Mathias Miedreich (CEO d’Umicore): “Notre stratégie sera bientôt appréciée à sa juste valeur”

Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Les matériaux pour batteries de voitures électriques représentent une formidable opportunité pour Umicore, mais l’entreprise belge pourra-t-elle rentabiliser son lourd investissement sur un marché dominé par les acteurs chinois ? A l’automne, Umicore a balayé de nombreux doutes.

Umicore a déjà connu des jours meilleurs. Le cours de son action est inférieur de 30 % à ce qu’il était il y a cinq ans. La division “matériaux pour batteries” ne répond pas encore aux attentes. La division “recyclage” est aux prises avec une chute brutale des prix des métaux précieux. La division des pots catalytiques se porte très bien, mais son destin est lié à celui du moteur à combustion interne, qui est condamné. Mais assez de mauvaises nouvelles. A l’automne, le groupe a pu dissiper de nombreux doutes concernant sa division matériaux pour batteries. Umicore s’est assuré la clientèle d’une série de constructeurs automobiles et de fabricants de batteries internationaux et affirme pouvoir réaliser une belle marge bénéficiaire sur ces contrats à partir de 2026. Les matériaux de batteries pour véhicules électriques semblent être le tournant de l’avenir pour Umicore.

“2023 a été une année très importante pour Umicore, déclare Mathias Miedreich, qui en est à sa deuxième année complète en tant que CEO. En juin 2022, notre stratégie était encore un plan avec un objectif. En 2023, nous avons également trouvé le moyen d’atteindre cet objectif. Dans le domaine des matériaux pour batteries, nous avons déjà décroché des contrats pour 270 gigawattheures d’ici 2030, soit 70 % de notre objectif pour cette année-là. Par exemple, nous avons signé une coentreprise avec PowerCo, la société de batteries de Volkswagen, pour la production de matériaux de batteries, et un contrat de fourniture à long terme avec le fabricant de batteries AESC pour le marché nord-américain. Ce contrat a jeté les bases de la construction de notre usine de matériaux pour batteries au Canada, avec l’aide des subventions du gouvernement canadien. Nous savons maintenant comment mettre en œuvre notre stratégie.”

Mathias Miedreich (CEO d'Umicore)

TRENDS-TENDANCES. Tout le monde regarde la division “matériaux pour batteries” à la loupe. Vous investissez 3,6 milliards d’euros entre 2022 et 2026. Avez-vous trouvé la bonne feuille de route technologique ? Ne manquerez-vous pas le coche ?

MATHIAS MIEDREICH. Certainement pas. En effet, nous ne pensons pas qu’une seule technologie de batterie dominera le marché. L’électrification du marché automobile est divisée en différents segments qui exigent des technologies différentes. Dans le segment d’entrée de gamme, le prix est le plus important, tandis que dans les segments supérieurs, ce sont les performances de la batterie, telles que l’autonomie, qui sont les plus importantes. Nous sommes traditionnellement forts dans les segments supérieurs grâce à nos matériaux de batterie à forte teneur en nickel. A l’avenir, cette technologie évoluera vers des batteries à l’état solide avec une densité énergétique encore plus élevée. Ces batteries seront également plus petites et plus légères.

Dans le segment d’entrée de gamme, la technologie lithium-fer-phosphate (LPF) domine aujour­d’hui, en particulier en Chine où elle est subventionnée. Elle fonctionne au phosphate de fer, qui est disponible en abondance en Chine en tant que sous-produit de l’industrie sidérurgique. Le recyclage du LPF n’est pas intéressant d’un point de vue commercial. Il est donc difficile d’utiliser cette technologie en dehors de la Chine. En outre, le LPF n’est pas compatible avec les technologies utilisées dans nos usines.

Mais nous n’ignorons pas ce marché. Nous travaillons sur des technologies pour les segments d’entrée et de masse grâce à la technologie HLM à forte teneur en lithium et en manganèse. Ces matières premières sont moins chères et plus facilement disponibles que le nickel et le cobalt. Cela peut nous donner une prime à l’innovation, car nous pouvons facturer à nos clients une marge bénéficiaire légèrement plus élevée puis­qu’ils économisent un paquet sur le coût du nickel de la batterie. La technologie HLM est une meilleure alternative au LPF, en particulier pour l’Europe et l’Amérique du Nord.

Quand prévoyez-vous une percée de cette technologie HLM ?

Le HLM existe depuis un certain temps, mais seulement dans les laboratoires. Cependant, nous avons trouvé la clé secrète qui permettra d’utiliser cette technologie à des fins commerciales d’ici à 2026. Aux Etats-Unis, cette technologie suscite un grand intérêt, notamment parce que l’Inflation Reduction Act n’autorise pas les matériaux chinois. En Europe, l’intérêt grandit et nous discutons même avec des clients chinois pour des applications en dehors de la Chine.

