Omega Pharma: comment créer 3 milliards d’euros en 25 ans

© BELGA

Voici un quart de siècle, deux pharmaciens, Marc Coucke et Yvan Vindevogel, chargeaient le coffre de leur voiture pour vendre du shampoing. Aujourd’hui, Omega Pharma est un géant de la pharmacie européenne, pesant plus de 3 milliards d’euros.

“Cela aura été la décision la plus difficile de ma vie”. En ce jour de juin 1994, Marc Coucke est soumis à un choix cornélien. Il peut vendre sa société et toucher 100 millions de francs belges (2,5 millions d’euros) ou rester actionnaire, mais il doit alors racheter les parts d’Yvan Vindevogel, son associé. Or il n’a pas le moindre franc en poche. Pendant 48 h, Marc Coucke pèsera le pour et le contre : “avoir 100 millions de francs sur son compte ou avoir 100 millions de dettes personnelles mais 100 % de l’entreprise”. Il décide de s’endetter. Marc Coucke a alors 30 ans.

Les sept années précédentes, Yvan Vindevogel et lui ont parcouru les routes de Belgique avec, dans le coffre de leur voiture, des bidons de shampoing de leur propre fabrication qu’ils vendent à des pharmacies. Les deux jeunes pharmaciens, qui se sont rencontrés lors de leur service militaire, vendent aussi des bancs solaires sous la marque Uvesol. Ils souhaitent réaliser rapidement un chiffre d’affaires de 50 millions de francs, taille à partir de laquelle, disent-ils, ils peuvent se permettre de payer un comptable. Entre 1987 et 1993, le duo travaille donc au développement du groupe, réinvestit chaque franc gagné. Ils vivent chez leurs parents, ne se versent pas de salaire. Tout pour la croissance.

“Par les pharmaciens, pour les pharmaciens”

Le bel essor de cette société belge n’échappe pas à OPG, grand groupe néerlandais spécialisé dans les fournitures pharmaceutiques. OPG vient voir les deux fondateurs et leur fait une offre : il propose d’acquérir Omega Pharma pour 200 millions de francs. Yvan Vindevogel souhaite vendre. Marc Coucke non. Yvan Vindevogel propose alors à Marc Coucke de lui racheter ses parts au même prix qu’offrait le groupe néerlandais. Marc Coucke saute le pas et décide d’emprunter 100 millions à titre personnel. C’est ce fameux jour de juin 1994 qui marque la véritable naissance d’Omega Pharma.

Très vite, Marc Coucke se rend compte qu’il n’est pas bon d’être le seul actionnaire d’une société si l’on est très endetté : le développement de l’entreprise en souffre. Il décide alors de vendre une partie de ses actions pour effacer son ardoise au plus vite. En juin 1995, le management acquiert 3 % des actions. Un an plus tard, le fonds de venture capital anversois Halder monte à hauteur de 25 % dans le capital. Marc Coucke rembourse ses dettes. Il peut à nouveau se concentrer sur le développement de son “bébé”.

Cette croissance extraordinaire reposera sur quelques principes forts : se cantonner au marché des médicaments OTC (les produits vendus sans prescription médicale), systématiquement réinvestir les profits dans l’entreprise, s’internationaliser au bon moment et dans les bons pays (Omega Pharma ne mettra pas les pieds aux Etats-Unis, un pays trop compliqué à conquérir pour une entreprise européenne de taille encore modeste) et bâtir un marketing solide, basé sur le réseau des pharmacies.

Le premier slogan d’Omega Pharma ne laisse en effet pas de doute : “Par les pharmaciens, pour les pharmaciens”. Ce n’est pas une phrase creuse. Son implantation dans les réseaux pharmaceutiques constitue une des clés de la croissance du groupe. Lorsqu’Omega Pharma décide par exemple de vendre un vermifuge pour les animaux domestiques (un produit qui ne peut être vendu qu’en pharmacie), l’entreprise développe aussi en parallèle une gamme de produits vétérinaires…

“Marc Coucke est un homme brillant, qui combine une formation scientifique de pharmacien, un énorme flair et un sens financier exceptionnel”, observe Marc Janssens, membre du comité de direction de Petercam. Un exemple, poursuit-il. Pour développer sa société, il a levé des capitaux auprès des pharmaciens. C’était très intelligent : ses actionnaires étaient aussi ses clients et ses distributeurs.” Omega Pharma va en effet ouvrir dès le départ son capital à un groupe de pharmaciens. En 1996, une trentaine d’entre eux acquièrent 2 % de l’entreprise. En juillet 1997 et février 1998, il lève 4,5 millions d’euros via deux placements privés, réservés là aussi aux pharmaciens.

L’entreprise grandit, et peut bientôt songer à absorber sa première proie. C’est chose faite en septembre 1997. Omega met la main sur Lomed, une société de Louvain active elle aussi dans les médicaments sans prescriptions, pour 10 millions d’euros.

Comment bien utiliser la Bourse

En juin 1998, la société franchit un nouveau cap. Elle s’introduit sur Euronext Bruxelles et en profite pour lever 6,5 millions d’euros en émettant de nouvelles actions. Le cours d’introduction est fixé à 31 euros par titre. Mais en quelques mois, le cours de l’action double. Le marché croit dans les possibilités du groupe au point que les investisseurs sont prêts à acheter des actions d’Omega Pharma à 80 fois les bénéfices de l’entreprise.

