Quatre questions autour du départ de Jef Colruyt
L’emblématique CEO du groupe Colruyt, Jef Colruyt a annoncé qu’il confiait la direction du distributeur belge à Stefan Goethaert. C’est la première fois qu’un membre extérieur à la famille est appelé à diriger l’entreprise.
Il avait postposé son départ à plusieurs reprises. A la direction du groupe depuis 1994, Jef Colruyt a décidé de céder sa place à l’actuel directeur des opérations Stefan Goethaert, première personne qui ne soit pas issue directement de la famille. Faut-il s’attendre à un basculement ou une nouvelle stratégie? Trends-Tendances fait le point en quatre questions.
1. Pourquoi Jef Colruyt ne sera plus CEO?
L’emblématique patron du distributeur belge explique sa décision par son âge. “Bientôt 65 ans, précise-t-il. Je crois que c’est le bon moment pour le faire et pour appuyer sur l’accélérateur.” Alors qu’il avait déjà pensé à céder sa place quelques années plus tôt, la crise sanitaire et ensuite la guerre en Ukraine ont contrecarré ses plans. Ce n’était pas le moment de laisser tomber le groupe. “Son départ est à son image, c’est-à-dire bien réfléchi”, analyse Christophe Sancy, rédacteur en chef de Gondola.
Lorsque Jef Colruyt a pris la direction de Colruyt, le groupe comptait 127 magasins et employait 5.000 personnes. Aujourd’hui, les magasins sont au nombre de 775 et plus de 33.000 personnes travaillent au sein de l’entreprise. “Je me suis fait la réflexion qu’il est agréable de s’arrêter à un sommet. Pour mon successeur aussi, c’est un avantage”, a-t-il expliqué lors de la publication des résultats du groupe. Si le CEO attend son successeur pour le 1er juillet, il restera néanmoins président du conseil d’administration. “On peut dire que je serais à moitié pensionné”, sourit Jef Colruyt qui assure qu’il ne sera pas là pour tout contrôler. “Je serai en support mais c’est Stefan qui prendra les décisions.”
2. Qui est le nouveau CEO?
Stefan Goethaert est l’actuel COO (chief operating officer). C’est “un pur produit Colruyt” qui prendra donc la direction du groupe puisque celui-ci compte plus de 10 ans d’expérience au sein de l’entreprise. “Je ne vais pas remplacer Jef, il est irremplaçable”, explique le futur CEO, très fier d’avoir reçu la confiance de Jef Colruyt. “Il a construit une véritable identité et une culture d’entreprise”, ajoute-t-il.
Stefan Goethaert a commencé à travailler chez Colruyt en 2012 dans la chaîne logistique, avant de devenir directeur de la production alimentaire du groupe en 2013, puis des départements Private Label (Boni, Everyday) et Retail Services dès le début de l’année 2019. “Stefan apporte une solide expérience en management international, combinée aux compétences de leadership requises et à une vision basée sur les valeurs, ajoute Jef Colruyt. Il dispose du bagage nécessaire et d’une connaissance approfondie des différentes activités qui lui permettront de continuer à définir et à réaliser la stratégie de Colruyt Group dans un marché de détail en pleine évolution.”
“Le nouveau CEO est compatible avec la culture Colruyt, ce qui est essentiel.”
Le choix d’un CEO en interne, même s’il est extérieur à la famille, s’inscrit dans la culture d’entreprise du groupe. “Le nouveau CEO a un esprit curieux, tourné vers l’innovation”, analyse Christophe Sancy qui précise que le profil est intéressant pour la stratégie du groupe. “Il est compatible avec la culture Colruyt, ce qui est essentiel.”
3. Pourquoi un CEO extérieur à la famille?
Stefan Goethaert est donc le premier membre extérieur à la famille à diriger Colruyt. “Il a toute ma confiance, c’est quelqu’un de travailleur”, précise Jef Colruyt. Jusqu’ici, trois générations se sont succédé à la tête de l’entreprise depuis sa création en 1928. Jef a quatre enfants, dont l’une – Lisa – est entrée au conseil d’administration l’année dernière.
