Le plus grand fabricant belge de lingerie de qualité dévoile les dessous de son entreprise
Marie Jo, PrimaDonna, Andrés Sardá…: des marques connues des amatrices de belle lingerie et fabriquées ici, en Belgique, chez Van de Velde. Ces dernières années, les CEO s’y sont succédé. Une curiosité sur laquelle le pater familias, Herman Van de Velde, revient sans fard. “Nous sommes des entrepreneurs prudents”, explique-t-il, avant de s’exprimer sur l’avenir de cet entreprise centenaire.
Une entreprise familiale solide comme le roc qui dit au revoir à ses CEO de plus en plus vite. C’est l’image que le groupe est-flandrien Van de Velde, coté en Bourse, s’est forgée après le départ du directeur général Peter Corijn, sept mois à peine après sa nomination. M. Corijn a succédé à Marleen Vaesen, qui avait elle-même dû remplacer Erwin Van Laethem, celui-ci ayant été engagé après le départ d’Ignace Van Doorselaere…
En bref, Karel Verlinde est le cinquième CEO en six ans de Van de Velde, le groupe fondé en 1919 par le couple Margaretha et Achiel Van de Velde, et qui possède des marques phares de la lingerie comme Marie Jo, PrimaDonna et Andres Sarda. Une fois n’est pas coutume, le président et figure de proue de la famille, Herman Van de Velde, qui a lui-même été longtemps CEO, prend la parole et s’exprime sur l’avenir de l’entreprise.
Voir aussi notre reportage photo: Tout en dentelle: après quelques années difficiles, Van de Velde se développe à nouveau
TRENDS-TENDANCES. En boutade, on pourrait dire que votre groupe use ses CEO plus vite que les soutiens-gorge qu’il fabrique…
HERMAN VAN DE VELDE. (rires) Il y a quelque chose de cela… Je n’ai pas de problème avec cette déclaration. Mais c’est une question de perception car je n’épuise pas ces CEO. Dans le cas de Peter Corijn, par exemple, la pression est venue d’en bas. La relation n’était pas bonne avec le personnel. L’étincelle n’a pas jailli. Quant à Marleen Vaesen, qui venait de notre conseil d’administration, elle a fait un travail remarquable. Elle a remis l’entreprise sur les rails. Mais elle avait indiqué dès le début que ce serait pour une période limitée
Sur le marché de la lingerie haut de gamme, il y a beaucoup d’entreprises familiales. Mais je ne vois pas le secteur se consolider de sitôt.
Les choses avaient déjà mal tourné auparavant.
J’ai dirigé cette entreprise pendant 20 ans avec mon frère Karel et mon cousin Lucas Laureys et cela a très bien marché. Dans une entreprise familiale, il y a toujours de l’affectif, une certaine tension. Ce n’est pas typique de Van de Velde mais typique des entreprises familiales. Je pense que nous gérons même cela raisonnablement bien.
Aujourd’hui, c’est votre directeur financier Karel Verlinde, qui est le nouveau CEO. Ad interim ou permanent?
Espérons que ce soit le cas. Mais je ne décide pas de ça tout seul. C’est le travail du conseil d’administration. C’est un homme très bien. Il a le soutien du personnel et il a l’esprit d’équipe, ce qui est très important. Il ne se focalise pas sur lumière des projecteurs. Nous ne cherchons donc pas quelqu’un d’autre tout de suite. Voyons dans quelques mois où nous en sommes et ce qu’il pense lui-même.
Mais il n’est pas un agent du changement.
Bien sûr, nous voulons nous développer mais nous sommes aussi une entreprise assez conservatrice. Nous sommes des entrepreneurs prudents. Le CEO doit respecter l’héritage et notre stratégie. Le terrain de jeu est bien défini: la lingerie dans le segment haut de gamme, pas de vêtements d’extérieur ni de grandes acquisitions et l’esprit d’entreprise, mais avec prudence.
Vos résultats sont très bons alors que le nombre de points de vente dans ce secteur est en baisse.
