“Les patrons qui osent le Congo ont de belles perspectives !”

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Il faudra encore du temps et beaucoup d’énergie pour que l’économie du Congo soit à la hauteur des ressources de ce pays. Mais pour les entrepreneurs qui s’y investissent – et surtout s’y accrochent – c’est une terre de promesses et de réussite. A la tête de Chanic, Vincent Bribosia le démontre.

Le magazine Trends-Tendances consacre un dossier aux entreprises belges qui misent sur la RDC (que les abonnés peuvent lire ici).

Sur une vieille carte du Congo, Vincent Bribosia descend le cours navigable du fleuve : plusieurs milliers de kilomètres jusqu’à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo. Il désigne l’endroit où l’explorateur britannique Stanley a lancé un premier bateau à l’eau, en 1881, et le lieu sur la rive de la Baie de Ngaliema, cédé par un chef local, où la colonie a fondé et exploité un premier chantier naval. “C’est là qu’a démarré l’industrialisation du Congo”, explique-t-il.

En 1927, une filiale de la Société Générale de Belgique prend l’activité en main. Il s’agit de Chanic (Chantier naval et industriel du Congo), dont les métiers historiques sont la construction de barges et de matériel d’entretien pour le fleuve, de fournisseur de matériel pour l’industrie minière. Vincent Bribosia en est aujourd’hui le propriétaire et président du conseil d’administration.

“Le groupe a connu les heurs et les malheurs du Congo”, de l’essor avec les contrats de distribution des marques industrielles américaines après la Seconde Guerre mondiale – qui en ont fait une grande société panafricaine avec des filiales aux quatre coins du continent – aux pillages des années 1990, en passant par la zaïrianisation de Mobutu dans les années 1970. Fin du siècle dernier, les grandes entreprises quittent le Congo. “C’était une époque d’économie de prédation, le pays s’autodétruisait, commente Vincent Bribosia. Dans ce climat de terreur, Chanic était la dernière industrie manufacturière du Congo.”

Mais le pays et le fleuve étaient divisés en trois zones d’influence, le fleuve était coupé par des barrages douaniers, on rançonnait ceux qui y passaient ainsi que leurs marchandises et il n’était plus dragué, ni balisé. “Plus de navigation, donc plus de clients et donc plus de chantier”, déclare Vincent Bribosia pour résumer la situation d’alors.

Coup de folie

En 1999, la Générale et Suez décident d’arrêter les frais. Etienne Davignon et Gérard Mestrallet envoient un de leurs jeunes cadres dynamiques à Kinshasa pour fermer la boutique. “Je suis arrivé en avril. C’était la première fois que je mettais les pieds au Congo. A l’aéroport, il y avait des kalachnikovs partout. Il suffisait de prononcer le mot dollar pour être abattu”, se souvient Vincent Bribosia. Pas vraiment les conditions rêvées pour redresser une entreprise à la dérive. Et pourtant…

“J’ai été touché par la grâce congolaise. Et j’ai décidé de lier mon destin à celui de Chanic”, dit-il. Cela semble un peu léger pour se lancer dans une aventure que tout le mode croit perdue alors qu’en Europe l’attend une carrière de capitaine d’industrie. Vincent Bribosia l’admet : “C’était un coup de folie. Mais j’avais 39 ans, je voulais faire quelque chose de ma vie. J’étais là dans l’optique de fermer mais en voyant le chantier, je me suis dit : je suis chez moi, je vais me battre comme un chien mais le chantier survivra.”

Avec un sourire, l’homme d’affaires donne encore une raison à ce choix déraisonnable : “C’est quand les hirondelles volent bas qu’on les attrape.” Il plaide la cause de Chanic auprès de ses patrons. “J’ai convaincu la Générale de sauver ce qui pouvait l’être plutôt que de liquider.” L’entreprise a été délistée et “la Société Générale a trouvé les moyens pour que l’histoire continue”. “Les premières années, j’ai travaillé comme une brute. C’était infernal, je n’étais jamais sûr d’y arriver, payer les salaires chaque fin de mois relevait de l’exploit. J’ai dû avoir un ressort interne fort pour tout supporter.”

A Kinshasa, la première urgence était de restructurer, mais il fallait trouver de l’argent pour le plan social. Il vend alors les activités au Rwanda, au Burundi, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, où la guerre venait d’éclater, puis réinvestit tout au Congo dans le chantier naval. “Je me disais qu’in fine le site industriel serait maintenu car il s’agit d’un site majeur pour le pays.”

Le chantier est remis progressivement en état. Aujourd’hui, on peut à nouveau y construire de grands gabarits. Les activités autour de celui-ci ont été développées. Chanic construit également des structures métalliques (ponts, toitures, équipements de sécurité pour les banques) et développe des activités de service et de distribution dans les ascenseurs, la climatisation, la manutention, le secteur minier, l’infrastructure. Le groupe est devenu le distributeur exclusif de grandes marques de l’industrie et de l’outillage tels que Trane, Caterpillar, Liebherr.

Les Chinois ? Une opportunité !

“Nous venons de conclure un accord avec Sany, un grand groupe chinois de production de machines pour la construction de routes”, annonce Vincent Bribosia. Le contrat n’est pas anecdotique. “Nous estimons que le Congo doit construire 50.000 km de routes. Nous avons donc pensé qu’il fallait un bon équipementier.”

