Laurent Louyet, Manager de l’Année: “C’est un choix, soit on vendait, soit on rachetait”

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le CEO du groupe Louyet a remporté le 40e titre du Manager de l’Année décerné par Trends-Tendances. Actif dans la distribution automobile (BMW, MINI, Jaguar Land Rover…), Laurent Louyet démontre que la concession familiale belge a encore de l’avenir. À condition de savoir la transformer en groupe.

Laurent Louyet, 42 ans, patron du groupe homonyme de distribution automobile, succède à Michaël Labro, fondateur de PMSweet, champion du macaron. De toute l’histoire du Manager de l’Année, débutée en 1985 avec Albert Frère, c’est la première fois qu’un patron du monde de l’automobile remporte la récompense. Pour l’anecdote, le 40e Manager de l’Année avait rencontré en son temps le premier lauréat, à qui il avait livré une voiture à domicile.

Pourquoi Laurent Louyet ? Le jury et le public – qui a voté sur le site web de notre magazine – ont été séduits par la belle progression du groupe familial, devenu le premier distributeur de voitures et de motos BMW, et d’autos MINI en Belgique. Il a été fondé à Charleroi, où il est toujours basé, s’est étendu dans le Namurois, à Bruxelles et en Flandre, jusqu’au Grand-Duché de Luxembourg depuis peu, et cela en une dizaine d’années à peine. Un développement auquel Laurent Louyet a récemment ajouté des concessions Jaguar, Land Rover et Aston Martin. Il est importateur de Rolls-Royce, de McLaren et d’Automobili Pininfarina, et est actif depuis peu dans la distribution de vélos, avec Black and Bike.

Le groupe Louyet occupe actuellement 900 personnes, devrait avoir réalisé un chiffre d’affaires supérieur à 800 millions d’euros en 2024, qui a plus que doublé en quatre ans, et distribue 11.000 voitures neuves par an, en restant rentable.

Laurent Louyet est le représentant de la troisième génération de la famille Louyet. Il a pris la direction de l’entreprise en 2013, à 31 ans. Il est passé de deux implantations, à Charleroi et Sambreville, à une trentaine de points de vente aujourd’hui. Le plus spectaculaire est le site de BMW Brussels, à Evere, sur la chaussée de Louvain. Il s’étend sur 30.000 m², soit l’équivalent des deux tiers de la surface du shopping center de Woluwe-Saint-Lambert.

Quelques chiffres

Comptes consolidés, en millions d’euros (société faitière : L. Louyet s.a.)

20222023
Ventes523,467666,467
Bénéfice net7,72114

Source : BNB, Centrale des bilan

La récompense d’une stratégie audacieuse

Le jury et le public ont été attirés par la stratégie ambitieuse de Laurent Louyet, à contre-courant de l’évolution du monde de la concession en Belgique, en voie de concentration. Traditionnellement familial, ce secteur de PME tend à passer dans le giron de grands groupes, de plus en plus internationaux comme le suisse Emil Frey (sous la marque Autosphere), numéro un européen du secteur, le néerlandais Van Mossel, devenu acteur dominant de la concession automobile en Belgique, en multimarques, et des français comme Car Avenue. Le plus grand groupe belge actif dans les concessions est D’Ieteren, également importateur des marques du groupe VW.

C’est l’évolution du secteur de la distribution automobile, fort secoué actuellement, qui dissuade beaucoup d’enfants de patrons de concessions de prendre la relève, avec l’électrification et la pression des constructeurs pour réduire les coûts de distribution.

“J’avais envie de créer un groupe multisite”

“C’est un choix : soit on vendait, soit on rachetait”, reconnaît Laurent Louyet. Comme il n’est pas du tout négatif sur le futur du métier, il a fait son choix. Il estime que la mobilité individuelle restera longtemps incontournable. L’électrification ne lui fait pas peur. Pour autant, il estimait impossible de continuer le métier avec deux implantations. Il a depuis longtemps la volonté de construire un groupe par acquisitions. “Quand je voyais tous les groupes internationaux qui arrivaient sur le marché, j’avais envie de créer un groupe multisite”, se rappelle le CEO.

