Chris Peeters : “bpost a le droit de s’acheter un avenir”

Chris Peeters, un Manager de l’Année au secours de bpost
Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

La perte du contrat subsidié pour la distribution des journaux a encore contraint bpost à revoir à la baisse ses prévisions de bénéfices en juillet. Mais l’acquisition la semaine dernière de l’entreprise française Staci pourrait lui redonner un nouveau souffle. “C’est la pièce manquante du puzzle qui redonnera une perspective à bpost. Sans Staci, nous étions pris au piège d’un marché en déclin et d’une histoire limitée à l’amélioration de l’efficacité”, estime le CEO Chris Peeters.

Si une entreprise avait bien besoin qu’un Manager de l’Année vienne à son secours, c’est bien bpost. Ces dernières années, la société postale s’était enfermée dans une spirale négative couplant résultats en baisse, scandales et instabilité à sa tête. Que Chris Peeters accepte la mission de relancer bpost en septembre de l’année dernière en a forcément surpris plus d’un. En effet, qui échangerait les perspectives favorables d’une entreprise de croissance internationale comme l’opérateur de réseaux à haute tension Elia Group contre le marasme d’une entreprise publique en perte de vitesse ?

“J’aime réaliser des transformations, explique le Manager néerlandophone de l’Année 2021. J’aime bien relancer des machines qui ne fonctionnent pas très bien. Elia non plus n’était pas dans une dynamique positive lorsque j’y suis arrivé. D’une entreprise axée sur le petit marché belge, nous avons réussi à en faire une entreprise de renommée internationale en seulement huit ans. Arriver à de telles transformations me fournit beaucoup d’énergie, surtout lorsqu’elles sont accompagnées d’une dimension sociale. Chez Elia, la transformation se trouvait sur de bons rails, sans que je sois l’entraîneur de football qui dit que 90 % du travail est terminé (référence à l’entraîneur Georges Leekens qui avait dit qu’il avait accompli 90% du travail chez les Diables Rouges avant de passer le témoin à Marc Wilmots en 2012, ndlr). Chez bpost, en revanche, le défi de la transformation de l’entreprise reste à relever. Il s’agit d’une entreprise historique et emblématique qui a perdu un peu de son élan. Comment en bâtir une nouvelle version? Et que puis-je apporter à la société ? A mon âge, on commence à penser à ce que l’on peut laisser derrière soi, à part le fait d’espérer élever des enfants heureux.”

TRENDS-TENDANCES. La poste vous passionne depuis votre jeunesse.

CHRIS PEETERS. Lorsque l’on m’a proposé le poste de CEO de bpost, ma fille m’a dit que je n’avais pas d’autre choix que de saisir cette opportunité. “Tu nous as déjà beaucoup parlé de la façon dont les choses peuvent être améliorées. Fais-le maintenant”, m’a-t-elle dit. Et c’est ce que j’ai fait.

Quand estimerez-vous que votre mission chez bpost sera un succès ?

Lorsque nous aurons réussi à passer d’une entreprise dépendante de produits en déclin à une entreprise avec des perspectives d’avenir et de croissance. Lorsque nous pourrons redonner de la fierté à nos collaborateurs et dans la société. Et s’il y a une orientation client capable de faire face à la modernité. Il s’agit d’une étape importante. Nous avons parfois encore les réflexes d’une entreprise en situation de monopole. La volonté de servir le client est très forte, mais nos structures sont encore un peu dépassées.

“Nous avons encore parfois les réflexes d’une entreprise en situation de monopole.”

Quand espérez-vous redresser la barre des résultats ?

Il faut être réaliste. Les résultats sont toujours en baisse. Il faut d’abord prendre conscience du problème. Je suis optimiste quant à la réussite du projet, mais je suis suffisamment réaliste pour comprendre que cette ambition peut prendre trois ou quatre ans.

