Benoît Cuisinier fait toujours recette

Benoît Cuisinier: "Je pense que la vie n’est pas faite de chemins, mais d’opportunités.” © FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Il a été le patron du Spirou Charleroi et le manager de Justine Henin. Il est aujourd’hui le directeur commercial de l’équipe cycliste Intermarché-Circus-Wanty. A 42 ans, Benoît Cuisinier est un amoureux de la vie dont la mission première sert à tisser des liens pour mieux accompagner le sport de haut niveau. Show devant!

Il est né à Charleroi, un jour de Mardi Gras. On ne pouvait rêver une empreinte plus festive pour ce bon vivant qui passe son temps à connecter les gens. Foncièrement jovial, Benoît Cuisinier porte aussi dans son nom cette dimension culinaire qui lui sied à merveille. Un bistrot de quartier, une table étoilée, un morceau de saucisson sur le Tour de France… Peu importe! Pourvu que la convivialité et l’hédonisme l’emportent.

A 42 ans tout rond, le directeur commercial de l’équipe cycliste Intermarché-Circus-Wanty est un rescapé de la vie (il se remet d’une grave maladie) et il la lui rend bien. Facilitateur de rencontres et amateur de sport, l’homme joint l’utile à l’agréable pour porter aujourd’hui cette écurie belge, outsider du World Tour (le plus haut niveau du cyclisme sur route), vers les sommets de la reconnaissance mondiale.

Forcer le destin

Avant de se fondre dans l’univers du vélo, Benoît Cuisinier a eu d’autres vies sportives où les grands noms du basket et du tennis ont rythmé son quotidien. Pourtant, rien ne prédestinait vraiment cet épicurien à embrasser ce genre de carrière. Fils de Pierre Cuisinier, ancien administrateur délégué de Caterpillar et Manager de l’Année 2005, le jeune Benoît avait plutôt la fibre scientifique – héritée de sa mère, licenciée en physique – et c’est ainsi qu’il se lance, à 18 ans, dans des études d’ingénieur civil à Louvain-la-Neuve.

“Il y a des métiers qui ne s’apprennent pas à l’université.”

A l’époque, sa dimension festive est déjà bien vivace et le bon élève de secondaires peine à trouver ses marques à l’université. Il redouble sa première année, redouble sa deuxième année, avant que le destin ne le place sur le chemin d’Eric Somme, alors président du club de basket Spirou Charleroi. Benoît Cuisinier a 21 ans à peine et force la rencontre avec ce personnage qui s’apprête à inaugurer le nouveau Palais des Sports du Pays de Charleroi, rapidement baptisé Spiroudome.

“J’assistais à un match de football du Sporting Charleroi, raconte Eric Somme, et je me souviens d’un jeune garçon qui vient me parler, très flatteur. On a bu quelques bières ensemble le soir-même, il s’est très bien vendu et, quelques heures plus tard, je lui proposais un poste au Spiroudome. Il avait eu le toupet et la force de me convaincre!”

Apprendre sur le tas

Séduit, Eric Somme détecte rapidement le potentiel commercial du “gamin”. Il lui confie quelques tâches, le pousse à développer le magazine du club, mais tout cela “en cachette” car les parents de Benoît Cuisinier le croient toujours à l’université. “Je n’en suis pas du tout fier car je leur ai menti pendant des mois, résume l’intéressé. Mais au final, le Spirou était une très bonne école. Il y a des métiers qui ne s’apprennent pas à l’université et, avec Eric Somme, j’ai vécu une forme de compagnonnage. J’ai appris sur le tas et je ne le regrette pas.”

Le lien entre les deux hommes deviendra très fort. Eric Somme, qui a perdu son fils unique à l’âge de 20 ans, considère Benoît Cuisinier comme son “fils spirituel”. De son côté, Benoît parle d’Eric comme “l’une de ses trois idoles”, statut respectable que l’actuel président d’honneur du Spirou Charleroi partage avec Bob Verbeeck, ex-manager de la championne de tennis Kim Clijsters, et Patrick Lefevere, directeur de l’équipe cycliste Soudal Quick-Step.

