Les “Fuckup Nights” débarquent en Wallonie: “Libérons la parole sur les échecs professionnels!”
La première “Fuckup Night” wallonne aura lieu le jeudi 8 février à la Grand Poste de Liège. Ces soirées décalées font la nique aux fabuleuses succes stories et laisse la place aux histoires de business foireux, ou de partenariats qui tournent en eau de boudin. Le tout raconté avec humour et sans détour. Entretien avec Emmanuelle Ghislain, CEO de la Fondation Pulse, qui a importé le concept en Belgique.
Expliquez-nous en quoi consiste les “Fuckup Nights” ?
En début de soirée, à l’heure de l’apéro, 3-4 personnes montent sur scène pendant une dizaine de minutes pour évoquer un échec de leur vie professionnelle et les leçons qu’ils en tirent. On pourrait comparer cela à “un TEDx de l’échec”.
L’objectif est de libérer la parole, de lever le tabou autour de moments de vie dont on ne parle quasiment jamais. On veut mettre en exergue tout l’apport positif qu’un échec permet d’acquérir, montrer que ce n’est qu’une étape sur la voie vers le succès. Libérer la parole incitera alors les gens à oser, à prendre plus de risques.
Nos soirées se veulent aussi fun. C’est très informel. La soirée est gratuite, mais l’inscription est obligatoire. Pulse est une fondation d’utilité publique qui ne vit que par des dons. On laisse la possibilité aux participants de nous faire un don pour qu’on puisse continuer à organiser nos activités.
L’objectif est de libérer la parole, de lever le tabou autour de moments de vie dont on ne parle quasiment jamais.
Emmanuelle Ghislain, CEO de la Fondation Pulse
D’où vient le concept?
Il est né au Mexique il y a un peu moins de dix ans. A l’origine, une soirée un peu arrosée pendant laquelle une bande de potes commencent à se raconter leurs échecs. Ils réitèrent ensuite l’expérience avec d’autres amis. De fil en aiguille, ils élargissent le cercle à des gens qu’ils ne connaissent pas. A un moment, l’un des participants décide d’importer le concept en Espagne. Ensuite, des Canadiens, des Américains,… sont séduits par l’idée. Aujourd’hui, le concept est implémenté dans 67 pays et 200 villes, c’est un vrai phénomène mondial.
Quels sont vos intervenants ?
On invite des entrepreneurs, car l’échec d’un business est facile à illustrer, mais on propose aussi à des hommes et des femmes politiques d’intervenir. La secrétaire d’État au Budget Alexia Bertrand, par exemple, a participé à notre première soirée à Bruxelles. On évoque également les échecs personnels et les échecs scolaires. Notre objectif est d’ailleurs d’aller jusque dans les écoles pour pouvoir changer la perspective sur l’échec scolaire. Pour cette première soirée liégeoise, on accueillera l’ex-homme politique reconverti dans le privé Melchior Wathelet, Bruno Venanzi (ndlr: cofondateur de la société Lampiris, ex-président du club de football du Standard de Liège) Pauline Michel, une jeune entrepreneuse sociale, pour le volet entrepreneurial féminin. Le quatrième intervenant doit encore être confirmé, mais il devrait être issu d’une scale-up liégeoise active dans la tech.
Est-ce qu’on observe un changement de mentalité en Belgique, par rapport à l’échec. Est-ce moins “la honte” d’en parler?
Oui, on voit vraiment depuis la pandémie que les mentalités ont changé. Avant, les gens ne voulaient pas parler de leurs échecs. Pour l’anecdote, en 2020, la Fondation Pulse que je dirige a lancé le programme “Revival”, dédié à des entrepreneurs qui ont fait faillite afin de les accompagner pour se réinsérer professionnellement dans la société. Au moment du lancement, on a demandé à des entrepreneurs, florissants aujourd’hui mais qui à l’époque ont vécu de gros revers, de monter sur scène pour témoigner. On n’a eu aucune réponse positive. Tous nous ont dit: “On a mis toute une vie pour effacer notre image de raté, il est hors de question de réouvrir le dossier!”.