Cette stratégie de croissance anticipe un changement fondamental dans les relations entre constructeurs et réseaux de distribution. BMW et MINI, comme d’autres, veulent changer la relation en transformant les concessionnaires en agents. Avec le système historique de la concession, les constructeurs sont des grossistes, et les concessionnaires des détaillants qui achètent leur stock, le finance en échange d’une autonomie commerciale ; ils font des remises comme ils l’entendent. Avec le statut d’agent, que MINI a lancé récemment en Belgique, que BMW devrait bientôt adopter, le constructeur crée un lien direct avec le client final. Il le facture, fixe les tarifs. L’ancien concessionnaire, devenu agent, ne doit plus financer le stock, mais perd une certaine liberté commerciale, ne joue plus des remises ; il est rémunéré selon les services prestés.

Ce nouveau statut modifie le profil du revendeur, une approche de groupe permet de s’adapter au nouveau statut, en réduisant le coût de distribution par voiture commercialisée.

L’approche du groupe permet de développer des services centraux spécialisés au service des points de vente, . “Avec deux concessions, nous n’aurions pas pu, par exemple, avoir un département RH ou des fonctions spécialisées ; nous n’aurions pas pu avoir, comme aujourd’hui, des personnes dédiées aux médias sociaux ou à l’événementiel.”

La nouvelle organisation de groupe comprend 60 personnes, dont 25 dans la finance et sept dans le marketing. Les activités centrales sont réparties sur trois sites : Charleroi (qui reste le siège social), Wavre et Bruxelles (Evere). Laurent Louyet n’a pas de bureau fixe. Il est très numérique, gère beaucoup via smartphone et téléconférences, et il se déplace tout le temps. “J’essaie de voir au maximum les équipes.” Il fait le tour des concessions “au moins une fois par mois”.

En concession dès l’adolescence

Comme son père, il est venu travailler jeune dans la concession familiale, dès l’âge de 14-15 ans, faisant tous les métiers, du nettoyage de l’atelier à la mécanique et à la carrosserie. Il y passait une bonne partie de ses congés scolaires et n’a jamais imaginé faire un autre job. Il entreprend bien des études de marketing à Namur, à l’IESN, mais n’achève pas la première année. Il entre en 2002 à la concession de Charleroi, rue de Mons. Son père le prépare alors à diriger l’entreprise en le faisant tourner dans toutes les fonctions, de la vente à l’après-vente, en passant par l’administratif.

Son père avait 58 ans lorsqu’il a laissé les commandes à son fils, ce qui est plutôt jeune pour une PME familiale où, sauf souci personnel, les patrons tendent à rester longtemps aux commandes, et à intervenir même après avoir cédé le poste. Léon Louyet a préféré que les choses soient claires, que son fils ait toutes les manettes en main. “Il est toujours actionnaire, mais n’est plus dans l’opérationnel”, précise Laurent Louyet, qui a ainsi pu déployer librement sa vision du développement de l’entreprise.

C’était en 2010. Laurent Louyet présentait avec son père, Léon, une projection de la rénovation de la concession de Charleroi.

La deuxième génération

Le garage Louyet, situé rue Dagnelies, est une institution à Charleroi. La concession BMW a été fondée en 1959 par un coureur cycliste professionnel, Léon Louyet. Lorsqu’il disparaît en 1973, son épouse Emma, qui y travaillait de longue date, poursuit l’activité, épaulée par son fils, également prénommé Léon, qui prend la suite en 1980. L’entreprise grandit avec la marque BMW et ajoute la marque britannique MINI. Léon Louyet “fils” va faire une première étape dans le “multisite” en ouvrant une succursale à Sambreville, à la frontière du Namurois, en 2007.

Le fondateur : Léon, cycliste professionnel
Né en juillet 1906, le fondateur Léon Louyet, qui a ouvert la première concession familiale en 1959, rue Dagnelies à Charleroi, avec BMW, a d’abord été coureur cycliste professionnel. Il fut vainqueur du Tour de Belgique des indépendants en 1931, de deux étapes au Tour de France en 1933, a terminé sixième au Tour des Flandres en 1933 (équipe Genial Lucifer-Hutchinson), à 26 ans, et a notamment couru Paris-Nice et Paris-Roubaix. Après-guerre, il se reconvertit dans la vente de vélos et de motos, en mettant en avant, dans ses publicités, son passé de sportif, affichant parfois son palmarès dans des annonces, accompagné d’une photo en maillot.
Lorsque Léon Louyet se lance dans l’automobile en 1959, avec BMW, il mise sur une marque encore modeste. Les usines du groupe bavarois se relevaient des destructions de la guerre. Ce n’était pas le BMW triomphant d’aujourd’hui, celui qui figure dans le top 3 du premium (BMW-Audi-Mercedes) et en tête des immatriculations en Belgique. La marque munichoise n’a vraiment décollé que dans les années 1960 avec le Neue Klasse, notamment la BMW 1500.