Les marchés des batteries et des voitures électriques sont dominés par les Chinois. Est-ce une menace pour les fournisseurs européens comme Umicore ?

Les importations de marques chi­noises en Europe vont augmenter, contrairement à ce qui se passe aux Etats-Unis. Nous considérons cette évolution comme une opportunité. Nous disposons également d’une capacité de production en Chine. Au début de cette année, nous avons signé un autre contrat avec un très grand fabricant qui fournit aux constructeurs automobiles chinois des batteries à forte teneur en nickel destinées au marché européen. Si les constructeurs automobiles chinois veulent vraiment réussir en Europe, ils devront également produire ici. Nous voulons donc être leur partenaire en tant que fournisseur de matériaux de batteries durables.

Ne se tourneront-ils pas vers des fournisseurs chinois ?

C’est un risque, mais notre position concurrentielle est meilleure. La création d’une nouvelle usine prend beaucoup de temps. Nous en avons déjà trois – en Corée, en Chine et en Europe – et nous sommes en train d’en construire une quatrième au Canada. J’ai vécu en Chine pendant six ans et j’admire le pragmatisme et l’esprit d’entreprise des Chinois, mais il n’est pas évident pour les entreprises de ce pays de prendre pied en Europe. Les lois sont différentes, il y a des accords négociés avec les syndicats et la durabilité est à la fois une mentalité et une loi.

Les activités d’Umicore sont-elles entourées d’un large fossé protecteur ?

Oui, il y en a un. En Europe, nous sommes des pionniers en matière de matériaux de batterie et de l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement. Nous répétons maintenant cet exercice en Amérique du Nord. Notre carnet de commandes bien rempli nous rend très confiants. Bien sûr, nous voulons remporter davantage de contrats, mais nous serons sélectifs. Nous n’investirons que lorsque nous aurons en main un contrat qui protège au maximum nos investissements. Nous avons considérablement réduit le profil de risque de notre division batteries au cours des deux dernières années. Nous en serons récompensés au cours des deux prochaines années.

Nous avons considé­rablement réduit le profil de risque de notre 
division batteries .”

Umicore prévoit également de construire une nouvelle usine pour recycler les batteries des voitures électriques. Où cette usine sera-t-elle implantée ?

Sur le marché du recyclage des batteries, deux flux émergent. Il y a d’abord le flux des batteries de voitures arrivant en fin de vie. Ce marché doit encore se développer, car une batterie dure facilement 10 ans. Il y a ensuite le marché de la ferraille. La production de batteries automobiles génère un énorme flux de matériaux de rebut précieux. Un pourcentage de déchets d’environ 30 % n’est pas inhabituel. Mais ce flux est très diversifié, allant des batteries complètes qui n’ont pas passé la phase de test à toutes sortes de pré-produits, ce qui pose un défi technologique majeur. Il est donc plus important de disposer de la bonne technologie que d’être rapidement prêt pour le marché. Cela implique de réduire les coûts d’investissement et de maximiser le pourcentage de matériaux récupérés. Pour ce faire, nous pouvons nous appuyer sur nos dizaines d’années d’expérience dans le domaine du recyclage des métaux précieux comme matériaux de batterie, entre autres. En 2024, nous prendrons une décision sur l’emplacement de l’usine.

MATHIAS MIEDREICH

Le port d’Anvers est-il un emplacement logique ?

Le site doit répondre à plusieurs critères. Tout d’abord, nous voulons capter et éliminer les émissions de CO2 liées au processus de recyclage, qui repose sur la technologie de l’incinération. Nous devons donc avoir accès à une infrastructure capable d’éliminer efficacement le CO2. Un deuxième critère est l’obtention des permis, car le recyclage des piles n’est pas un processus simple. Le troisième critère est la logistique. Il faut un port pour livrer les batteries les plus lourdes. En outre, nous avons besoin des bonnes personnes et de l’expertise nécessaire, car il s’agit d’une technologie en développement. Enfin, il faut des subsides, qui sont importants pour faire démarrer une activité. Mais on ne peut pas fonder une décision commerciale uniquement sur des subventions. Si l’analyse de rentabilité n’est pas correcte, les subventions ne sauveront pas non plus l’entreprise à long terme. Nous avons déjà examiné des sites qui répondent à ces critères.

Le bilan d’Umicore est-il suffisamment solide pour financer la croissance de l’entreprise ?

Oui, sans aucun doute. Nous avons toujours limité notre taux d’endettement. La dette peut atteindre au maximum 2,5 fois le cash-flow d’exploitation et nous n’en sommes même pas proches. Dans les années à venir, nous pourrons respecter cette limite grâce à nos flux de trésorerie importants et parce que les subventions publiques aident à financer le programme d’investissement. Dans un avenir proche, nous n’aurons pas besoin d’une augmentation de capital. C’est là qu’interviennent les contrats à long terme, avec lesquels les clients sont prêts à cofinancer nos activités opérationnelles, ou une collaboration stratégique pour partager les coûts d’investissement, comme c’est le cas dans notre coentreprise avec PowerCo.

