Quelle est la stratégie de Pieter Bourgeois, l’homme qui gère la fortune de Marc Coucke
Depuis près de dix ans, Pieter Bourgeois gère le patrimoine de Marc Coucke. Mais comment suivre un portefeuille diversifié comptant plus de quarante participations ? « L’opinion publique pense peut-être encore que Marc Coucke décide de tout, mais son intuition joue un rôle de moins en moins central. Tous les dossiers sont discutés au sein du comité d’investissement. Nous obtenons un bon rendement. D’ici 2030, la valeur de marché de notre portefeuille devrait avoir doublé », déclare le CEO d’Alychlo, le holding familial de Marc Coucke.
« Je peux contribuer davantage à la Belgique en investissant mes millions dans cinquante nouvelles entreprises belges, plutôt qu’en les versant dans le gouffre sans fond des caisses de l’État. » Ces paroles assez prophétiques, Marc Coucke les avait prononcées fin de l’année 2014. L’entrepreneur venait tout juste de vendre Omega Pharma pour 1,2 milliard d’euros à l’Américain Perrigo. La moitié de la somme avait été payée en numéraire (600 millions d’euros), l’autre moitié en actions Perrigo. Face aux critiques sur le fait que cette transaction n’avait généré aucun impôt en Belgique, Marc Coucke avait promis de réinvestir l’argent dans l’économie belge.
Il a tenu parole. Via le holding familial Alychlo – nommée d’après ses filles, Alysée et Chloé – un véritable empire économique, regroupant plus de quarante participations, est géré depuis Merelbeke. En parcourant ce portefeuille d’investissements très variés, il est pourtant possible de trouver un fil conducteur. Pairi Daiza, le RSC Anderlecht, EnergyVision, OKU, SnowWorld, Ekopak et Le Sanglier des Ardennes partagent un point commun : ils ont Alychlo de Marc Coucke comme actionnaire principal.
Si initialement, Marc Coucke investissait dans les opportunités qui se présentaient spontanément, la gestion du portefeuille est aujourd’hui assurée par une équipe de quinze personnes, dirigée par Pieter Bourgeois, CEO d’Alychlo depuis 2022.
« J’ai reçu une opportunité extraordinaire de Marc Coucke », explique Pieter Bourgeois. « En tant que contrôleur et directeur financier dans différentes entreprises, j’ai toujours été passionné par les fusions et acquisitions. J’aime être du côté des investisseurs. C’est ainsi que j’ai rencontré Marc Coucke à la fin 2014, peu après la vente d’Omega Pharma. En février 2015, j’ai rejoint Alychlo en tant que tout premier collaborateur. »
Le dernier bilan d’Alychlo, le holding de Marc Coucke, montre des fonds propres de 892 millions d’euros pour un bilan total d’environ 1,1 milliard. Vous avez commencé en 2014 avec 1,2 milliard d’euros.
PIETER BOURGEOIS : « Selon les règles comptables belges, ces chiffres sont évidemment corrects, mais la valeur de marché réelle de notre portefeuille est plus élevée. En effet, selon les règles comptables, nous devons amortir les pertes, qui doivent être immédiatement enregistrées, tandis que les succès restent inscrits dans les livres à la valeur d’acquisition. La valeur réelle n’est révélée qu’au moment d’une vente.
Bien entendu, nous calculons en interne la valeur de marché de notre portefeuille. Je ne peux pas donner de détails, mais cette valeur de marché est nettement supérieure à la valeur comptable. Et nous avons pour objectif de doubler cette valeur de marché d’ici 2030. Si nous voulons continuer à soutenir l’entrepreneuriat et à avoir un impact, il est essentiel de grandir. Sinon, nous devenons moins pertinents. Nous avons donc le devoir de continuer à nous développer. »
Quel rendement Alychlo a-t-elle généré ces dix dernières années ?