Donner une nouvelle perspective à bpost peut s’avérer beaucoup plus complexe qu’en compensant la baisse du trafic de lettres par la livraison de davantage de colis.

bpost avait déjà fait les premiers pas sur le marché des colis, mais c’était insuffisant. Le déclin du courrier par lettres et de la presse est beaucoup plus important que l’augmentation du marché des colis. Par conséquent, les résultats sont toujours en baisse. Nous avons donc besoin d’une croissance plus importante. Cela doit venir des solutions logistiques pour les entreprises. Toutefois, il faut disposer du savoir-faire en interne. Sans celui-ci, vous n’êtes qu’une entreprise dotée d’une petite capacité de transport. C’est insuffisant pour résoudre correctement les problèmes logistiques des entreprises. En reprenant Staci, nous avons acquis ce savoir-faire. Par exemple, ils fournissent tout ce qui n’est pas vendu dans un magasin, comme le matériel promotionnel ou la machine à café dans les restaurants. Il peut aussi s’agir de la distribution de pièces détachées pour un fabricant d’ascenseurs, par exemple, qui doit intervenir rapidement dans de nombreux endroits. Staci propose une gamme de solutions logistiques afin que les entreprises ne perdent pas de temps et puissent se concentrer sur le cœur de leur métier. Cette activité offre également beaucoup de synergies avec notre réseau du “dernier kilomètre” (ensemble des agents, opérations et équipements associés et mis en œuvre dans les derniers segments de la chaîne de distribution finale des biens ou services, ndlr) vers les consommateurs.

En 2017, le bénéfice d’exploitation ajusté de bpost culminait à 501 millions d’euros pour une marge bénéficiaire de 16,8 %. Pour cette année, il faut encore s’attendre à un bénéfice estimé entre 165 et 185 millions d’euros avec une marge de 5,8 %. Le chiffre d’affaires reste toutefois en hausse, grâce aux acquisitions et à la croissance du marché des colis. Dans quelle direction voulez-vous aller ? Quelle devrait être la marge minimale pour que l’entreprise reste saine ?

bpost se trouve dans la position luxueuse d’un monopole national offrant un service universel. Depuis, la concurrence est devenue très rude sur le marché des colis, avec une rentabilité beaucoup plus faible et cela n’est pas prêt de changer. Il faut donc chercher des niches où l’offre est plus pertinente, comme les services aux entreprises. En tant que groupe, nous pouvons atteindre une marge bénéficiaire d’exploitation de plus de 6 ou 7 %. Avec quelques revers, elle pourrait être plus proche de 6 %. Avec quelques réussites, nous pouvons approcher les 9 %.

Cela reste un défi de taille, car l’activité historique, en perte de vitesse, reste la plus rentable.

Oui, et cela complique ma tâche. Il est possible de renforcer l’efficacité de nos activités historiques, mais les opportunités se réduisent et cette stratégie n’est pas suffisante pour assurer la rentabilité. Le facteur doit toujours faire sa tournée, même si son sac n’est qu’à moitié plein. Aujourd’hui, un facteur remplit en moyenne 800 boîtes aux lettres par jour. Il ne peut pas en faire 3.000. Nous passons de plus de 300 lettres par habitant et par an à moins de 90 aujourd’hui. Au Danemark, ils sont déjà en dessous de 30. C’est une évolution qu’on ne peut freiner qu’en travaillant encore plus efficacement.

bpost a également perdu le contrat lucratif des journaux. Vous avez pu récupérer une grande partie de l’activité, mais forcément avec des marges beaucoup plus faibles.

Dans le domaine de la distribution des journaux, nous avons dû faire face à un choc important au cours des six derniers mois. Nous avions une concession avec une marge bénéficiaire correcte et soudain, tout le monde est sur le pont pour éviter un plan social. Nous n’opérons désormais plus dans un environnement fortement soutenu par le gouvernement.

L’entreprise est-elle suffisamment flexible pour mener à bien cette transformation complexe ?