L’industrie automobile européenne doit encore faire preuve d’une réelle capacité d’innovation.”

Etes-vous convaincu que l’industrie automobile européenne, notamment allemande, peut passer à la voiture électrique, car son héritage est bien sûr le moteur à combustion interne ?

Ils n’ont pas le choix. Les entreprises comme Volkswagen sont comme des pétroliers. Il faut du temps pour changer de cap, mais une fois qu’elles sont sur la bonne voie, il est difficile de les arrêter. Nous ne devrions pas juger les grands constructeurs automobiles européens et allemands sur la base de leurs modèles actuels. Les modè­les chinois sont entièrement conçus comme des voitures électriques, mais les modèles européens sont toujours basés sur un modèle à moteur à combustion interne. L’industrie automobile européenne doit encore faire preuve d’une réelle capacité d’innovation. Les modè­les lancés en 2025 et 2026 auront une architecture purement électrique. Ces modèles “nés électri­ques” seront compétitifs.

L’accent est peu mis sur la division “catalyseurs pour véhicules”, qui est pourtant l’activité la plus rentable d’Umicore.

Avec une confiance modeste, nous osons dire que nous avons la meilleure activité de catalyse automobile au monde, mesurée par la rentabilité, la satisfaction du client et notre technologie. Nous avons encore augmenté notre part de marché dans les moteurs à essence. Les flux de trésorerie provenant de cette division financent la croissance des matériaux pour batteries. Cette division n’est pas d’une importance secondaire et je suis fier que nos employés s’y consacrent pleinement.

Nous veillons également à ce que les personnes issues du segment des catalyseurs passent à la division “batteries”. Il est intéressant de noter que nombre de leurs homologues des cons­tructeurs automobiles effectuent la même transition. Ces personnes se connaissent parfois depuis 20 ans et travaillent désormais ensemble dans un nouveau domaine. L’entreprise a également des opportunités de croissance dans de nouveaux domaines, tels que les catalyseurs pour les piles à combustible à base d’hydrogène.

Tout récemment, par exemple, nous avons commencé à cons­truire en Chine la plus grande usine de catalyseurs pour piles à combustible au monde, qui approvisionnera le marché chinois de l’industrie lourde. Nous développons également des catalyseurs pour la production d’hydrogène dans les électrolyseurs. Il s’agit d’un marché en pleine croissance, car l’hydrogène est nécessaire pour rendre les processus industriels plus écologiques.

Nous avons commencé à cons­truire en Chine la plus grande usine de catalyseurs pour piles à combustible au monde.

Le secteur des catalyseurs n’a pas de date limite ?

Il faut accepter que le soleil se lève et se couche. Le secteur des catalyseurs automobiles pour les moteurs à carburant entre progressivement dans une phase de déclin. Mais en fait, le coucher du soleil est le meilleur moment de la journée, n’est-ce pas ? Et le soleil ne se couchera pas au cours des 10 prochaines années. Nous sommes très heureux que cette activité fasse partie d’Umicore.

La division “recyclage” a connu une excellente année 2022 grâce aux prix élevés des métaux précieux. Mais en 2023, les prix du palladium et du rhodium, par exemple, ont fortement chuté, ce qui a eu un impact solide sur les résultats. Comment gérez-vous cette volatilité ?

Nous ne pourrons jamais échapper à cette volatilité. Par le biais du recyclage, nous sommes un producteur de ces matériaux et donc sensibles aux fluctuations de prix. Nous pouvons réduire cette volatilité en améliorant l’efficacité opérationnelle. Par exemple, nous appliquons l’intelligence artificielle pour optimiser notre planification de la production. En outre, nous nous couvrons contre ces fluctuations de prix. L’année dernière, notre chiffre d’affaires s’élevait à 25,4 milliards d’euros si l’on inclut les métaux entrants et sortants. Ce sont des sommes importantes, que nous gérons très bien. Nous essayons donc de bloquer les prix autant que possible pour les matériaux que nous recyclons. Cette stratégie nous coûte des bénéfices lorsque les prix sont élevés, mais il est plus important d’avoir des résultats stables et prévisibles.

Profil

· 48 ans
· Né à Kempten, Allemagne
· Etudes de gestion d’entreprise à l’université Friedrich-­Alexander d’Erlangen-­Nuremberg
· 1999 : entrée chez KPMG Consulting en tant que consultant en gestion
· 2003-2006 : postes de direction chez Siemens VDO Automotive
· 2006-2013 : postes de direction chez Continental
· 2013 : vice-­président de la stratégie et de la technologie chez Faurecia
· 2014 : vice-­président clean mobility de Faurecia Asie puis Europe
· 2019 : vice-­président exécutif clean mobility de Faurecia
· Depuis 2021 : CEO Umicore

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