L’usine modèle d’Audi en péril

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

La loi Renault pousse Audi Brussels à se montrer, pour le moment, très flou sur le futur du site de Forest, qui pourrait fermer.

Non, l’électrification de la voiture n’est pas une promenade de santé. Les salariés d’Audi à Forest s’en sont rendu compte le 9 juillet dernier, lorsque la direction de l’entreprise a annoncé le lancement d’une procédure Renault, prélude à des licenciements collectifs. Le site, qui construit un SUV électrique, la Q8 e-tron, envisage un arrêt anticipé de sa production, une restructuration, et n’exclut pas une fermeture du site, lequel occupe 3.000 personnes.

Ces mauvaises nouvelles sont au conditionnel comme le veut la procédure Renault pour les entreprises envisageant un licenciement collectif. Audi Brussels a annoncé aux syndicats trois vagues départs possibles : 1.510 postes d’ici fin octobre, 1.110 vers mai 2025, et le solde fin 2025.

“Les syndicats ne sont pas naïfs”

“Les dirigeants d’Audi Brussels ne peuvent pas parler d’une décision ferme et définitive, mais d’une intention de restructuration, c’est la règle de la procédure Renault”, dit Kris De Schutter, avocat chez Loyens & Loeff, spécialisé dans ce type de procédure. Ainsi, même quand le Premier ministre Alexander De Croo rencontre les dirigeants d’Audi Brussels, ces derniers doivent légalement rester dans le vague tant qu’une procédure d’information et de discussion n’est pas finalisée avec les syndicats, qui débute fin août.

La fermeture du site est donc une hypothèse plus que sérieuse. “Les syndicats ne sont pas naïfs, ils se doutent que la décision est prise, leur rôle est double : limiter l’impact de la décision, et essayer d’obtenir pour ceux qui sont concernés un paquet de sortie avantageux”, poursuit Etienne Pennetreau, avocat chez Loyens & Loeff.

L’USINE DE FOREST occupe près de 3.000 personnes.

L’employeur, de son côté, va chercher à limiter le pouvoir de négociation, ce qui explique sans doute le moment choisi pour l’annonce, début juillet, quand l’usine est fermée par une suspension de la production, les ouvriers étant au chômage économique, à la veille de la fermeture estivale, avec peu de voitures produites sur le parking. De quoi limiter le risque et l’impact d’une occupation d’usine.

Audi n’est néanmoins pas un habitué des fermetures d’usines. L’infrastructure de Forest n’est pas une usine vieillotte. En 2018, c’était même le premier site Audi à produire des autos électriques, le SUV e-Tron. Une usine modèle, couronnée deux fois “Factory of the Future” par la fédération Agoria.

Les déboires d’un “Tesla killer”

C’était sans compter sans les turbulences qui accompagnent l’électrification. Le grand SUV électrique e-Tron, remis à jour sous le nom de Q8 e-tron, qui devait être un “Tesla killer”, a une fin de carrière difficile. Audi Brussels en a produit 33% de moins au premier trimestre (8.366 unités au lieu de 13.103), d’où le projet actuel esquissé d’avancer l’arrêt de sa production. Cette auto à plus de 80.000 euros l’unité est rudement concurrencée par BMW, Mercedes, et le sera… par Audi, qui sort une Q6 e-tron, à peine plus petite, produite en Allemagne sur une nouvelle plateforme.

Dès le début de l’année, le futur d’Audi Brussels semblait problématique, lorsque l’on apprit que le successeur Q8 e-tron sera produit au Mexique. Les salariés attendaient l’annonce d’un nouveau modèle, ce fut la procédure Renault, l’hypothèse, au pire, d’une fermeture, au mieux, d’une production de pièces, qui n’occupera sans doute qu’une partie de l’effectif.

Les résultats d’Audi Brussels ne laissaient pas prévoir cette perspective, avec des résultats financiers positifs en 2023 (56 millions d’euros de bénéfice net sur 3,5 milliards d’euros de vente). Par ailleurs, Audi est plutôt prospère, vache à lait du groupe VW, pôle premium aux fortes marges. Le premier trimestre a néanmoins montré des craquements. La production et les livraisons ont reculé respectivement de 17,7% et de 4,7%, la marge opérationnelle s’est effondrée. L’électrification, qui devait connaître une forte croissance, traverse un passage à vide, avec une production en recul de 19,9%, “due à une concurrence intensifiée et la fin de subsides publics dans certaines régions”, indique le rapport trimestriel.

C’est un souci qui touche l’ensemble du groupe Volkswagen, dont Audi fait partie. Il a lourdement investi dans la transition électrique et développé une stratégie très ambitieuse, avec des résultats aujourd’hui en stagnation. D’où des ajustements douloureux.

“Une usine marginale dans le groupe”

Une fermeture de l’usine de Forest serait “un indicateur possible des actions de restructuration dans l’industrie automobile européenne dans les années à venir”, a écrit Philippe Houchois, analyste chez Jefferies, dans une note aux clients, citée par Bloomberg. “C’est une histoire triste, mais Audi Brussels est une usine marginale dans le groupe ; elle est petite, coincée entre un tissu urbain et une autoroute, avec un modèle d’ancienne génération e-tron, nous précise l’analyste. Actuellement le groupe VW a trop de capacité de production. Arrêter Audi Brussels simplifierait l’organisation.”

La nouvelle de la procédure Renault a été accueillie avec une certaine fatalité. Le passé n’est pas encourageant, avec les fermetures de Renault Vilvorde en 1998, General Motors Anvers en 2010, Ford Genk en 2012, sans parler de la faillite récente de Van Hool. Aucun constructeur n’est venu les remplacer. Les constructeurs chinois envisagent de venir fabriquer en Europe, mais la Belgique n’est pas en tête de liste. BYD envisage plutôt la Turquie et la Hongrie.

Le pays n’est visiblement plus idéal pour l’assemblage de voitures : la production, qui a culminé à 1,3 million de véhicules en 1994, a été divisée par quatre.

Ces fermetures sont-elles une fatalité ? “Ces décisions individuelles ont leur propre histoire et contexte”, relativise Jean-Marc Timmermans, senior business group leader manufacturing à Agoria, la fédération dont font partie les fabricants d’automobiles. Qui pointe “comme éléments communs une situation de surcapacité de production et un déplacement de la production vers des régions où il est moins coûteux de produire”. Ces crises ne reflètent pas la situation générale du secteur. “L’industrie automobile belge dans son ensemble ne va pas aussi mal, sa valeur ajoutée reste stable.”

Production de composants

Si Audi Brussels est menacé, “Volvo Car à Gand a une capacité de production importante au sein du groupe Volvo, renforcée par la production du nouveau modèle EX30. Nous avons d’autres constructeurs comme DAF Trucks, Volvo Trucks et VDL Bus Roeselare”, poursuit Jean-Marc Timmermans.

Volvo Car a produit 230.527 véhicules en 2023 (+19,4%). “Mais notre industrie automobile belge, qui compte environ 450 entreprises, et occupe 55.000 emplois directs et indirects, développe et produit toutes sortes de composants comme des systèmes de suspension actifs, des capteurs, etc.”, relève l’expert d’Agoria. Ils sont moins connus que les usines d’assemblage. “Par exemple, chaque nouvelle auto dans le monde compte en moyenne 13 capteurs belges”, fournis notamment par Melexis, une entreprise basée à Ypres.

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