Ce sera l’un des défis à relever. Nous devons organiser cette flexibilité pour qu’elle soit gérable pour l’organisation. Il faudra beaucoup discuter pour que nos collaborateurs adhèrent à ce discours. Comparez cette situation aux personnes qui veulent grimper le Mont Ventoux mais qui n’ont jamais enfourché un vélo. Evidemment qu’ils vont difficilement croire qu’ils pourront y arriver. Mais cela ne veut pas dire pour autant que c’est impossible.

Votre principal actionnaire, le gouvernement, pose des exigences en matière d’emploi. Cela ne facilite pas la transformation.

C’est vrai, mais l’emploi n’est possible que si vous proposez des activités durables qui créent de la valeur. Nous ne faisons pas de l’ergothérapie. Nous investissons, y compris par l’acquisition de Staci, dans ce type d’activités.

bpost est-elle assez grande pour fournir des services logistiques aux entreprises ?

bpost ne deviendra pas FedEx, DHL ou UPS. Ces entreprises disposent d’une flotte d’avions plus importante que celle de Brussels Airlines. Mais bpost est déjà un acteur régional assez puissant. Sur le marché belge des colis, nous sommes le leader, avec un meilleur modèle que nos concurrents. Nous travaillons avec des collaborateurs permanents qui connaissent leur métier et leur région. Cela se traduit par une grande satisfaction de nos clients.

“Dans l’avenir, je vois bpost comme un acteur logistique majeur dans le nord-ouest de l’Europe.”

Les économies d’échelle n’étaient donc pas un must ?

Au niveau belge, il est très difficile de survivre, car on est alors pris au piège d’un marché qui se rétrécit. Pour être pertinent, il faut contrôler la chaîne logistique à un niveau plus large. Avec l’acquisition de Staci, nous effectuons cette étape. Les acteurs qui survivent sont ceux qui ont une activité internationale. Les clients internationaux ne veulent pas d’un fournisseur pays par pays et annulent leur coopération si vous n’êtes pas en mesure de les suivre. Avec l’acquisition de Staci, en plus de nos capacités existantes avec Radial et Active Ants, nous donnons un signal important pour de nombreuses entreprises clientes : bpost peut désormais résoudre leurs problèmes logistiques. Je vois l’avenir de notre entreprise comme acteur majeur de la logistique dans le nord-ouest de l’Europe.

Avez-vous envie de dépoussiérer le dossier de la fusion avec PostNL ?

Nous venons tout juste de réaliser une acquisition majeure avec Staci. Et comme vous le savez, nos résultats en matière d’intégration des acquisitions ne sont pas bons. Nous abordons ce dossier différemment. Nous avons préparé cette acquisition à la perfection. Il reste maintenant à l’exécuter pour créer de la valeur. Avant de lancer de nouveaux projets importants, je veux démontrer que bpost peut intégrer une acquisition comme il se doit.

Vous avez payé une valeur d’entreprise de 1,3 milliard d’euros pour Staci, soit 12 fois le montant du cash-flow de l’entreprise. N’est-ce pas un prix élevé ?

Avons-nous payé trop cher pour Staci ? Non. Le prix est conforme au marché pour des actifs de haute qualité. Il s’agit de la pierre angulaire qui va nous permettre de tirer parti de notre expertise. C’est le point de départ d’une histoire de croissance. La valeur stratégique de Staci est donc très élevée. bpost a le droit de s’acheter un avenir.

Avant de rejoindre bpost, saviez-vous que Staci était le chaînon manquant de l’entreprise ?

Je savais que je n’avais pas beaucoup de temps pour redonner à bpost une perspective de croissance, et je savais que la réduction des coûts n’aboutirait pas. Je savais donc qu’il y avait un chaînon manquant. Mais j’ai trouvé le dossier d’acquisition de Staci dans l’armoire.

