Nouvelle étape pour le nouveau D’Ieteren
Le premier importateur de voitures du pays, D’Ieteren, est très actif dans les nouveaux services de mobilité, du vélo (Lucien) à la voiture partagée (Poppy), en passant par les taxis (Taxis Verts). Il cherche à mieux intégrer ces nouvelles opérations.
Lentement, mais sûrement, D’Ieteren Automotive étend ses activités dans la mobilité, bien au-delà de son métier d’importateur de voitures des marques du groupe Volkswagen (VW, Audi, Skoda, Seat, Porsche, Cupra, Bentley, Lamborghini, Bugatti). Il a acquis Taxis Verts (numéro un dans la capitale, qu’il a modernisé), développé des voitures partagées sous la marque Poppy à Bruxelles, Anvers et Liège, ouvert des magasins de vélo à l’enseigne Lucien, financé Mbrella (une start-up qui aide les entreprises à gérer la mobilité de leurs salariés), lancé EDI (une activité d’installation de bornes de recharge). Et importé des micro-voitures électriques de ville, sous la marque Microlino.
C’est le résultat d’une politique de diversification née d’une réflexion dès 2015 sur le futur de l’entreprise qui a donné vie au plan Magellan. Ce plan a entraîné le lancement d’un incubateur, Lab Box, qui a développé ou acquis de nouveaux services, sous la direction de Michael Grandfils, ex-consultant de Bain. L’idée sous-jacente est de proposer des services pour organiser une mobilité plus flexible et plus verte.
D’Ieteren estime, étude à l’appui (*), que l’automobile restera encore un élément clé, mais connaîtra une inexorable érosion. En 2023, 85% des personnes interrogées disent qu’elles comptent se déplacer dans une voiture dans un futur proche contre 89% en 2021. Le recul est plus important à Bruxelles (69% vs 78%, -9%). Un automobiliste sur 10 se dit prêt à abandonner son auto.
L’hypothèse d’un marché auto en baisse
Une des bases de la stratégie de diversification de D’Ieteren est l’idée que le marché automobile tendra à diminuer. Le groupe anticipe une baisse des immatriculations, entre 420.000 et 450.000 voitures par an, au lieu de 500.000 à 550.000 avant le covid.
La situation de 2023, 476.675 automobiles, et la prévision pour cette année, 480.000, peuvent faire illusion, mais elles reflètent en partie des délais de livraison allongés. D’Ieteren anticipe un volume de prise de commandes de 420.000 autos en 2024, confirmant ainsi une tendance à la baisse.
Progression plus lente que prévu
Le chemin des nouveaux services est plus ardu qu’anticipé. Denis Gorteman, CEO de D’Ieteren Automotive, estime que les objectifs des nouveaux services ne seront pas atteints. “Nous avions tablé sur une part de 30% de notre chiffre d’affaires en 2025 produit par ces activités, ce sera plutôt 10%.”
“Les activités lancées ne se développent pas aussi vite que ce que nous espérions, ajoute-t-il. Ainsi, nous avons environ 100.000 clients chez Poppy, nous en attendions beaucoup plus”. La part de marché de la voiture partagée n’a pas atteint le niveau des prévisions faites il y a cinq ans. “En même temps, nous n’avons pas développé la flotte pour 400.000 ou 500.000 clients.”
Le cœur des activités nouvelles est composé par Poppy, EDI, Taxis Verts, Lucien et Mbrella.
Une autre raison est étrangère aux diversifications. “Nous n’avions pas anticipé l’inflation qui a touché le prix des véhicules”, continue le CEO. D’autant que les performances commerciales ont été bonnes. En 2023, D’Ieteren Automotive a capté 24% des immatriculations en Belgique, “un record historique” continue le CEO. Le marché total s’élève à 476.675 voitures immatriculées.
L’un des résultats de cette montée en puissance ralentie est la profitabilité, plus lente à venir. Beaucoup de ces nouvelles entreprises sont encore dans le rouge. D’où une nouvelle étape dans la mise en place de ce nouveau D’Ieteren. La stratégie est maintenue mais elle a fait l’objet d’ajustements. Certaines activités ont quitté l’orbite du groupe, comme Lizy, une société active dans le leasing d’occasion, ou Skipr, application de budget de mobilité qui, en évoluant, fait double emploi avec Mbrella. Elles ont trouvé de nouveaux actionnaires et D’Ieteren n’y est plus majoritaire.
Un salon en 2025 ?
D’Ieteren n’exclut pas de participer au Salon de l’Auto s’il a lieu en janvier 2025. L’importateur n’avait pas voulu participer à celui prévu cette année. Sa décision a été l’une des raisons pour lesquelles la Febiac, la fédération des importateurs, avait renoncé à l’organiser au Heysel. “Nous ne sommes pas contre le salon, déclare Denis Gorteman. Quand le marché se situe à 550.000 immatriculations, on peut consentir ce type d’investissement; quand il est à 420.000, il faut faire des choix. On pourrait imaginer un salon tous les deux ou trois ans. Par exemple en 2025 ou en 2026.”
