Marketing: c’est le prix le coupable !

Qui souhaite sortir d’une vente parce que la valeur ou l’utilité de l’achat semble incertaine, accuse tout aussi facilement le prix. © Getty Images

“On était trop chers.” Voilà comment les vendeurs justifient la grande majorité des échecs commerciaux quand on les interroge au débotté. La mort par le prix, un triste truisme commercial?

Pour des raisons évidentes de survie, notre nature humaine nous a toujours poussés à économiser les efforts et les ressources et elle nous conduira encore longtemps à privilégier la plus grande efficience possible sur le rapport dépense/gain. Il ne s’agit pas ici de pingrerie ni de paresse mais bien d’une prégnance réelle de mécanismes inconscients qui nous ont sauvé la vie pendant des centaines de milliers d’années et contre lesquels même la plus grande intelligence, certes pointue mais toujours lente à la détente et systématiquement en retard à côté de l’instantanéité des émotions, ne peut pas grand-chose.

Il est donc normal que le cerveau de nos clients envisage de dépenser moins pour obtenir plus. Un achat est toujours perçu a priori par un client comme une perte certaine et immédiate contre un gain ultérieur, toujours incertain. Pour les vendeurs, c’est à la fois tout leur drame et toute leur raison d’être, leur quête, leur haute lutte, leur mission.

Une courte lune de miel

Car c’est au moment où la question du prix est abordée que les intérêts semblent tout à coup diverger. Jusque-là, l’acheteur et le vendeur avancent main dans la main, le premier mu par le souhait d’être servi, guidé, aidé, et le second animé par l’envie d’être utile, de soutenir, de contribuer au bonheur de son client. Accueil, écoute, conseil et orientation, ils vivent la petite lune de miel du processus commercial.

Arrive alors l’argent, contrepartie nécessaire qui va crisper la situation, réveillant chez le client un instinct conservateur maladif de ses ressources et transformant à ses yeux le vendeur en prédateur avide de profits.

Au même moment, la plupart des vendeurs ressentent aussi cette rupture qui déclenche chez eux l’émergence d’un sentiment de culpabilité à devoir prendre et défendre alors qu’ils voudraient pouvoir continuer à offrir et à aider. Ils vivent intensément cette dissonance et envisagent instantanément la possibilité d’être sympathiques, de faire un geste, de céder et de plaire pour réduire cette tension et réinstaurer une relation harmonieuse.

Un bouc émissaire idéal

C’est là que le prix coince. L’acheteur le trouve forcément trop élevé. Et le vendeur ne peut, hélas, rien y faire. Le premier hésite et recule. Le second compatit, culpabilise et abandonne. On se sépare sur un au revoir qui sent les adieux. La faute à qui? Au prix, le bouc émissaire idéal. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage, dit le proverbe. Eh bien, qui souhaite sortir d’une vente parce que la valeur ou l’utilité de l’achat semble incertaine accuse tout aussi facilement le prix.

D’échec en opportunité ratée, toujours justifiés par la présence du même suspect habituel sur les lieux du crime, les commerciaux développent la croyance que leurs tarifs sont surévalués. Plus cette conviction s’ancre, plus ils légitimeront le mouvement de recul du client, quitte à le redouter, l’anticiper, voire le provoquer en transmettant inconsciemment ce malaise dès les premiers instants de la relation.

Et voilà comment l’organisation commerciale entre dans une spirale infernale de dévalorisation, aggravée chaque jour par l’inflation galopante, la récession imminente et une ambiance de crise économique permanente. Le haut management aura beau répéter à loisir que si les prix pratiqués étaient “hors marché”, l’entreprise aurait fermé depuis longtemps, leurs déclarations de tour d’ivoire sont battues en brèche par les commerciaux qui, eux, au contact du terrain, entendent quotidiennement ces objections.

Le biais du survivant

Face au cumul des témoignages unanimes qui s’élèvent contre le prix, coupable d’office, comment rétablir la balance dans l’esprit des vendeurs pour que ceux-ci reprennent confiance? Pour changer de perspective sur ce sujet, il faut d’abord dénoncer l’utilisation inconsciente du “biais du survivant”, soit l’observation du phénomène sous un seul angle: les propositions qui reviennent non signées. Si un prix trop élevé semble justifier tous les échecs, handicape-t-il en fin de compte toutes les réussites? En d’autre termes, si la majorité des prospects qui refusent de s’engager accusent le prix, il convient d’abord de vérifier si la majorité des clients qui s’engagent, eux, bénéficient systématiquement du prix le plus bas ou le plus attractif du marché. Surprise, quand on propose cette réflexion aux vendeurs, ils reconnaissent eux-mêmes que lorsqu’ils signent avec leurs clients, ce n’est pas automatiquement avec le plus gros taux de remise!

A partir de cette première observation objective, il est important de reconstruire de la conviction dans la valeur interne et externe de l’offre pour permettre aux vendeurs de défendre loyalement leurs prix. La consolidation interne de la valeur consiste à donner à un commercial l’opportunité de comprendre comment sont calculés ses prix, de savoir sur quels coûts ils se basent et surtout comment se ventilent ensuite les marges qui sont réalisées par l’entreprise.

Et pour cause: quand on envoie en clientèle un vendeur connaissant à peine son coût de revient, avec une grille de tarifs de 50 à 200% supérieurs, comment imaginer que ces prix de vente puissent être vaillamment défendus? “Passez-le sur le gril et vous verrez fondre le gras”, m’a dit un jour un acheteur professionnel!

En prenant le temps de détailler avec lui l’usage interne des marges, trop souvent confondues avec les bénéfices et les profits, on donne enfin au vendeur l’occasion de se battre pour conserver le financement des coûts fixes de son entreprise ainsi que des investissements liées à son développement et à son amélioration constante qui sont également, à terme, à l’avantage du client!

Un constat implacable

Pour travailler sur la solidité externe de la valeur de l’offre commerciale, il faudra réapprendre à calculer les plus-values psychologiques et financières que les clients réalisent au travers de leur achat. Quels bénéfices à court, moyen et long terme les produits ou services procurent-ils au client? Quels économies potentielles peut-il réaliser en accédant à une meilleure qualité? Comment la fiabilité influe-t-elle sur le coût total de possession du client? Quelles sont les moins-values à terme des autres offres apparemment séduisantes du marché? Et quel serait pour lui au bout du compte le coût réel d’un choix économique qui ferait l’impasse sur la qualité ou le service?

A force d’avoir cultivé la peur de parler du prix, nous avons désappris à des générations de commerciaux à savoir construire de la valeur et à oser traduire celle-ci en argent.

Pourtant, je fais depuis 15 ans ce double constat implacable. D’une part, la plupart des directions commerciales considèrent que les structures des coûts et la destination des marges sont des informations ultra-sensibles qui ne doivent pas être connues des vendeurs, laissant ces derniers totalement dépourvus d’arguments pour se défendre. De l’autre, l’agilité de calcul des incidences et des impacts économiques des achats (retours sur investissements, coûts totaux de possessions, estimation des risques financiers, etc.) n’est que très rarement développée chez les vendeurs.

Le prix sera toujours une excuse facile et automatique derrière laquelle un client trouvera inconsciemment refuge plutôt que de devoir péniblement dénoncer un doute diffus sur la valeur ou la qualité de service. Hélas, à force d’avoir cultivé la peur de parler du prix, nous avons désappris à des générations de commerciaux à savoir construire de la valeur et à oser traduire celle-ci en argent. Pourtant, ce n’est qu’en abordant ces questions de front que nous pourrons les aider à faire basculer les doutes de leurs clients.

Retrouvez les chroniques de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B.

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