Rencontre avec Caroline Aelvoet, la nouvelle patronne de Sodexo, l’entreprise aux 100 métiers
Sodexo Belgique, le leader de la restauration collective, vient de tourner la page Michel Croisé, son CEO emblématique. A sa place arrive une quadragénaire, avocate et ex-DRH, qui entend poursuivre le positionnement durable d’une entreprise finalement méconnue.
L’image a été postée sur la page LinkedIn d’Hilde Eygemans, la directrice de communication: on y voit Michel Croisé, jeans, baskets et sac à dos, quitter Sodexo Belgique après 30 années passées dans l’entreprise. Visionnaire sur bien des plans, il aura mis l’accent sur la nécessité d’une politique de ressources humaines axée sur la diversité, bien avant que cela ne devienne un sujet à la mode. Sur toutes les diversités: genre, âge, préférences sexuelles, religions, etc. Il voulait que son entreprise soit le reflet exact de la société dans laquelle elle s’inscrit. Il a aussi initié un virage vers la nécessaire durabilité. Pas si simple quand on est le leader belge de la restauration collective…
Présente dans tous les secteurs professionnels, Sodexo est aussi devenue un partenaire fréquent du ministère de la Défense.
Depuis le 1er septembre, son fauteuil est occupé par Caroline Aelvoet, 42 ans. Avocate de formation, elle a rejoint Sodexo en 2009 après quatre années au barreau et deux ans dans le département légal de KBC. La nouvelle patronne est donc issue du sérail Sodexo et elle en connaît déjà un rayon puisqu’elle y a occupé le poste de general counsel, de sales manager et enfin, de DRH. Pour de nombreux observateurs, sa nomination n’est pas une surprise. Elle rejoint le cercle restreint des femmes qui dirigent de grandes entreprises belges.
“Une femme CEO en Belgique? J’en suis ravie et nous ne sommes pas nombreuses. Je comprends que l’on essaie de faciliter notre entrée dans les conseils d’administration mais cela me ferait du mal qu’on me dise que j’ai été nommée parce que je suis une femme. Je souhaite être reconnue pour mes compétences et pas pour mon genre! Je n’ai jamais eu l’impression d’avoir eu plus de difficultés ou plus de facilités à évoluer dans ma carrière parce que j’étais une femme.”
Signalons tout de même que la nomination de Caroline Aelvoet et celle d’Astrid Montens au poste de DRH apportent la parité dans le comité de direction de l’entreprise. Sur l’effectif entier, la proportion hommes-femmes est de 60-40 et 55-45 si l’on ne considère que les cadres et les managers de sites.
Rapports humains
Qu’ont en commun un spécialiste du paramétrage des instruments de labo, une instructrice de fitness, un jardinier, une technicienne de surface, un agent de gardiennage, un électricien et un commis de cuisine? Ils travaillent tous pour Sodexo Belgique. Peu de gens le savent mais l’entreprise dispose d’une centaine (ou quasi) de métiers différents et de 3.200 employés sur son payroll. Sodexo, en Belgique, ce n’est pas que de la restauration collective mais c’est aussi une galaxie de services dits “facilitaires” (gestion des déchets, des espaces verts et des installations techniques, sécurité et accueil, etc.) qu’elle offre à ses clients. Cette partie du business représente d’ailleurs une partie non négligeable de son chiffre d’affaires qui, lors de l’exercice 2022-2023 clôturé il y a quelques jours, est revenu à son niveau d’avant- pandémie à 355 millions d’euros. Cette palette de métiers, Caroline Aelvoet la connaît bien.
“Avoir été DRH pendant trois ans va indéniablement jouer un rôle dans mes réflexions et dans les inflexions que je vais donner à l’entreprise. Les rapports humains sont fondamentaux dans une société de services. Je connais bien tous les challenges liés de nos jours à l’acquisition et à la rétention de talents. Je suis persuadée que j’ai emprunté le bon trajet pour devenir CEO. Le personnel est la clé de voûte de cette entreprise et notre visage sur les 500 sites de clients où nous sommes présents.”
Si la palette de métiers offerte par Sodexo est relativement méconnue du grand public, une autre confusion est, elle, bien répandue. “Des connaissances pensent que je suis aussi devenue la patronne des chèques, sourit Caroline Aelvoet. Mais Sodexo Benefits & Rewards Services (BRS), le leader belge des chèques-repas et chèques-service, a toujours été une entité séparée de Sodexo Belgique. Elle le sera encore plus puisque que le groupe a décidé de se scinder en deux. Les services sur site gardent le nom de Sodexo, l’activité BRS a pris le nom de Pluxee. Les deux sociétés seront cotées distinctement en Bourse.”
Durabilité
Comme d’ailleurs l’ensemble du groupe, Sodexo Belgique s’est engagé, depuis quasi 10 ans, dans une politique volontariste en termes de durabilité. Elle comporte plusieurs aspects dont la diversité et l’inclusion dans les RH, la préférence donnée aux produits locaux dans les achats alimentaires, le respect des saisons dans les restaurants et la lutte contre le gaspillage alimentaire. Depuis mars 2021, soit trois mois avant l’obligation européenne, les plastiques à usage unique ont été bannis de tous les restaurants et remplacés par des versions recyclées, recyclables ou réutilisables. Cette politique va encore s’accentuer.
