Louis Delhaize a-t-il encore des projets pour la Belgique?
C’était une semaine agitée pour le groupe Louis Delhaize. Celui-ci a décidé de se séparer des chaînes de supermarchés Match et Smatch en Belgique. Pour ses hypermarchés Cora, un repreneur semble difficile à trouver. Seuls Delitraiteur et les supérettes Louis Delhaize sortent du lot.
En grandes difficultés financières depuis des années, le groupe Louis Delhaize a décidé d’arrêter les frais en cédant 57 de ses magasins Match et Smatch au groupe Colruyt. “Ce n’était pas un secret, on savait parfaitement que le Groupe Louis Delhaize cherchait une issue pour Match et Smatch en Belgique”, assure Christophe Sancy, rédacteur en chef de la revue spécialisée Gondola.
Ces enseignes ont vu défiler de nombreux CEO qui ont tenté tant bien que mal de relancer l’entreprise. En 2019, Match S.A. (Match) et Profi S.A. (Smatch) avaient dû recourir à un premier plan social qui avait entraîné la fermeture de 15 magasins. Des plans de relance avaient également vu le jour mais n’avaient pas permis de retrouver un équilibre financier et il semblait peu probable que la famille Bourriez (propriétaire du groupe Louis Delhaize) eût souhaité investir à nouveau dans ces enseignes qui ne présentaient que peu de perspectives.
Regarder le rportage de Canal Z : Reprise de Match et Smatch par Colruyt : le groupe Louis Dellhaize s’enfonce
Pourquoi exactement la sauce n’a-t-elle pas pris? La faute à l’inflation? “Ça n’a certainement pas aidé”, concède Christophe Sancy qui identifie le positionnement prix de ces enseignes comme le plus gros problème. “Ils étaient les plus mal positionnés du marché, relève-t-il. On se rappelle d’un CEO qui avait essayé de baisser les prix et s’est retrouvé directement dans le rouge.” En moyenne, selon Testachats, Match et Smatch étaient 20% plus chers que Colruyt. “Lorsqu’on est dans un momentum où le pouvoir d’achat est important, ça ne pardonne pas”, ajoute le rédacteur en chef de Gondola. Enfin, les prix de l’énergie et l’indexation des salaires ont certainement été le coup qui a achevé tout nouvel espoir de relance.
Colruyt comme leader
Ce fut une opportunité en or pour le groupe Colruyt qui a dès lors décidé de reprendre 57 des 80 succursales (28 Match et 29 Smatch) afin “d’accélérer les plans de croissance”, selon les dires de Stefan Goethaert, CEO de Colruyt. Ces enseignes ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires de quelque 300 millions d’euros en 2022. Outre le fonds de commerce des magasins concernés, Colruyt reprend également l’immobilier de leurs sites… mais les détails financiers n’ont pas été communiqués.
Grâce à la reprise de 57 Match et Smatch, la part de marché de Colruyt passera de 26,1% à 27,1%.
Cette acquisition du groupe Colruyt a été saluée comme “un coup de maître” par les observateurs du secteur. Le groupe des prix les plus bas renforce ainsi sa position de leader sur le marché belge puisque grâce à cette reprise, la part de marché de Colruyt passera de 26,1% à 27,1%, d’après Gondola Academy.
Cette reprise est-elle une véritable surprise? “Oui et non, tempère Christophe Sancy. Colruyt nous a habitués à être très prudents mais le groupe avait déjà racheté les murs de deux magasins Match, ce qui n’est pas courant dans le milieu et pouvait être compris comme un signal.”