Y a-t-il d’autres dossiers intéressants qui restent dans l’armoire, plutôt que les cadavres qui en sont sortis ces dernières années ?

Toujours. Et dès que vous êtes actif sur le marché, vous recevez automatiquement de nouvelles propositions de reprise. Mais je ne dis rien tant que l’affaire n’est pas conclue, sinon elle n’aboutit pas.

La filiale américaine Radial est devenue un sujet de préoccupation de votre groupe, plutôt qu’un atout pour l’avenir. Comment comptez-vous redresser la barre ?

Radial travaille historiquement pour de grandes marques qui n’externalisent qu’une partie de leur logistique. Dès que leurs ventes ralentissent, elles se rabattent sur leurs capacités internes. Lorsque les ventes sont au plus haut, Radial réalise de bonnes affaires, mais lorsque les ventes chutent, Radial en est la première victime. Nous sommes enfermés dans ce cycle. Il faudra du temps pour élargir notre portefeuille de clients à des plus petites entreprises qui souhaitent externaliser une plus grande partie de leur logistique. Tout le monde se prépare maintenant pour le pic de fin d’année, donc les clients ne changeront pas de fournisseur cette année. Les résultats de notre réajustement stratégique aux Etats-Unis ne seront pas visibles avant la fin de l’année 2025. Au plus tôt.

Quels sont vos projets en Belgique en ce qui concerne les activités historiques de bpost, à savoir les facteurs, les bureaux de poste et les points colis ?

Nous voulons aussi donner un avenir à ces activités. Beaucoup de nos produits sont en perte de vitesse car ils sont victimes de la numérisation. Les anciens contrats subventionnés, comme la concession des journaux, ont disparu. Beaucoup de gens sont frustrés parce que nos produits ont raté le coche du numérique et ne sont pas toujours pratiques et orientés vers le client. Il n’est pas illogique qu’une entreprise qui fut longtemps en position de monopole soit confronté à cette situation. Mais nous voulons faire de bpost une entreprise moderne offrant de la qualité. En même temps, nous voulons conserver notre identité et notre rôle social. Nous sommes le visage humain dans la rue. Tout le monde reconnaît cette importance sociale. Le facteur est souvent la seule personne que certaines personnes voient sur leur journée. Le bureau de poste est le dernier bureau dans de nombreuses communes. A qui peut-on encore s’adresser pour un problème administratif ? A qui peut-on demander conseil pour sa facture d’hôpital, sa déclaration d’impôts ou son calcul de pension ? Ces services sont demandés dans une société qui devient de plus en plus complexe et où les gens ont du mal à trouver de l’aide. Aujourd’hui, ces services sont très fragmentés.

Avez-vous un exemple de pays qui vous vient en tête ?

Nous étudions l’exemple italien. Ce modèle nécessite des subventions, mais si vous regroupez ces services sous un même toit, vous réalisez des gains d’efficacité, vous économisez des coûts pour la société et vous améliorez le service. Il faut ensuite investir dans les systèmes informatiques pour rendre ce service possible. En Italie, j’ai visité des bureaux de poste dont la seule mission est d’aider les citoyens. bpost dispose d’un réseau d’agences. Nous y fournissons déjà des services bancaires et nous aidons à payer les factures d’énergie. Nous pouvons donc nous réinventer en partie. Il y a beaucoup de potentiel dans ce domaine. Nous resterons pertinents si nous combinons un réseau efficace avec notre rôle social.

PROFIL
• 1984-1989: master en ingénieur civil à la KU Louvain
• Commence sa carrière comme ingénieur civil indépendant et dirige sa propre aciérie , Altro Steel
1996-1998: directeur des ventes et de l’ingénierie, hauts fourneaux 
1998-2012: partner chez McKinsey & Company 
2012-2015: directeur de Schlumberger 
2015-2023: CEO de Elia Group 
• Manager néerlandophone de l’Année en 2021
2023: CEO de bpost Group

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