“Le meilleur levier pour notre stratégie basée sur l’écodurabilité demeure nos activités catering, souligne Caroline Aelvoet. Nous menons un vrai travail d’évangélisation pour réaliser un vrai changement des mentalités chez nos clients et leurs collaborateurs. Nous souhaitons pousser les menus végétariens et véganes et ne plus proposer la viande, le poisson et la volaille qu’en option. C’est un long chemin à parcourir depuis le simple Veggie Day que l’on rencontre partout. Cela nous impose aussi, comme vous le soulignez, d’être cohérent sur l’ensemble de la chaîne et, notamment, sur nos achats et la production la plus réduite possible de déchets. Tous nos autres services vont devoir s’inscrire dans cette démarche.”
Les défis
Le facility management a été développé au fur et à mesure de l’évolution de l’entreprise et des demandes de clients qui, pour l’ensemble de services qui ne font pas partie de leur cœur de métier, ne désirent qu’un seul interlocuteur. C’est ce qu’on appelle le one-stop shopping. Ces services n’ont quasiment jamais été proposés seuls et considérés comme un moyen pour l’entreprise de décrocher un nouveau client. C’est par la qualité de son offre de restauration qu’elle entend, plus que jamais, faire la différence. Mais, depuis la pandémie, le contexte est devenu plus compliqué.
“Nous évoluons avec notre temps et nous nous sommes sérieusement distancés de l’image poussiéreuse de la cantine que certains peuvent encore avoir en tête, assène Caroline Aelvoet. Nous proposons des offres modernes, certaines haut de gamme grâce à notre collaboration avec Bart Depooter, le chef étoilé. Nous avons beaucoup investi dans les distributeurs intelligents et les commandes digitales. L’ensemble doit nous permettre, dans les entreprises notamment, de capter la clientèle le matin, le midi et même le soir avec des plats à emporter. Je suis persuadée qu’une restauration créative et goûteuse proposée dans un décor convivial fait partie des atouts qui permettent à une entreprise de recruter et de garder son personnel. Il va de soi que l’émergence du télétravail complique les choses et nous oblige à développer des modèles d’affaire flexibles. Il y a beaucoup moins de personnel dans les entreprises les mercredis et vendredis et il faut être créatif pour que ces jours-là demeurent rentables.
Par contre, il y a une demande accrue pour du snacking et de la restauration de qualité pour accompagner des réunions, des séminaires et des événements d’entreprise. Il faut aussi pouvoir répondre à ces demandes.”
La concurrence
Depuis la pandémie, de nouveaux concurrents tentent d’entrer dans le secteur de la restauration collective. Notamment Foodmaker, en association avec Delhaize et Exki, deux noms bien connus et réputés pour la qualité et le positionnement de leurs produits. Chez Sodexo, on les tient évidemment à l’œil mais avec une inquiétude très mesurée. “Oui, nous les croisons sur certains appels d’offres, confirme Caroline Aelvoet. Mais ils n’ont ni le même modèle business ni la même réalité opérationnelle. Ils proposent une offre assez fixe et centralisée là où nous cuisinons à la demande du client. Une entreprise n’est pas l’autre et il faut pouvoir se montrer flexible et à l’écoute permanente du client. En outre, ils ne proposent que de la restauration. Enfin, j’ajouterais que proposer du catering dans les écoles, les hôpitaux, les prisons, les maisons de repos ou certains sites gouvernementaux demande une expertise spécifique.”
Présente dans tous les secteurs, des entreprises aux opérateurs ferroviaire et postal en passant par les écoles, les universités et la santé au sens large, Sodexo est aussi devenue un partenaire fréquent du ministère de la Défense depuis que celui-ci a décidé de sous-traiter certains de ses services. Par exemple, outre la restauration et les services facilitaires à l’Ecole royale militaire, Sodexo a aussi décroché un contrat de 10 ans au camp d’entraînement d’Elsenborn. Elle y remplit de nombreux services dont certains étaient inédits: service incendie, gestion de stands de tir, etc.
“Le segment gouvernemental est un secteur où nous disposons d’une belle marge de progression, conclut Caroline Aelvoet. La Défense est contente de nos services et le fait savoir. C’est la preuve qu’une association public-privé permet de faire avancer les choses dans le bon sens. C’est une collaboration à développer plus largement en Belgique. Dans le secteur de la santé, j’ai aussi quelques idées. Servir les repas que nous préparons, par exemple. Cela permettrait de soulager les infirmières. En Allemagne, Sodexo s’occupe du transport des patients d’un service à l’autre ou de leur chambre vers la radiologie. Pourquoi pas en Belgique? Nous avons développé une offre de repas à la carte qui marche bien au Chirec Delta. Bien manger ou manger ce qu’on aime participe au bien-être d’un patient et ne peut qu’être bénéfique pour sa guérison. Elle pourrait plaire à d’autres institutions. Nous restons aussi attentifs à répondre avec nos offres à la volonté objective des autorités de réduire la durée du séjour en hôpital.”
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