Ce n’est pas notre marché qui se rétrécit, mais le canal de distribution dans lequel nous opérons principalement, la boutique indépendante. Dans un certain nombre de pays en tout cas. En Belgique, ce n’est pas vraiment le cas. Mais c’est l’un de nos plus grands défis.
Les consommateurs plus jeunes n’entrent pas aussi facilement dans une boutique de lingerie, n’est-ce pas?
Nous devons garder à l’esprit que nous avons ce consommateur plus jeune, les milléniaux, avec nous. Cela a autant à voir avec le style des collections, des produits et du marketing qu’avec la chaîne. Je ne crois pas que les jeunes fréquentent forcément moins les magasins spécialisés qu’il y a 20 ou 30 ans.
Van de Velde opère aux Etats-Unis depuis 2007. Des six magasins d’origine, il en reste trois. Pourquoi y êtes-vous toujours actif?
Nous avons déjà investi beaucoup d’argent dans ce projet et il faut bien l’admettre, nous avons également perdu beaucoup d’argent. Mais nous ne voulons pas lâcher ce marché. Nous y voyons encore du potentiel. Mais nous allons d’abord réfléchir à notre approche. Le marché est beaucoup plus étendu qu’en Europe et la distribution est différente. Les consommateurs américains sont également un peu plus sensibles au prix. Nous nous concentrons donc d’abord sur l’Europe occidentale, en particulier sur l’Allemagne, un grand pays au pouvoir d’achat élevé. La Belgique, bien sûr, reste un marché très important, tout comme les Pays-Bas, le Danemark et la Suisse.
Quel est l’état de la concurrence?
C’est assez fragmenté. Sur ce marché haut de gamme, il y a beaucoup d’entreprises familiales. Par exemple, en Allemagne, vous avez Anita et Felina, et en France, vous avez Chantelle, Aubade et Simone Pérèle. Je ne vois pas la consolidation arriver de sitôt. Je ne sais pas non plus si nous voulons participer à cette consolidation. Nous voulons effectivement faire des acquisitions, mais pas via des marques similaires aux nôtres.
Où Van de Velde produit-il?
La production est répartie à parts égales entre la Tunisie et l’Asie. Avant, c’était la Chine et la Thaïlande, puis seulement la Chine. Maintenant, nous nous projetons à nouveau vers la Thaïlande. Cette décision est prise avec notre partenaire chinois Top Form, dont nous sommes actionnaires. En Tunisie, nous avons notre propre société avec 700 employés, que nous sommes en train de développer. Je ne veux pas dépendre d’une seule filière. En fait, nous envisageons plutôt une troisième étape de production, afin de répartir davantage le risque. Ça pourrait être la Turquie, ou le Maroc. Il y a deux ans, nous nous sommes également intéressés à l’Ukraine. Bien sûr, ce n’est plus une option…
Les acheteurs potentiels frappent-ils parfois à la porte ici?
Non. Nous gardons également cette porte fermée (rires). Nous ne donnons aucun signe que nous serions ouverts à une telle chose. Les acteurs du capital-investissement frappent à notre porte de temps en temps. Mais nous, la famille, voulons garder la majorité.
Mais que se passerait-il si une opportunité d’acquisition unique se présentait, pour faire un grand pas en avant? La famille serait-elle prête à diluer, à s’associer à un fonds d’investissement privé pour saisir cette opportunité?
Si c’est le cas, elle devra d’abord expliquer comment elle souhaite le faire. Mais, encore une fois, la famille ne veut pas diluer l’actionnariat. Elle possède actuellement entre 57 et 58% des parts.
Qui est la famille?