Marc Coucke en profite. En un an et demi, Omega Pharma lève 220 millions d’euros d’argent frais, à la fois par le biais d’émissions publiques et de placements chez les institutionnels. Avec ces moyens, Omega Pharma se développe à vitesse grand V en 1999 et 2000. Elle réalise une série d’acquisitions en Belgique puis, pour la première fois, en dehors du marché national : Omega achète des sociétés en France et aux Pays-Bas. Ces opérations de croissance externe sont menées au pas de charge. En 2001, le groupe atteint déjà une taille respectable. Il réalise cette année-là un chiffre d’affaires de 435 millions d’euros.

En février 2002, nouvelle étape. Omega Pharma entre dans le saint des saints boursiers. L’action fait désormais partie du Bel 20. Il est vrai qu’entre 1998 et 2001, la valeur du titre a été multipliée par 16 : l’action (qui a été divisée par 10) passe en effet de 3,1 euros (divisée par 10) à plus de 50 euros ! La société, qui a son siège à Nazareth, dans la région gantoise, devient une des 20 premières sociétés cotées belges.

Les belles années boursières se poursuivent. Marc Coucke en profite pour continuer à s’agrandir. Il achète les groupes Wartner, Bittner, Persea Medica, Laboratoire de la Mer, ce qui lui permet de consolider sa position dans le marché européen. En 2007, Omega Pharma met une de ses divisions en Bourse : Arseus, spécialisée dans les produits et les services aux professionnels de la pharmacie et de la dentisterie. Toutefois, la crise de 2008 casse la belle machine boursière. Marc Coucke commence alors à songer à racheter les actions disséminées dans le public. Fin décembre 2011, l’opération de retrait de la cote est engagée. Couckinvest, son holding qui possédait jusqu’alors 30 % du groupe, acquiert avec le soutien du fonds de private equity néerlandais Waterland les actions restant dans le public. L’entreprise est alors valorisée à moins de 1 milliard d’euros.

“De la Jupiler League à la Champions League”

Peu après avoir quitté la Bourse, en 2012, le groupe réalise un coup de maître. Il rachète au géant GSK, pour la bagatelle de 470 millions d’euros, sa division de vente de produits OTC (qui possède les marques Zantac, Lactacyd, etc.). “L’acquisition des produits OTC de GSK permet à Omega Pharma d’avoir une place de leader en Allemagne, Pologne, Italie, au Royaume-Uni”, se réjouit Marc Coucke dans le Financial Times.

Ce n’est pas la première fois qu’Omega Pharma rachète la division OTC d’un grand laboratoire. En 2004, déjà, le groupe belge avait acquis 60 produits OTC auprès de Pfizer. Mais cette opération avec GSK donne un nouveau coup d’accélérateur aux ventes du groupe qui dépassent dès lors le milliard d’euros. “Avant 2012, Omega Pharma était un des plus grands parmi les petits groupes pharmaceutiques. Aujourd’hui, c’est un des plus petits parmi les géants. En acquérant cette division de GSK, c’est un peu comme si le groupe était passé de la Jupiler League à la Champions League”, explique Jan De Kerpel, analyste auprès de KBC Securities. “Une des qualités de Marc Coucke, est qu’il sait saisir les opportunités quand elles se présentent à lui”, glisse Jean Stéphenne, l’ancien patron emblématique de GSK. Le patron d’Omega a le nez fin, il sent quand le contexte est propice. “Les grands groupes pharmaceutiques se reposent sur des marques mondiales et ne désirent pas mener des stratégies nationales. Marc Coucke a joué là-dessus, explique Jean Stéphenne. Cela lui a permis de consolider son activité historique, les médicaments sans prescription, en générant des marges importantes”, ajoute l’ancien président de l’Union wallonne des entreprises.

Si Marc Coucke a le flair pour acheter, il l’a aussi pour vendre. “Depuis le début de cette année 2014, dopés par les opérations de fusion et acquisition, les groupes pharmaceutiques surperforment les indices boursiers de 35 %”, poursuit Jan De Kerpel. Des entreprises comme Omega Pharma se sont donc retrouvées dans le radar des grands laboratoires pharmaceutiques. “Les géants de la pharmacie regardent ces grands portefeuilles d’OTC qui peuvent leur apporter un revenu stable, qui ne sont pas soumis au risque de perte de licence”, observe encore Jan De Kerpel.

Les marques d’intérêt pour le groupe belge se sont donc multipliées ces derniers mois. Au début de l’été, Marc Coucke estime qu’il ne doit pas laisser passer la chance de sa vie. Il prend contact avec la banque d’affaires Morgan Stanley pour lui donner un mandat de vente. Les banquiers, dit-on, auraient reçu quelques belles offres, valorisant Omega Pharma à 4 milliards de dollars (3 milliards d’euros) voire plus. Dire que voici 27 ans Marc Coucke et Yvan Vindevogel avaient investi… 300.000 francs.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content