« En 2014, nous avons démarré avec un portefeuille de 1,2 milliard d’euros, dont 600 millions étaient en liquidités. Nous avons obtenu un rendement remarquable sur ces liquidités investies. L’autre moitié était constituée d’actions Perrigo, qui ont perdu en valeur et ont depuis été vendues.
Certaines de nos investissements, comme ceux réalisés à Durbuy, n’ont pas pour vocation de générer des rendements immédiats. Notre horizon d’investissement est à plus long terme que celui de nombreux fonds de capital-risque.
D’un point de vue opérationnel, nos entreprises se portent bien. En 2024, la quasi-totalité de notre quarantaine departicipations aura enregistré une croissance de leur chiffre d’affaires et de leur trésorerie d’exploitation. Pour moi, ceci est bien plus important que la valeur comptable ou de marché de notre portefeuille. »
Quelle est la mission d’Alychlo ?
« Nous voulons améliorer à la fois nos entreprises et la société. Notre passion pour les entrepreneurs locaux constitue le socle de nos activités. Nous avons la liberté de combiner des investissements dans l’entrepreneuriat local avec un impact sociétal.
Par exemple, nous investissons dans des entreprises qui améliorent l’environnement, comme Ekopak et EnergyVision. Avec Sophia Genetics, nous participons à une médecine personnalisée et proactive. Nous créons aussi de l’emploi : proportionnellement à nos participations, nous employons environ 3 400 équivalents temps plein, soit une augmentation de 33 % par rapport à 2021. »
Y a-t-il un fil conducteur ou une stratégie globale dans votre portefeuille ?
« Notre portefeuille est structuré de la manière suivante :
- 15 % sont investis dans des petites entreprises cotées en bourse.
- et 15 % sont placés dans d’autres fonds, comme Waterland ou Volta Ventures, ce qui nous permet également une diversification géographique.
- La majeure partie est constituée d’investissements directs, un mélange de participations importantes dans des entreprises privées et cotées en bourse, où nous siégeons également dans les conseils d’administration.
En termes de secteurs, nous nous concentrons sur :
- L’expérience (les loisirs, les moments en famille et entre amis).
- La durabilité.
- La santé.
- L’immobilier.
- Les plateformes numériques.
Cette répartition a connu une évolution historique, mais nos investissements dans les loisirs répondent à un besoin humain fondamental : celui de créer et préserver des moments uniques avec leur famille, leurs proches et leurs amis. »
Comment gérez-vous le portefeuille ?
« Les décisions importantes sont prises par notre comité d’investissement, qui suit systématiquement les participations existantes et analyse les nouvelles opportunités. Nous ne cherchons pas activement des investissements. Ce sont les entrepreneurs qui viennent vers nous avec leurs idées et leurs projets. Chaque semaine, nous recevons des dizaines de propositions. Nous analysons alors si elles correspondent à notre stratégie et si, au-delà du capital, nous pouvons offrir une réelle valeur ajoutée à ces entrepreneurs.
Mais une part importante de notre travail consiste à dire ‘non’ à la majorité des propositions reçues. Les nouveaux investissements doivent de préférence s’inscrire dans nos secteurs de prédilection. Nous n’investissons plus dans des start-up qui n’ont pas encore de chiffre d’affaires. C’est un métier différent. Nous privilégions les entreprises qui génèrent déjà des revenus et une trésorerie d’exploitation. Bien que nous n’ayons pas de critères stricts, le potentiel de croissance doit être clairement visible. »
L’intuition de Marc Coucke reste-t-elle le facteur déterminant ?
« Bien sûr, l’avis de Marc demeure essentiel. Nous gérons son holding et ses actifs. Cependant, tous les nouveaux dossiers d’investissement ou les potentielles ventes sont discutés au sein du comité d’investissement. Chaque voix autour de la table est écoutée.
La perception selon laquelle Marc décide de tout est dépassée. Ces dernières années, nous avons instauré une structure de concertation permettant de parvenir à des décisions collectives. »
Comment se passe la collaboration avec Marc Coucke ?