D’Ieteren avait participé au Salon 2023, la première édition post-covid, et occupé un palais complet, avec toutes ses marques de voitures importées, et a pu présenter ses nouvelles activités comme la distribution des vélos Lucien.
Cette année, un organisateur néerlandais, 402 Automotive, a organisé en janvier un Brussels Auto Show d’un genre très différent, branché supercars, tuning et ancêtres, et annonce son retour en janvier 2025.
Un ex-McKinsey pour intégrer le nouvelles activités
“Nous allons continuer à investir”, précise Denis Gorteman, qui annonce que D’Ieteren Automotive a recruté un ancien de McKinsey, Pierre Doumit. Il entre au comité de direction avec le titre de chief strategy & transformation officer. Sa mission consiste notamment à porter toutes les initiatives nées du plan Magellan à un autre niveau de développement, “d’en faire des success stories qui peuvent se développer toutes seules, de sortir du stade de la start-up “. Sa mission vise à renforcer l’organisation de ces nouveaux services, leur digitalisation, de les amener à la rentabilité, aussi de mieux les intégrer dans les activités historiques de l’entreprise et entrer dans l’éventail des services proposés aux sociétés achetant des voitures.
Chaque entreprise reste autonome, mais nous les aidons, nous les challengeons et cherchons des synergies avec les business historiques de D’Ieteren.”
Pierre Doumit a pour mission de moderniser les piliers existants (distribution auto) “notamment à travers la digitalisation”, explique le chief strategy & transformation officer mais aussi de développer de nouvelles activités. “Chaque entreprise reste autonome, mais nous les aidons, nous les challengeons et cherchons des synergies avec les business historiques.” Le cœur des activités nouvelles est composé par Poppy, EDI, Taxis Verts, Lucien et Mbrella. L’importation des Microlino est aussi stratégiquement importante.
L’évolution des nouveaux services-clés
• Poppy: vers la profitabilité. L’opérateur de voitures partagées est à présent bien ancré à Anvers (où il a débuté) et Bruxelles. Il s’est lancé à Liège mais s’est retiré de Gand. Sa flotte compte environ 2.300 voitures et plus d’un millier de trottinettes à Anvers. “Il a fallu du temps pour maîtriser à la fois la densité d’offre et la lutte contre le vandalisme, admet Pierre Doumit. Nous avons appris pas mal de choses. Cela commence à devenir intéressant car nous percevons une bonne traction du côté des clients, tant à Anvers, Bruxelles et Liège.” Poppy parvient à tirer plus de chiffre d’affaires à flotte comparable, c’est une bonne nouvelle. “Dans une ville mature comme Bruxelles, nous sommes rentables.” Il espère que l’entreprise sera profitable cette année.
• Taxis Verts, une renaissance. Taxis Verts n’est pas une start-up, elle est la première plateforme de réservation de taxis de la capitale, acquise par D’Ieteren en 2022, via le Lab Box. Elle a été rapprochée de CarAsap, un opérateur de LVC (véhicule avec chauffeur, comme Uber) fondé et dirigé par Jonathan Guzy, dont les services ont pris la marque Husk. Les deux sociétés restent juridiquement distinctes, mais les opérations ont été fusionnées, sous la direction de Jonathan Guzy. Elle s’est regroupée aussi à la faveur du nouveau statut des taxis à Bruxelles, qui distingue les taxis de station et les taxis de rue (les ex-LVC). “Nous proposons les deux services avec une même, unique et nouvelle plateforme de réservation”, précise Jonathan Guzy.
Il s’agit d’un business de plateforme. Tant pour les taxis de rue (ex-LVC) que pour les taxis de station (taxis classiques), les chauffeurs et les voitures sont l’affaire de partenaires qui s’affilient à la plateforme unifiée de Taxis Verts. Le nouveau management a développé une nouvelle application. “Elle améliore le process pour les réservations, qui restent possibles par téléphone, ajoute-t-il. Pour le marché B to B, où l’entreprise propose des courses à la demande, elle a amélioré les offres avec du reporting CO2, la possibilité de réserver par e-mail, etc.
Enfin pour l’électrification, Taxis Verts y travaille d’arrache-pied, “d’autant que les nouveaux véhicules acquis à partir de 2025 devront être zéro émission à Bruxelles”. Notamment en cherchant à conclure des accords au bénéfice de ses affiliés, avec des réseaux de recharge rapide (qui manquent encore) et des marques automobiles.
Le QG de Taxis Verts se situe désormais rue du Mail, au siège de D’Ieteren. Les offres pourraient s’intégrer dans une même application avec Poppy: c’est une des pistes pour donner plus de visibilité aux offres de ces opérateurs très complémentaires.
