Industrie alimentaire belge: “La course aux prix les plus bas ne fait aucun gagnant”

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Camille Delannois

L’industrie alimentaire belge, c’est le moteur industriel du pays. Malgré le contexte économique difficile, le secteur continue de croître en termes de chiffre d’affaires, d’investissements, mais aussi d’emplois. Il voit toutefois sa rentabilité et sa croissance diminuer. La faute aux coûts de production et à la force de négociation des centrales d’achat.

On reste le plus grand secteur industriel du pays en termes d’emplois et de chiffre d’affaires”, rassure Nathalie Guillaume, présidente de la Fevia, la Fédération des entreprises alimentaires belges. L’industrie alimentaire belge compte plus de 100.000 emplois et 82,9 milliards de revenus, mais elle peine à s’en sortir. “Il y a effectivement un bémol puisque la marge plancher atteint 2,32%, soit le niveau le plus bas depuis 10 ans”, prévient-elle. À cela s’ajoute un ralentissement de la croissance du chiffre d’affaires, mais également des emplois qui, jusqu’à présent, étaient très bons. Ces derniers n’ont progressé que de 0,4% et, pour la première fois, le nombre d’ouvriers dans le secteur a diminué. “C’est la première année que l’on crée si peu d’emplois”, relève la présidente. Avec 400 emplois créés en 2024 contre 1.500 lors des années avant la crise sanitaire, les chiffres parlent d’eux-mêmes.

Les causes de ces contre-performances sont multiples et s’expliquent, entre autres, par une baisse de la demande qui se reflète également dans la baisse des volumes de production, revenus au niveau de 2017. “Avec un recul de 7,2% en 2023, après avoir cédé 5,5% l’année précédente, les ménages belges dépensent moins ces deux dernières années et surtout, ils réorientent leurs achats vers des produits moins chers”, confirme Carole Dembour, économiste à la Fevia.

Si les Belges dépensent moins chez eux, c’est qu’ils ont trouvé leur bonheur chez nos voisins : les achats transfrontaliers – ce n’est pas nouveau – ont explosé ces dernières années. Ils ont même atteint leur plus haut niveau en 2023 avec un total de 769 millions d’euros, contre 381 millions en 2021. Les boissons à elles seules représentent un tiers de ces achats. “Cinq pour cent des boissons consommées en Belgique ont été achetées à l’étranger”, ajoute l’économiste. La différence de taxation par rapport à nos pays voisins est de 383% pour les eaux en bouteille, de 227% pour les mousseux ou 133% pour les sodas, selon les calculs de la Fevia qui se basent sur les prix pratiqués en France, aux Pays-Bas et en Allemagne.

Des achats transfrontaliers en légère baisse

En 2024, ces achats transfrontaliers se sont maintenus à un niveau élevé, bien qu’ils aient enregistré un léger recul, à 745 millions d’euros. “Les causes sont à chercher du côté de nos pays voisins et ne sont pas du tout du fait de nos autorités”, tempère Carole Dembour. Les Pays-Bas ont par exemple fortement augmenté la taxation sur les boissons non alcoolisées. La France a, elle aussi, interdit des promotions de type “1+1 gratuit” sur toute une série de produits tels que la lessive ou les produits d’hygiène. “Ce sont deux incitants en moins”, relève-t-elle.

En 2024, les achats transfrontaliers se sont maintenus à un niveau élevé bien qu’ils aient enregistré un léger recul, à 745 millions d’euros.

De son côté, la Fevia attend avec impatience la diminution des taxes telles que la réduction des accises sur les boissons light, le café et le thé évoquée par le gouvernement fédéral, ou encore la diminution de la cotisation emballage, qui pèse aujourd’hui 10 cents par litre. Une enveloppe de 100 millions d’euros est prévue, mais ces mesures ne seront pas d’application avant 2027. “Or, entretemps, il est fort probable qu’il y ait une taxe sur les déchets sauvages à partir de l’année prochaine, ce qui va nous déforcer un peu plus sur les achats transfrontaliers”, concède l’économiste.

Conséquence de cette demande sous pression : les entreprises alimentaires investissent moins qu’avant. Les investissements atteignent 2,1 milliards d’euros, mais s’ils augmentent légèrement (+ 1,4%), leur intensité diminue significativement.

“Les entreprises, lorsqu’elles parviennent à investir, le font surtout pour des motifs de réduction de coûts et d’efficience plus que pour étendre leurs activités ou innover”, prévient Nathalie Guillaume, qui explique cette diminution par l’augmentation des prix des matières premières. Ceux-ci ont connu un pic en 2022, et n’ont pu être répercutés que partiellement par les entreprises alimentaires.