Pas de raison pour autant de voir fleurir des Colruyt à chaque coin de rue. C’est même très peu probable. Le groupe a affirmé qu’il évaluerait les magasins repris selon les besoins des clients pour déterminer à quelle “formule du groupe Colruyt ils correspondent le mieux”. Parmi ces dernières, on retrouve Colruyt, Bio Planet, OKay, Spar et Cru. Avec cette acquisition, Colruyt peut accélérer son développement et renforcer sa présence en Wallonie. La Flandre étant déjà bien couverte et en proie à davantage de concurrence, notamment avec l’enseigne Albert Heijn qui joue également la carte des prix bas. Un autre avantage de cette reprise est qu’elle permet à Colruyt de se développer davantage dans les centres urbains. “OKay est un format qui fonctionne très bien pour Colruyt, il avait déjà fait savoir qu’il y avait un grand potentiel de développement, souligne Christophe Sancy. Sept des magasins repris étant franchisés, ils seront probablement transformés en Spar.”
Et Cora?
Une autre enseigne du groupe Louis Delhaize qui soulève des questions est la chaîne d’hypermarchés Cora, au nombre de sept en Belgique. Dans les autres pays européens, la famille Bourriez s’est déjà débarrassée de cette enseigne. Carrefour a ainsi repris les Cora roumains et les enseignes Cora et Match en France alors que Leclerc a racheté celles du Luxembourg.
Pas de raison a priori de garder les versions belges, d’autant que les ventes en France, au Luxembourg et en Roumanie ont réduit la force de négociation sur les prix de Louis Delhaize auprès de ses fournisseurs. “Le problème, c’est surtout de trouver un repreneur, souffle Christophe Sancy. Les Cora ne déméritent pas mais la rentabilité du format reste hasardeuse.” Le secteur évolue davantage vers des petits commerces de proximité au détriment des hypermarchés. Savoir quel groupe pourrait s’aventurer à les reprendre est un pronostic délicat. “L’acheteur des enseignes a tout intérêt à acheter aussi le parc de magasins, s’il veut maîtriser tous les flux financiers qui conditionnent la rentabilité”, pointe le rédacteur en chef de Gondola.
A l’image de ce qui s’est fait dans les pays voisins, faut-il s’attendre à une reprise par Carrefour ou Leclerc? Carrefour a d’autres priorités en Belgique et il n’y a aucune raison que le groupe s’encombre de nouveaux magasins qui sont déficitaires. Dans une interview accordée à Trends-Tendances, le CEO de Carrefour Belgique, Geoffroy Gersdorff, avait assuré qu’il n’était pas intéressé par une reprise des enseignes Louis Delhaize.
“Delfood et Delitraiteur sont des activités beaucoup plus saines ; elles jouent sur un autre créneau que la distribution classique.”Christophe Sancy (Gondola)
“Carrefour n’a même pas exercé son droit de préemption sur le réseau Mestdagh”, rappelle le rédacteur en chef de Gondola. Leclerc pourrait se présenter comme acquéreur des Cora afin d’entrer sur le marché belge mais une reprise de sept hypermarchés n’offre pas suffisamment de perspectives de parts de marché. Leclerc est également un groupe d’exploitants composé d’indépendants ; il faut donc également trouver les entrepreneurs qui s’y risqueraient.
Investir pour s’en défaire?
Toujours est-il que Louis Delhaize ne semble pas encore avoir trouvé de repreneur puisque la direction a assuré qu’elle était prête à renflouer les finances de l’enseigne si le personnel consentait à revenir sur certains acquis sociaux comme les pauses rémunérées, les primes ou les jours de congé. Une annonce mal vue par les syndicats qui soupçonnent la direction de chercher à réduire la masse salariale en favorisant les départs volontaires. “On dirait surtout qu’ils veulent rendre les magasins plus beaux qu’ils ne le sont pour mieux s’en défaire ensuite”, explique Elisabeth Lovecchio, permanente CNE.
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Restent les deux autres activités belges de Louis Delhaize: le grossiste alimentaire Delfood, qui approvisionne des supérettes indépendantes et des magasins de stations-service Louis Delhaize, et Delitraiteur, une chaîne de 41 magasins traiteur. “Ces deux activités sont beaucoup plus saines, ajoute Christophe Sancy. Elles jouent sur un autre créneau que la distribution classique.“ La famille doit donc être moins pressée de s’en séparer.”
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