Cette nomination externe signifierait-elle un désintérêt de la part de la famille? “Lisa a le temps”, nous souffle-t-on. Pas impossible donc de revoir un jour un membre de la famille revenir aux décisions opérationnelles mais force est de constater qu’aucun des enfants n’a – pour le moment – assez d’expérience pour gérer une entreprise de 11 milliards d’euros. Passer les commandes à quelqu’un qui n’est pas directement issu de la famille, c’est aussi représentatif de la culture d’entreprise insufflée par Jef Colruyt. “C’est une manière de montrer qu’il n’y a pas de passe-droit”, explique Christophe Sancy.
La famille Colruyt reste néanmoins très ancrée dans l’entreprise avec, on l’a dit, une présence au conseil d’administration mais également via l’actionnariat des familles rassemblées dans le holding Korys. Faut-il s’attendre à un retrait de l’actionnariat? “Non”, répond Jef Colruyt sans hésitation.
4. Une nouvelle stratégie et quels défis?
“Les challenges sont là, pas seulement pour Colruyt, mais pour tout le secteur de la grande distribution”, précise le rédacteur en chef de Gondola. S’il est leader du marché en Belgique, Colruyt doit faire face à une concurrence accrue en termes de prix bas, notamment depuis l’arrivée d’Albert Heijn, qui est très agressif en Flandre. Un problème dont le nouveau CEO est bien conscient. “Les entreprises plus grandes que nous ont l’avantage de l’échelle mais le fait qu’elles opèrent depuis l’étranger pour certaines de leurs activités, comme les processus logistiques, est un inconvénient”, convient Stefan Goethaert.
“Nous devons continuer à rivaliser avec les pays étrangers.”
Celui-ci sera également attentif à la tendance des achats transfrontaliers. “Nous devons continuer à rivaliser avec les pays étrangers et faire valoir notre production locale”, assure-il. La gestion des coûts sera donc primordiale pour le groupe, ce qui a priori n’est pas un problème pour l’entreprise belge. “Colruyt excelle là-dedans, c’est une machine où tout est optimisé”, précise Christophe Sancy.
L’offre numérique ou plutôt le “phygital”, combinaison de physique et digital, semble être la priorité du nouveau CEO. Celui-ci a déjà annoncé qu’il développerait davantage l’application Xtra ainsi que de nouvelles fonctionnalités. Pas de véritable bouleversement à attendre dans la stratégie du groupe donc. Colruyt va continuer à se concentrer sur ses quatre domaines d’activité, à savoir l’alimentation, la santé, le non food (mode et jouet) et l’énergie. “Il y a encore des opportunités de croissance”, souligne le futur CEO qui souhaite continuer à ouvrir de nouveaux points de vente, principalement des magasins OKay dans les villes.
Le retail food ne sera pas la seule voie de développement, Colruyt va continuer à investir dans ses autres activités. “Il y a énormément de potentiel et de synergies possibles, souligne Stefan Goethaert. Par exemple, les produits de Newpharma peuvent également être accessibles dans nos autres magasins.” “Il leur faudra sans doute être plus réactif qu’ils ne l’ont été à l’époque”, prévient Christophe Sancy, qui rappelle que Colruyt est une enseigne très rationnelle.
Le chiffre d’affaires et la part de marché ont augmenté
“L’exercice écoulé a été riche en défis et s’est soldé par une forte baisse du résultat, a expliqué Jef Colruyt lors de la présentation des chiffes du groupe. Nous avons fait des efforts supplémentaires et nous sommes davantage concentrés sur la maîtrise des coûts opérationnels et l’efficacité, mais aussi sur la gestion de la trésorerie. C’est en partie grâce à ces efforts que la baisse des résultats enregistrée au cours de l’exercice 2022/2023 est inférieure à ce que nous craignions.”
Alors que la part de marché est passée à 31%, le chiffre d’affaires a augmenté de 7,7% à 10,8 milliards d’euros, principalement en raison de l’inflation mais le bénéfice de l’exercice a chuté de 30,4%. En cause? La hausse des coûts liés à l’inflation et l’indexation des salaires. Colruyt a vu ses coûts d’exploitation augmenter de 235 millions d’euros. “Hors acquisitions, il s’agit d’une augmentation de 200 millions d’euros, dont nous pouvons dire que 80 à 85% sont facilement imputables à l’inflation”, a précisé Stefaan Vandamme, directeur financier. Les coûts salariaux ont augmenté de 115 millions d’euros et les coûts de l’énergie et du transport de 50 millions d’euros.
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