Ainsi se bâtit une tradition familiale. Avec une coutume pour le prénom : les enfants reçoivent généralement un prénom commençant par “L”. Les enfants de Laurent Louyet s’appellent ainsi Lola et Louis. Ce qui pérennise le logo de l’entreprise, formé d’un double “L” qui orne discrètement l’arrière de milliers de voitures.

C’est une tradition familiale : les enfants reçoivent généralement un prénom commençant par “L”. Ce qui pérennise le logo de l’entreprise, formé d’un double “L”.

Le troisième Louyet, Laurent, va donc se lancer dans des acquisitions. Il commence par La Louvière, A2 Motor à Marcinelle (moto), puis Novauto à Mons. Il entre en Flandre en acquérant une concession BMW à Leeuw-Saint-Pierre, Vandeperre, en 2019, première opération d’envergure.

Le décollage du groupe en 2021

Le groupe Louyet se constitue surtout en 2021, avec deux opérations importantes. D’abord la reprise de BMW Brussels, à Evere, en 2021, une très grosse concession, alors propriété du groupe BMW. “BMW Evere représente une centaine de salariés, c’était mon premier contact avec les syndicats”, se souvient Laurent Louyet.

Ensuite, fin 2021, Laurent Louyet a lancé le rachat d’une bonne partie du groupe Ginion, dirigé par Stéphane Sertang, distributeur BMW et MINI, importateur de Rolls-Royce, de McLaren, surtout actif en provinces brabançonnes, qui vendait pas moins de 5.000 véhicules par an.

Stéphane Sertang est, comme Laurent Louyet, un passionné de voitures. Il s’est aussi développé par acquisitions et avait constitué un petit groupe. “C’est un précurseur dans la multi-concession”, dit le CEO du groupe Louyet. “Laurent a 10 ans de moins que moi, nous expliquait Stéphane Sertang, en 2021, lors de la revente. Si j’avais son âge, j’aurais fait la même chose.” Il a préféré revendre car ses enfants n’étaient pas intéressés par la reprise de toutes les activités. Il a conservé deux concessions Ferrari et Ginion Classics (restauration de véhicules anciens). Hasard prémonitoire : Stéphane Sertang a été nominé au Manager de l’Année il y a exactement 10 ans.

Le groupe Louyet se constitue surtout en 2021, avec deux opérations importantes.

Après cette année pivot, Laurent Louyet continue ses acquisitions : les concessions BMW/MINI de Quoilin, à Namur. Il devient international en reprenant le groupe Kontz, dans le Grand-Duché, qui y possède deux concessions distribuant les marques Aston Martin, Jaguar, Land Rover et Lotus, ainsi qu’une concession Jaguar et Land Rover en Belgique (Habay-la-Neuve). Dernière opération en date : une concession Quevrain à Namur (Jaguar Land Rover et Mazda). La transaction est actuellement soumise à l’examen de l’Autorité belge de la concurrence.

Fondé en 1959, le garage Louyet, situé rue Dagnelies, est une institution à Charleroi, qui a ensuite déménagé rue de Mons.

BMW préfère les familles

Ces opérations élargissent le portefeuille des marques. “Nous nous positionnons dans les autos premium, avec le pilier central BMW/MINI, et dans le luxe britannique”, résume Laurent Louyet. Cela permet à la fois de diversifier les marques, et aussi d’accéder au marché du luxe, moins sujet aux crises économiques.

Le groupe BMW ne voit pas le développement de ce nouveau groupe d’un mauvais œil, au contraire. Lors d’une réunion de presse de fin d’année, c’est une concession Louyet, à Waterloo, qui était présentée en exemple comme base d’un nouveau concept aux journalistes, Retail.Next. “Nous avons plutôt une préférence pour des entreprises familiales de distribution automobile”, dit Alexander Wehr, CEO de BMW Group Belux.