« Ce que vous voyez, c’est ce que vous obtenez. (rire) Cela fait maintenant dix ans que nous travaillons ensemble. Nous nous connaissons bien, nous nous comprenons mutuellement et nous avons établi une relation de confiance.
Nous partageons souvent la même vision sur une participation. Des règles claires précisent jusqu’où je peux décider seul et à partir de quel moment l’accord de Marc est nécessaire. Cela fonctionne parfaitement. Cette grande autonomie rend mon travail passionnant, tant pour moi que pour mon équipe de quinze professionnels motivés.
Le rôle de mon équipe est souvent sous-estimé. Elle dispose d’une grande expérience, travaille de manière autonome et peut mettre en œuvre des stratégies. Nous sommes très impliqués sur le terrain. Mes collaborateurs et moi-même sommes en contact direct avec le management des entreprises de notre portefeuille. Certaines entreprises, comme Pairi Daiza et SnowWorld, nous rendent des comptes quotidiennement.
Nous disposons également en interne d’expertises financières, juridiques et fiscales, ce qui nous permet de tout gérer nous-mêmes autant que possible. »
Comment décririez-vous votre courbe d’apprentissage au cours des dix dernières années ?
« J’ai évolué d’analyste à administrateur. J’ai troqué les feuilles Excel contre la table des réunions. On peut avoir raison dans un fichier Excel, mais l’impact est beaucoup plus grand lorsqu’on dialogue avec le management ou qu’on soutient les entrepreneurs. Leur croissance me procure une immense satisfaction.
Au début de ce mois, l’américain Thermo Fisher est entré dans le capital de miDiagnostics. Ce type de transaction me donne de l’énergie. Ainsi, nous contribuons à une médecine plus proactive. Parfois, nous souffrons d’une fausse modestie. L’entrée d’un leader mondial comme Thermo Fisher est une véritable reconnaissance de qualité.»
Envisagez-vous de rechercher activement de nouvelles opportunités d’investissement ?
« J’ai appris à ne jamais dire ‘jamais’, mais ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant. Nous avons déjà constitué un beau portefeuille. Il reste bien sûr de la place pour de nouveaux investissements. Les dividendes que nous recevons nous procurent des ressources. Nous n’avons donc pas besoin de vendre des participations pour investir. Si une entreprise est performante, pourquoi la vendre ? »
Il est d’ailleurs surprenant de constater qu’Alychlo, en dix ans d’existence, n’a réalisé qu’une seule cession complète : celle de Ceres Pharma.
« De nombreux entrepreneurs souhaitent collaborer avec nous justement en raison de notre engagement à long terme. En février, nous célébrerons nos dix ans, et nous n’avons effectué qu’une seule sortie complète. C’est un choix délibéré. Nous ne deviendrons jamais des vendeurs en série.
Cela dit, je n’exclus pas que dans les années à venir, nous procédions à quelques ventes partielles, en recherchant de nouveaux partenaires pour ces entreprises. Parfois, il est sain pour une entreprise de renouveler son actionnariat. De nouveaux actionnaires et administrateurs peuvent apporter des idées novatrices. »
Alychlo pourrait-elle envisager un endettement plus important pour son portefeuille ?
« Non. Une position d’endettement limitée est saine, y compris pour les entreprises de notre portefeuille. Nous n’utilisons pas un effet de levier excessif comme le font certains investisseurs anglo-saxons. Nos entreprises, en particulier celles du secteur des loisirs, ont bien traversé la crise du Covid-19, notamment grâce à leur faible niveau d’endettement. »
La hausse des taux d’intérêt entraîne-t-elle déjà une baisse des prix d’acquisition sur le marché ?