“Ce contrat de distribution exclusive avec l’équipementier Sany est un tournant stratégique, note Vincent Bribosia. Chanic se détourne du marché occidental pour une marque chinoise.” En effet, contrairement à l’opinion dominante en Europe qui redoute la présence grandissante du géant chinois sur le sol africain, et particulièrement au Congo, le patron de Chanic pense “qu’il y a encore de la place”.

Il va plus loin, estimant que plus que jamais les Belges ont une carte à jouer au Congo : “Nous avons le mode d’emploi” du pays, ce qui est moins le cas des Chinois. Là où d’aucuns voient une concurrence avec un acteur surpuissant qui s’encombre de peu de scrupules humanitaires ou écologiques, lui préfère jouer la carte de “l’alliance entre notre savoir et la puissance industrielle chinoise. Pensez à l’infrastructure : ce que font les Chinois nous servira”. Avant d’ajouter : “Ils sont une opportunité pour nous, pas un problème”.

80 % d’économie informelle

Dix ans plus tard, Chanic est toujours bien là. Si l’Est du pays est loin d’être pacifié, la situation est globalement meilleure qu’au tournant du siècle. Mais rien n’est gagné. “Quatre-vingt pour cent de l’économie du Congo est informelle, avec tout ce que cela suppose d’instabilité. Dans ce contexte, Chanic demeure le dernier grand groupe industriel du pays – hors secteur minier – à évoluer dans l’économie formelle : nos 500 travailleurs sont payés régulièrement, nous leur payons les soins médicaux, nous payons nos impôts et les notes d’électricité… de toute la ville”, soupire Vincent Bribosia, expliquant que le fournisseur d’électricité congolais Snel tire la quasi-totalité de ses revenus des entreprises, qui payent un tarif 10 fois plus élevé que les particuliers.

Si ce n’est plus la lutte pour la survie comme lors des premières années après la reprise, faire vivre Chanic demeure un combat de tous les jours. “Les ressources humaines sont un grand problème. Il y a aujourd’hui deux générations de Congolais qui n’ont pas pu aller à l’école. C’est le drame du Congo. C’est un problème pour lequel il se pourrait qu’il n’y ait pas de solution. Cela signifie que je ne trouve pas de cadres, pas de main-d’oeuvre qualifiée. Il faut chercher ailleurs.”

En plus de la concurrence que lui fait le secteur informel, Chanic subit une concurrence “déloyale” dans certains appels d’offres de l’Union européenne ou même de la Coopération Technique Belge. “Quand Chanic répond à un appel d’offre, il est possible que notre prix soit supérieur de quelques pour cent par rapport à des barges fabriquées en Europe. Peut-être, mais ça ne fait travailler personne au Congo et pour ces barges-là, il n’y a pas de service après-vente ! Moi, je ne veux pas que le Congo vive d’aumônes. Je souhaiterais que les organismes de coopération introduisent des critères qui favorisent l’industrie locale et qui tiennent compte des risques que ces entreprises acceptent de gérer.

L’approvisionnement est un autre problème. “L’acier, les pièces détachées, les moteurs sont souvent bloqués à Matadi, la ville portuaire. Le chemin de fer ne fonctionne quasi plus. La route (vers la côte) a été refaite, mais ne répond pas aux besoins. La logistique est un casse-tête quotidien. C’est la débrouille”, explique Vincent Bribosia.

Le patron du groupe évoque également les coupures d’électricité, certains fonctionnaires du ministère des Finances qui voient dans son entreprise un distributeur de billets. De plus, “tout est très cher au Congo : l’énergie, les matières premières, le personnel, les soins médicaux…” A son avantage, le président du groupe peut compter sur le capital de sympathie que lui vaut la longue présence en terre congolaise de Chanic. “On n’a plus à se présenter, l’aura du groupe aide chaque jour”, dit celui que certains Kinois appellent “Vincent Chanic”.

Ce sont les marchés qui comptent

Vincent Bribosia reste discret au sujet des résultats de son entreprise. La situation diffère trop de l’Europe pour que des chiffres puissent donner une indication sur la santé de Chanic, semble-t-il dire. Difficile d’obtenir des financements au Congo. Les banques ne fonctionnent pas. Il faut donc les réaliser sur fonds propres, ne fût-ce que pour donner les garanties bancaires nécessaires pour obtenir certains marchés financés par l’Union européenne.

La visibilité macroéconomique est nulle. Impossible donc d’établir un business plan ou de calibrer les investissements. Il faut sans cesse lutter contre le racket fiscal et l’on n’est pas à l’abri de prédations. En cas de procédure judiciaire, les comptes de Chanic sont parfois bloqués des mois durant. Ce qui fait la différence pour lui, ce ne sont pas les résultats mais les marchés et les grosses commandes qu’il peut obtenir.

Malgré les difficultés, il voit plus que jamais le Congo comme un choix “stratégique”. “Beaucoup d’argent sera déversé sur ce pays dans les cinq années à venir, déclare-t-il. Le pays est à reconstruire et il y a des financements. Ceux qui osent la RDC ont donc de belles perspectives.” Vincent Bribosia mise sur Chanic au Congo. “J’ai orienté le groupe sur la reconstruction, sur le fleuve, les routes et la manutention portuaire”, explique-t-il. Il doit y retourner bientôt. Il y a du boulot !

Gérald de Hemptinne

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