce projet de recherche souligne que les venture capitalists “fondent principalement leurs décisions sur l’équipe de direction. En effet, 93% des répondants soulignent que l’équipe est un facteur important (le principal pour 73% d’entre eux) dans la sélection des investissements. Ce qui confirme que les capitaux-risqueurs européens sélectionnent leurs investissements en fonction du jockey plutôt que du cheval.”

C’est d’ailleurs un constat général, embraye Sophie Manigart. “Aux Etats-Unis, en Europe, en Belgique, quand on demande aux investisseurs à quoi le succès de leurs investissements est dû, la qualité du management est la réponse qui vient en premier partout, atteste la professeure. Et c’est aussi ce critère qui est avancé en premier pour expliquer l’échec d’un investissement.”

“Trop d’opportunités ne voient pas le jour en raison de manque de connaissance entrepreneuriale.”

La qualité du management se définit à la fois par la compétence, la passion (met-il sa peau en jeu? ) et l’expérience entrepreneuriale, ce dernier critère se révélant même plus important en Belgique qu’ailleurs. Sophie Manigart ajoute: “Au niveau académique, nous avons réalisé de grands efforts ces dernières années pour mettre sur pied des formations pour l’entrepreneuriat qui visent un public plus large que les seuls économistes. Mais nous devons travailler davantage l’approche du management des spin-off des universités. Nous avons en Belgique d’excellents instituts de recherche. Mais le lancement d’une entreprise demande aussi d’autres compétences que seulement technologiques. Nous avons des produits fantastiques mais cela ne suffit pas pour créer une entreprise. Il y a encore trop d’opportunités qui ne voient pas le jour ou qui restent trop peu développées en raison de manque de connaissance entrepreneuriale”, dit-elle.

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