Faire son trou

Au Spiroudome, Benoît Cuisinier a le sourire et le contact faciles. Le jeune collaborateur y fait rapidement son trou et s’investit de plus en plus dans la recherche de sponsors. “Il n’a pas fait d’études de marketing, mais il a le sens des affaires, enchaîne Eric Somme. Il a ce côté très intuitif qui, chez lui, est un véritable don. Il parvient toujours à accrocher la sympathie et les rendez-vous. Il sait où créer ses relations pour arriver à l’objectif final: concrétiser et signer les contrats.” En quelques années à peine, Benoît Cuisinier endosse les responsabilités et devient directeur commercial, puis directeur général du Spirou Charleroi à seulement 24 ans. Nous sommes en 2005.

“Il a ce côté très intuitif qui, chez lui, est un véritable don. Il parvient toujours à accrocher la sympathie et les rendez-vous.”

Le club de basket wallon est en pleine ascension. Le jeune patron restera encore une dizaine d’années aux commandes. Mais l’homme est gourmand et ne se contente pas de ce seul défi. Parallèlement à cette première carrière dédiée au ballon orange, Benoît Cuisinier multiplie les casquettes professionnelles.

Dans les années 2000, il développe aussi une activité d’organisation de concerts qu’il poursuit d’ailleurs toujours aujourd’hui avec sa société Media Sport Conseils. A son palmarès, le Carolo peut se vanter d’avoir porté certains spectacles de grandes stars comme Charles Aznavour, Lara Fabian, Maurane ou encore Yannick Noah. Dans quelques jours, c’est l’hypnotiseur québécois Messmer qu’il accueillera au Dôme de Charleroi (ex-Spiroudome), avant les venues du chanteur Garou et de l’imitatrice Véronic DiCaire.

Décrocher l’impossible

Mais de toutes les stars qu’il a côtoyées, il y en a une que Benoît Cuisinier porte particulièrement dans son cœur: la championne de tennis Justine Henin. Il en a été le manager, lorsque la détentrice de sept titres du Grand Chelem est revenue sur le devant de la scène sportive après un long break.

En mai 2008, la joueuse belge avait en effet annoncé, à la surprise générale, qu’elle mettait fin à sa carrière alors qu’elle était encore n°1 mondiale. Mais un an et demi plus tard, Justine Henin remonte sur le court, prête à renouer avec les victoires. En coulisse, Benoît Cuisinier lui sert désormais de guide et la conseille dans ses choix extra-sportifs. Le challenge durera moins de deux ans – Justine Henin mettant un terme définitif à sa carrière en 2011 suite à une blessure au coude – mais pour le patron du Spirou Charleroi, l’expérience sera hautement inspirante et débouchera sur une amitié toujours très forte aujourd’hui.

“ C’est quelqu’un d’intelligent, qui est dans l’observation, la proximité et l’authenticité.”

“Nous sommes effectivement devenus amis, témoigne Justine Henin, car cela a bien fonctionné entre nous. Benoît est beaucoup à l’écoute. C’est quelqu’un d’intelligent, qui est dans l’observation, la proximité et l’authenticité. Il m’a appris à communiquer et il m’a aidé à arrondir les angles à certains niveaux. Il a un côté rassembleur qui invite au dialogue et il a aussi une vraie force relationnelle. A son contact, j’ai appris beaucoup à ce niveau-là.”

L’ancien manager n’aurait-il donc aucun défaut? “Il a les défauts de ses qualités, sourit Justine Henin. C’est un bon vivant, un garçon entier, passionné et qui a tendance au débordement. Il m’est d’ailleurs arrivé de le sermonner par rapport à ses excès!”

Oser l’opportunisme

Manager d’une championne de tennis, patron d’un grand club de basket, organisateur de spectacles… Benoît Cuisinier est un vrai couteau suisse du sport et du divertissement. En 2012, alors qu’il est toujours bien actif au Spirou Charleroi, il s’associe aussi à Freddy Tacheny, ex-directeur général de RTL Belgique, dans son projet de fonder Zelos, une société spécialisée dans la consultance et le management sportif. Les deux hommes sont alors propriétaires à parts égales, mais l’aventure tourne court après une bonne année de collaboration.

“Nous sommes restés en très bons termes car la rupture s’est faite en toute bonne amitié, rassure Freddy Tacheny. J’ai repris les parts de Benoît dans Zelos que je dirige toujours aujourd’hui. Cette rupture était somme toute logique car nous avons des approches très différentes bien que complémentaires par rapport aux métiers du sport. Je suis un entrepreneur qui est dans l’analytique et le rationnel, alors que Benoît est un commercial hors pair qui est dans l’émotionnel.”