Diversifier les revenus

Face à l’électrification, qui va réduire les revenus de la maintenance, Laurent Louyet soigne l’activité de carrosserie, un métier stable. À travers ses acquisitions, il en possède neuf, dont deux au Grand-Duché de Luxembourg. Il développe beaucoup l’occasion, pas toujours bien travaillée par les concessionnaires. Cette rentabilité peut aider à compenser le recul des marges sur le neuf. Il se développe aussi dans la location de voitures. Il a acquis Cocoon Car, à Nivelles, une société qui bichonne les voitures (lustrage, polissage, revêtement céramique de carrosserie, nettoyage haut de gamme, reconditionnement de véhicules d’occasion). Et qui se veut également multimarque.

Et surtout, il a renoué avec les premières amours de la maison : le vélo. Il a investi dans Black and Bike, magasin créé par Sébastien Bertrand à Loverval (qui reste actionnaire), pour l’aider à se développer et poser le pied dans ce marché renaissant. Il est dopé par la croissance du vélo dans les loisirs et le trajet bureau-travail, favorisé par les plans cafétéria, grâce auxquels les salariés peuvent obtenir un vélo électrique à un tarif pour la moitié du prix. D’Ieteren a développé cette approche en développant Lucien, une chaîne de magasins de vélos.

Le retour du vélo
Le vélo, qui était le point de départ de la maison Louyet, est de retour. Laurent Louyet a investi dans les magasins Black and Bike, basés à Loverval. Il les a ainsi aidés à ouvrir d’autres points de vente à Mons et à Wavre. C’est un nouvel axe de développement du groupe Louyet. Comme D’Ieteren, le plus grand acteur belge de distribution automobile, qui a développé une chaîne de magasins de vélos avec l’enseigne Lucien, Louyet mise sur le vélo. Il ne prévoit pas d’ouvrir des coins vélos dans ses concessions à court terme, “mais nous ferons une offre complète de mobilité”, précise Laurent Louyet.

Laurent Louyet espère que la passion suivra les générations. Son fils Louis, 13 ans, suit ses études secondaires à Gand, en internat, “pour devenir parfait bilingue”. C’est que l’avenir du groupe est encore en construction. “Nous sommes plutôt grands pour le marché belge, mais petits sur le marché international”, conclut-il.

Les 40 ans du Manager de l’Année
Laurent Louyet est le 40e Manager de l’Année élu par Trends-Tendances. Le prix a été lancé en 1985 par le magazine, en parallèle avec le prix du Manager van Het Jaar de son pendant néerlandophone Trends. Côté francophone, le premier lauréat était Albert Frère (photo), sidérurgiste devenu financier ; côté néerlandophone, c’était John Cordier, fondateur de Telindus, alors fabricant de modems.
Les lauréats proviennent de tous les secteurs, depuis l’industrie, avec notamment Philippe Bodson (1987), alors dirigeant de Glaverbel, jusqu’à l’alimentation avec Pierre-Olivier Beckers (1999), qui dirigeait Delhaize, et Marc du Bois (2013), patron de Spadel, en passant par la finance, notamment avec Marc Raisière (2016), CEO de Belfius. Quelques champions de la technologie ont aussi été distingués comme Pierre Mottet et Yves Jongen (1997), fondateurs d’IBA, Pierre de Muelenaere (2001), fondateur d’IRIS, Pierre L’Hoest et Laurent Minguet en 2004, pour EVS, ou Fabien Pinckaers (2020), pour Odoo.

Sur la liste des 40 lauréats n’apparaît aucune femme sur les 20 premières années, trois sur les 20 dernières: Diane Govaerts (2022) pour Ziegler, Dominique Leroy (2015) pour Proximus et Marie-Anne Bellefroid-Ronveaux (2003), groupe Ronveaux (décédée le 3 novembre dernier). Cela progresse lentement, principalement en raison du manque de femmes managers d’entreprise d’une certaine taille (plus de 100 salariés). Trends-Tendances a pris plusieurs dispositions pour améliorer la place des femmes dans l’événement, notamment en féminisant largement le jury, présidé par Pascale Delcomminette, administratrice générale de l’Awex.

https://managerdelannee.be

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