• EDI: pousser la borne à domicile. EDI (Electric by D’Ieteren) est un service qui accompagne la vente de voitures électriques importées par D’Ieteren, pour proposer l’installation de bornes au domicile des utilisateurs ou sur le parking des entreprises. “Il y a plusieurs défis, indique Pierre Doumit. La recharge et la voiture électrique sont nouveaux, il y a énormément de questions. Tout n’est pas complètement défini au plan technologique. Et le client particulier ne comprend pas pourquoi il faut payer autant pour une prise électrique. C’est un business où la marge est petite, où il faut maîtriser les processus, c’est la clé.” Installer une borne à domicile peut revenir à 2.000 euros et plus. Il est difficile d’avoir une approche standardisée. “S’il faut passer le câble sous une terrasse, ou s’il faut installer une borne dans un immeuble où le tableau électrique est au -4 et le parking au -2, la facture risque d’être plus lourde. C’est compliqué sur le plan opérationnel.” Il y a encore la solution d’installer des bornes sur le parking des entreprises et d’orienter les utilisateurs vers ces installations, ce qui est possible dans beaucoup de cas puisque 75% des ventes d’EDI touchent des sociétés. Pour attirer le particulier, EDI a acquis Go Solar, ce qui permet de proposer à la fois la borne et des panneaux solaires.
EDI ne vise pas seulement à accompagner la vente des voitures électriques distribuées par la maison, mais conclut des contrats globaux avec des grands comptes, comme une grande banque qui lui a confié les bornes pour sa flotte.
“Nous avons beaucoup appris, ajoute Pierre Doumit. Nous avons avancé sur la compréhension de ce business et sur la profitabilité, compliquée pendant quelques années. Nous commençons à voir la lumière. Comme pour Poppy, quand on a une masse de prestations, la perspective financière devient plus favorable.”
• Lucien, les magasins de vélos électrifiés. La vente de vélos est venue bien après le lancement de l’incubateur Lab Box, et en dehors de ce dernier. Elle a été proposée par Karl Lechat, passionné de bicyclette, qui dirigeait la marque Skoda au sein de D’Ieteren Automotive. ‘”C’est un effet de la dynamique créée par la nouvelle stratégie de diversification liée à la mobilité, note Denis Gorteman. A côté de la création de Lab Box, des cadres de D’Ieteren ont proposé des projets.” Lucien (prénom de l’arrière grand-père du président du CA, Nicolas D’Ieteren) surfe sur la croissance de la demande, l’explosion du vélo électrique et des politiques de soutien au vélo en entreprise (plan cafétéria, remboursement des km). “Environ 10.000 vélos Lucien ont été vendus l’an dernier.” La chaîne compte une vingtaine de points de vente en Flandre, à Bruxelles et un peu en Wallonie. Lucien suit le marché et le vélo est surtout utilisé en Flandre et à Bruxelles.
• Mbrella, la plateforme de mobilité pour les entreprises. Fondée au sein de Lab Box, et créée par Amaury Gérard, elle propose aux entreprises une plateforme pour gérer les services de mobilité des salariés (budget de mobilité, remboursement des km à vélo, abonnement aux transports en commun, etc.). “Nous avons des accords avec les principaux secrétariats sociaux, qui proposent nos services à leurs clients”, ajoute Amaury Gérard. Mbrella arrive sur un nouveau marché. “Nous travaillons notamment pour ING ou Danone”, explique-t-il. Il bénéficie du décollage du budget mobilité et souhaite lancer une plateforme pour aider les entreprises à gérer les voitures électriques. “La gestion du coût des charges, des badges, est un des soucis posés par l’électrification.” Un autre service en préparation est le reporting des émissions de la mobilité organisée par l’entreprise, qui permet des actions pour améliorer le bilan carbone de l’organisation.
• Microlino, la mini-auto de ville. Il s’agit d’une mini-voiture électrique d’origine suisse, fabriquée en Italie, qui rappelle la BMW Isetta des années 1950. “Il n’y avait pas ce type de véhicules au sein du groupe VW, nous avons été séduits par la Microlino, que nous importons aussi en France, précise Denis Gorteman. Ce n’est pas un gadget, elle est made in Europe et colle à notre image de marque.” Hélas, le véhicule, qui appartient à la catégorie L7e (quadricycle), est difficile à vendre en véhicule de société, à cause d’un calcul de l’avantage en nature plus compliqué que pour une voiture, dont D’Ieteren essaie d’obtenir une modification. Pour le particulier, le tarif est plutôt élevé (19.900 euros), mais la prime de 5.000 euros accordée en Flandre pourrait aider. Et la sortie d’un modèle sans permis (catégorie L6) devrait pousser le modèle en France, où ce type de véhicule est très demandé, permis à points oblige.
(*) Etude “Polaris Mobility Survey”, septembre 2023, disponible sur le site de D’Ieteren. Une première étude a été faite en 2021. Elle porte sur 1.020 personnes dans l’ensemble du pays.
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