“Combatif, créatif, ingénieux, efficace, charmant, loyal, résistant…”

“Combatif, créatif, ingénieux, efficace, charmant, loyal, résistant…”, Freddy Tacheny ne tarit pas d’éloges pour décrire les qualités de Benoît Cuisinier. Au rayon des gentils défauts, il confirme cependant la dimension “no limit” (sic) du personnage et épingle aussi les adjectifs “impatient, insistant et opportuniste” à son égard.

Mais sur ce dernier trait de caractère, la lecture est tout autre pour le principal concerné. “Etre opportuniste, c’est avoir la faculté de pouvoir saisir les opportunités, corrige Benoît Cuisinier. Je pense que la vie n’est pas faite de chemins, mais d’opportunités. En Belgique et surtout en Wallonie, on n’a pas cette culture de la réussite, comme aux Etats-Unis. On manque clairement d’ambition. Moi, j’adore cette phrase d’Eleanor Roosevelt qui dit que le futur appartient à ceux qui croient en la beauté de leurs rêves. Elle m’inspire toujours aujourd’hui. C’est ça, être opportuniste: croire en ses rêves et se donner les moyens d’y arriver.”

S’imposer de nouveaux défis

Ses nouveaux rêves, Benoît Cuisinier les place désormais dans le monde du vélo en visant le sommet du fameux World Tour. Son transfert du Spirou Charleroi vers le cyclisme se fait en 2016 lorsqu’il décide de quitter son club de basket pour tenter une nouvelle aventure. A l’époque, les entreprises de construction belges Wanty et Gobert possèdent leur propre équipe cycliste et cherchent à lui donner un nouveau coup de pédale.

“C’est un excellent commercial qui est très fort sur le plan relationnel.”

“Notre groupe était partenaire du Spirou Charleroi depuis une quinzaine d’années et je connaissais donc déjà très bien Benoît, explique son administrateur délégué Christophe Wanty. C’est un excellent commercial qui est très fort sur le plan relationnel et j’ai donc proposé son nom au management de l’équipe pour qu’il nous aide à trouver de nouveaux sponsors par rapport à nos objectifs de croissance. C’est d’ailleurs lui qui nous a amené plus tard Intermarché et Circus (marque du groupe de loisirs Ardent, Ndlr) pour notre développement.”

Rebaptisée Intermarché-Circus-Wanty depuis l’automne dernier, l’équipe cycliste belge a installé son “service course” – le camp de base de ses 30 coureurs professionnels – à Tournai et fonctionne comme une véritable entreprise d’une centaine de personnes. Son directeur commercial Benoît Cuisinier se décarcasse pour la faire grandir en réalisant aussi un rêve d’enfant.

“Aujourd’hui, je travaille dans le sport qui m’a toujours ému.”

“Aujourd’hui, je travaille dans le sport qui m’a toujours ému, confie le jeune quadra. Je suis le Tour de France depuis que je suis enfant et j’aime vraiment le vélo parce que c’est un des seuls sports qui va vers les gens, dont le spectacle est gratuit et qui incarne des valeurs simples comme la convivialité, le contact avec la nature et l’amour du terroir. Je m’y sens vraiment bien, en particulier lorsque l’on arpente, durant trois semaines, les routes du Tour. C’est un vrai bonheur.”

Savourer la vie

Désormais à l’abri d’une grave maladie qui l’a coupé du monde il y a un an et demi, Benoît Cuisinier jouit aujourd’hui de cette santé retrouvée qui, dit-il, l’a reconnecté avec “les fondamentaux” comme la vie de famille et les vraies relations humaines. Père de trois filles, l’homme a perdu 40 kilos dans l’aventure – “ça, c’est plutôt positif”, sourit-il – et savoure aujourd’hui cette renaissance dans ses nouveaux défis cyclistes et ses multiples rencontres.

Certes, Benoît Cuisinier reste un bon vivant et appelle parfois ses amis la nuit, après “le round de trop” (dixit Eric Somme) pour leur dire qu’il les aime, mais on ne lui en voudra pas pour ces écarts festifs. L’homme, après tout, est né un Mardi Gras.

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