J’ai quatre filles. Une seule d’entre elles, Lien, est active dans l’entreprise. Elle est la seule de la quatrième génération. Elle est maintenant responsable de la R&D mais n’a pas l’ambition de devenir CEO. J’ai deux soeurs, chacune d’entre elles ayant également quatre enfants. Greet était responsable de la planification et Liesbeth fait partie du comité exécutif. Elle est responsable de la conception. Du côté des Laureys, vous avez une génération intermédiaire. La quatrième génération y est entre moi et mes enfants. Les deux filles de Lucas font partie du conseil d’administration depuis des années mais à ma connaissance, elles n’ont jamais eu l’ambition de travailler dans l’entreprise sur le plan opérationnel. Elles apportent leur expérience du commerce de détail.
L’inflation est dangereuse et peut entraîner des troubles. L’histoire l’a prouvé. Heureusement, en Belgique, nous avons l’indexation. Je ne suis absolument pas en faveur de sa suppression.
Vous êtes le pater familias.
Oui, sans vraiment savoir pourquoi. En fin de compte, je suis juste un petit actionnaire. Mais quelqu’un doit jouer ce rôle. Bien que cela touche à sa fin. J’ai 68 ans et normalement j’arrête à 70 ans.
Regrettez-vous que l’un de vos enfants n’ait pas voulu accéder au sommet?
Bien sûr, cela aurait été bien si j’avais pu choisir un de mes propres enfants, ou quelqu’un de la famille. Mon scénario de rêve était que ce soit ma propre fille. Mais ce n’est pas le cas. Cela me peine-t-il? Pas du tout. Ils ont fait leurs propres choix et ont construit des carrières passionnantes. Il y a aussi les enfants de mes soeurs. Il y a des jeunes de 20 ans et des jeunes de 30 ans parmi eux. Quelqu’un peut en sortir. Mais certainement pas dans les cinq prochaines années.
Où voyez-vous l’entreprise à long terme?
Mes parents m’ont offert une belle entreprise, et j’ai toujours eu l’ambition de pouvoir la transmettre encore plus belle à la génération suivante. Et je pense que c’est ce que nous faisons. J’espère que la prochaine génération passera elle aussi à la vitesse supérieure. Cela devra probablement se faire avec une gestion externe.
La probabilité d’une sortie de Bourse s’accroît-elle?
Non, au contraire. Nous aurions pu quitter la Bourse mais pour cela, il fallait que tous les membres de la famille soient d’accord et il fallait le faire au bon moment. Maintenant, l’élan est un peu retombé. Les taux d’intérêt augmentent, et le prix de l’action est 50% plus élevé qu’il y a deux ans. L’action a été à 20 euros, maintenant un peu plus de 30. Il n’en est donc plus question.
Vous le regrettez?
Le regret est toujours une seconde erreur. Non, il ne faut pas avoir trop de regrets. Je connais des gens qui regrettent toujours de ne pas avoir fait ceci ou cela, et qui s’en inquiètent sans cesse. Ce sont des gens malheureux. Nous n’avons pas saisi certaines opportunités alors que nous aurions dû le faire. Mais la page est tournée.
Y a-t-il un nuage sombre qui plane quelque part?
Je suis un macroéconomiste. La montée du nationalisme économique, qui menace de mettre fin au libre-échange des dernières décennies, combinée à l’inflation, cela me fait peur. Le génie est sorti de la bouteille, et il faut le remettre dedans. L’inflation est dangereuse et peut entraîner des troubles. L’histoire l’a prouvé. Heureusement, nous avons l’indexation en Belgique. Je ne suis absolument pas en faveur de sa suppression, comme le réclament de nombreux entrepreneurs. Bien que je trouve injuste qu’une personne gagnant 2.000 euros reçoive 200 euros de plus, alors qu’une personne en gagnant 10.000 touche 1.000 euros de plus. On devrait pouvoir plafonner cela.
Profil
· 1954: naissance à Gand. Maîtrise en économie à la KU Leuven ; postgraduat en gestion d’entreprise à l’université d’Anvers
· 1981: prend en charge Van de Velde, avec son frère Karel et son neveu Lucas Laureys
· 2004: co-CEO avec Ignace Van Doorselaere
· 2015: président du CA de Van de Velde
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