Quand s’est produit ce basculement?
Quand on a lancé le concept des “Fuckup Nights”, on croyait qu’on allait avoir du mal à trouver des personnes qui oseraient parler de leurs échecs. Et bien, pas du tout! Après la pandémie, une envie de libération de la parole sur le sujet a émergé. A Bruxelles, il a fallu un petit peu promouvoir le concept la première fois, mais pour la deuxième édition, on avait une liste d’attente d’intervenants. Les gens se rendent compte qu’on lève le tabou et qu’ils arrivent à parler d’une situation pour laquelle on ne leur donne pas souvent la parole. Ils peuvent s’exprimer sur ce qu’ils ont vraiment vécu, en balayant les préjugés qui leur collent à la peau. On sent aussi que certains d’entre eux n’ont pas encore fait leur deuil totalement. Cela fait partie du processus. Et ce n’est pas parce qu’ils ont rebondi qu’ils sont complètement passés au-dessus de la douleur. En parler les force à aller plus loin et à devenir des individus de plus en plus épanouis et de plus en plus à l’aise avec leur histoire et leur parcours. Pour eux, c’est un processus salvateur et thérapeutique.
Cette libération de la parole est-elle nécessaire en Belgique?
En Belgique, une personne sur deux déclare ne jamais vouloir entreprendre par peur de l’échec. Ecouter ces personnes qui ont échoué dans tel secteur et pour une telle raison mais qui ont réussi à rebondir est inspirant. On vit aujourd’hui un momentum qui permet de changer le narratif autour de l’échec. Il était clairement temps de le faire en Belgique.
C’est l’une des missions de la Fondation Pulse que vous dirigez …
Une des choses sur lesquelles travaille notre fondation, c’est en effet de changer les mentalités pour stimuler l’entrepreunariat, qu’on décide d’être boulanger, fleuriste ou de se lancer dans la tech. Il n’y a pas de hiérarchie dans le secteur. Tout ce qui compte, c’est la démarche de faire bouger les choses en commençant par soi-même, en devenant acteur de sa propre vie. Mais pour cela, il faut arrêter d’avoir peur.
On vit aujourd’hui un momentum qui permet de changer le narratif autour de l’échec. Il était clairement temps de le faire en Belgique.
Vous sentez que le public belge est ouvert à ce type de démarche un peu décalée ?
Oui, le public répond présent. On a fait deux éditions à Bruxelles, la dernière a eu lieu en octobre. La première fois, on avait réservé une salle de 50 personnes en espérant pouvoir la remplir. En fait, après 24 heures, la salle était déjà full. On a réservé une salle de 150 personnes. Pareil, en une semaine, les tickets étaient sold out.
A quoi ressemble le public des “Fuckup Nights” ?
C’est assez fabuleux, au début, on se disait qu’on allait probablement toucher les quarantenaires entrepreneurs, mais pas du tout! Niveau âge et profil, on brasse très large. On a des participants qui vont de 18 à 75 ans. C’est vraiment un public transgénérationnel. Avec des profils qui ne sont finalement pas tous issus de l’écosystème entrepreneurial. On voit des enseignants, des responsables des RH qui se posent la question de comment intégrer la notion d’échec dans leur entreprise, des employés lambda,…On ne s’attendait pas à ça, c’est à la fois une surprise et une vraie victoire. On ne pouvait pas rêver mieux.
Vous comptez réitérer l’expérience ?
Oui, on compte organiser des “Fuckup Nights” 3-4 fois par an un peu partout en Belgique. Je peux déjà vous annoncer que la prochaine aura lieu en avril à Charleroi, avec des personnes du cru. On a déjà des idées d’intervenants mais rien n’est encore confirmé. En Flandre, on sent aussi que l’envie est là et que le timing est bon pour relancer le concept. Dans le nord du pays, des Fuckup Nights ont déjà été organisées il y a 5-6 ans, avec succès. On pourrait réitérer l’expérience.
Fuckup Night, le jeudi 8 février, 18h30, à la Grand Poste de Liège, entrée gratuite, inscription obligatoire.
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