« Nous n’avons pas encore constaté de baisse significative des prix. Cependant, les écarts entre les secteurs se creusent. Avec des taux d’intérêt plus élevés, le marché accorde de nouveau une plus grande importance à des critères traditionnels, comme la croissance du chiffre d’affaires et la trésorerie opérationnelle. Pendant la période des taux zéro, tout semblait possible, mais cette ère d’argent gratuit est révolue. »
En tant que supporter de Cercle Bruges, est-il difficile d’investir dans Anderlecht ?
« Mon premier maillot était vert et noir, car j’allais, enfant, avec mon grand-père aux matchs du Cercle à domicile. Mais je ne suis ni un expert ni un passionné de football. Un membre de notre équipe suit la participation dans Anderlecht. Nous gérons cette participation d’une manière purement professionnelle. »
Êtes-vous inquiet pour l’industrie ? Par exemple, Ekopak, l’un de vos investissements, subit la crise dans ce secteur.
« L’industrie traverse une période difficile, alors que le secteur des services tient encore bon. Cependant, il est difficile de maintenir cet équilibre entre une industrie en recul et un secteur des services en croissance. Penser que l’économie de services peut prospérer sans une industrie solide serait naïf.
Avec les développements géopolitiques actuels, l’Europe aura besoin d’une industrie locale pour renforcer son autonomie stratégique. Cela dit, dans nos secteurs, nous n’observons aucun affaiblissement. Il y a toujours des cycles, mais nous prévoyons une très belle croissance dans presque toutes nos entreprises. La demande pour des expériences uniques continue d’augmenter. »
Pairi Daiza, par exemple, a-t-il encore du potentiel de croissance ?
PIETER BOURGEOIS : « Lors de notre entrée en 2015, le parc accueillait 800 000 visiteurs par an. Moins de dix ans plus tard, nous atteignons déjà la barre des 2,5 millions de visiteurs cette année. Nous continuons d’investir pour élargir le parc, afin que nos visiteurs puissent profiter du plus beau zoo d’Europe, quelles que soient les conditions météorologiques. »
Suivez-vous les négociations gouvernementales avec inquiétude, notamment en ce qui concerne une potentielle taxation des plus-values ?
« Personnellement, je pense qu’il y a de la place pour une taxation des plus-values, à condition que les moins-values soient également prises en compte et que les charges sur le travail soient fortement réduites.
Nous avons également besoin d’un débat sur les missions fondamentales de l’État. L’administration publique doit être plus efficace. De plus, les politiques doivent avoir une attitude plus positive envers les entrepreneurs. Le monde des affaires en a grandement besoin. Enfin, le cadre réglementaire est devenu trop rigide, ce qui freine l’innovation. Par exemple, en matière d’intelligence artificielle, les États-Unis ont les entreprises performantes, tandis que l’Europe produit les lois… L’entrepreneuriat est étouffé. Nous investissons massivement dans la durabilité, mais cela doit se faire sur le terrain, et non à travers des rapports. »
Les plus importantes participations d’Alychlo
1. Investissements directs (cotés en bourse)
• AnimalCare
• Fagron
• Ekopak
• Greenyard
• Sophia Genetics
• Unifiedpost
• Smartphoto
• The Italian Sea Group
• Fountain
• Compagnie des Alpes
2. Investissements directs (privés)
• Pairi Daiza
• Bouwgroep Versluys
• MiDiagnostics
• Itineris
• RSC Anderlecht
• EnergyVision
• SnowWorld
• OKU Hotels
• Arenal
• Lizy
• Urban Gardens
• MaisonRouge
• Het Witte Paard
• La Réserve
• Comate
• Diverse investeringen in Durbuy
• Vastgoedinvesteringen
3. Plus petites participations
• Lotus Bakeries
• VGP
• Xior
4. Investissements dans d’autres fonds
• Droia, Triginta, Mitiska Reim, Waterland, Volta Ventures, CIM Capital, Immobel Belux Development, Smartfin, Comate Ventures, Balderton Capital, Tioga Capita
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