Handicap salarial, fiscal et énergétique

Bien qu’elles privilégient l’efficience, la durabilité reste le premier moteur d’investissement pour les entreprises alimentaires. “Les deux sont indispensables, note Nathalie Guillaume. Nos entreprises continuent d’investir dans une chaîne de production durable parce que les consommateurs sont demandeurs.” Le secteur de l’alimentaire doit donc jongler entre le maintien des investissements et la garantie de la compétitivité. “Si les entreprises ne sont pas compétitives et qu’elles ne récupèrent pas un peu de marge, l’équation ne va pas être possible.” Et la présidente de rappeler qu’efficience et durabilité vont parfois de pair notamment en termes de réduction de l’énergie utilisée. “Nos entreprises cherchent à la fois à réduire la quantité d’énergie utilisée et à la verduriser, la combinaison des deux amène souvent une réduction des coûts.”

Si elles investissent dans l’électricité, les entreprises belges souffrent d’un désavantage compétitif par rapport aux pays voisins. Une entreprise wallonne qui paie une facture annuelle de 3,9 millions d’euros (pour une consommation de 25 GWh) dépense 100.000 euros de plus que son concurrent allemand, 800.000 de plus que son concurrent néerlandais et 1,3 million de plus que son concurrent français. “Nous avons un avantage compétitif pour le gaz, mais celui-ci est quasiment nul dans la mesure où l’on pousse les entreprises à décarboner et à opter pour l’électricité qui est bien plus chère, pointe la présidente de la Fevia. On aurait intérêt à passer d’un tax lift à un tax shift, à savoir une réduction de la taxation de l’électricité pour favoriser nos entreprises.”

L’industrie alimentaire belge souffre. “C’est la première année que l’on crée si peu d’emplois.” © BELGAIMAGE

Un autre élément qui s’ajoute aux difficultés du secteur : le coût de la main-d’œuvre, qui est 25% plus élevé pour les entreprises belges que dans les pays voisins. “C’est une réalité depuis longtemps”, soupire Carole Dembour. Deux demandes de la part du secteur : l’implémentation de la norme salariale 0% et la révision du mécanisme d’indexation qui a coûté très cher à l’industrie ces dernières années.

Des exportations lointaines

Pour la fédération alimentaire, ce handicap salarial, fiscal et énergétique coûte à la Belgique des parts sur le marché européen alors qu’il est le principal débouché de nos industries, avec 73% de nos exportations. “La France, l’Allemagne et les Pays-Bas représentent 52% de nos exportations”, note l’économiste. Si elles restent très largement majoritaires, ces exportations européennes diminuent au profit des exportations dites lointaines : 3 milliards d’euros vers la Grande- Bretagne, contre 2 milliards avant le Brexit, par exemple. “Le Royaume-Uni représente 9,5% de nos exportations”, précise la responsable.

Pour elle, l’explication réside dans le fait qu’en dehors de l’Union européenne, “la Belgitude et la qualité de nos produits” sont davantage reconnues. “Certains pays membres du marché européen se replient de plus en plus sur ce qu’on appelle le gastro-nationalisme, relève Carole Dembour. Nous sommes sans doute plus pénalisés sur un marché européen censé être unifié que par rapport à des pays de destinations dites plus lointaines.”

Les États-Unis, par exemple, restent l’un des principaux marchés d’exportation lointaine, mais la guerre tarifaire initiée par Trump oblige l’industrie à se concentrer davantage sur d’autres marchés d’exportation. “Les tarifs douaniers ne sont bons pour personne, ça génère beaucoup d’incertitude”, poursuit Carole Dembour. Les États-Unis représentent 2,5% des exportations totales, avec des achats d’une valeur d’un milliard d’euros pour des produits tels que les frites surgelées, les boissons ou encore le chocolat. “C’est un marché moins important que l’Union européenne, mais pour certaines entreprises, cela représente une grande partie de leur chiffre d’affaires.”

L’industrie alimentaire occupe un rôle central dans la chaîne alimentaire puisqu’elle est à la fois acheteuse et fournisseuse. En Belgique, 61% de la production agricole transitent par l’industrie alimentaire pour atteindre le consommateur. Celui-ci en profite soit via l’horeca, qui s’approvisionne pour 71% auprès des entreprises alimentaires, soit via le retail, à hauteur de 61%. Ce sont d’ailleurs les négociations avec ce secteur qui sont parfois relativement tendues.

“On entend souvent que les grandes marques mettent la pression sur les distributeurs, mais je dirais que c’est plutôt l’inverse”, analyse Nathalie Guillaume. Les industriels pointent le pouvoir de négociation “disproportionné” des retailers, soutenus par une centrale d’achat : 13 chaînes de supermarchés et sept centrales d’achat se retrouvent face à 7.500 entreprises alimentaires.

“La course aux prix les plus bas ne fait aucun gagnant, au contraire, elle accentue la pression tant sur l’industrie alimentaire que sur l’agriculture, sans pour autant améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs”, poursuit-elle. Et l’industrie alimentaire de se retrouver entre le marteau et l’enclume.

Le secteur alimentaire résiste

– Chiffre d’affaires: 82,9 milliards d’euros (+2,5 %)
– Investissements : 2,1 milliards d’euros (+1,4 %)
– Emplois : 102.447 (+0,4 %)
– Exportations : 39,6 milliards d’euros (+1,6 %)

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