Les “food halls”, une opportunité pour les investisseurs et les enseignes
Le concept de “food hall” est une tendance venue tout droit des États-Unis. Ces espaces qui regroupent des enseignes de restauration et des bars, déjà bien installés en Europe, arrivent petit à petit en Belgique et présentent des opportunités pour les investisseurs. Camille Delannois
Des croquettes de crevette, des pâtes italiennes, un bao, un poke bowl ou encore une spécialité libanaise ? Pourquoi choisir lorsque l’on a l’embarras du choix ? C’est la possibilité qu’offrent les food halls, ces lieux dans lesquels se réunissent plusieurs enseignes horeca pour centraliser les espaces de consommation et réunir en un même lieu plusieurs types de nourriture et de restauration (en général plutôt rapide).
Avec une ambiance unique dans chaque structure, la réussite de ce concept réside dans la liberté du consommateur. Celui-ci est libre de se déplacer dans ces marchés couverts, de manger ce qu’il veut sans avoir à changer de bâtiment, qu’il soit debout, assis, seul ou sur une table collective. Objectif premier de ces structures ? Répondre rapidement à un grand nombre de commandes côté restaurateurs et manger, tout en vivant une expérience, côté consommateurs.
Ces temples culinaires ont émergé dans les années 1970 aux États-Unis. D’abord dans les centres commerciaux, avant de s’étendre aux gares, aéroports ou aires d’autoroutes pour devenir de véritables lieux à part entière, passant du concept cheap au trendy. “C’est un concept qui est beaucoup plus développé au Royaume-Uni ou en Australie”, explique Simon de Vooght, associé et responsable retail de Cushman & Wakefield, leader mondial des services en immobilier. C’est dans les années 2000 que ces lieux se démocratisent et s’étendent à l’Europe, notamment avec le Time Out Market, le célèbre food hall de Lisbonne avec ses 24 restaurants et huit bars.
La Belgique, un nouveau marché
Selon une étude récente du leader immobilier, Food Halls of Europe Report, le nombre de ces halles gourmandes a bondi de près de 50% au cours des sept dernières années, atteignant aujourd’hui 133 sites en activité, avec neuf nouvelles ouvertures imminentes. “La tendance est aujourd’hui positive en Europe, mais ce n’est certainement pas quelque chose que l’on retrouve partout”, estime le responsable retail. Le Royaume-Uni est le marché le plus mature, avec une expansion notable en dehors de Londres. La France suit de près, avec 15 de ses 20 food halls situés en région parisienne. La Belgique tout comme la République tchèque et l’Irlande, fait partie des nouveaux marchés.
“On a vu progressivement la tendance arriver en Europe, mais cela a mis du temps avant d’atteindre la Belgique”, confirme Simon de Vooght. L’une des explications possibles tient à la culture : le Belge aime bien manger et surtout prendre le temps de manger. “La culture du restaurant et des brasseries est très forte chez nous”, ajoute-t-il.
L’accélération s’est produite avec la crise sanitaire poussant la recherche de moments de partage, dans des lieux agréables et authentiques. “Le covid a souligné l’importance d’avoir des espaces sociaux flexibles et a renforcé le besoin du consommateur de partager des expériences”, assure François Honoré, CEO de The Third Territory, un groupe qui réunit GeoConsulting et UPcity, qui propose notamment des conseils géomarketing dédié au commerce et à l’immobilier en général. “Les food halls, avec leur modèle centré sur la communauté, ont excellé à répondre à cette demande.” Autre explication sortie également de l’après-crise sanitaire : la part dépensée en repas hors domicile par les ménages augmente d’année en année.
“On a vu progressivement la tendance arriver en Europe, mais cela a pris du temps avant d’atteindre la Belgique.”
Simon de Vooght
(Cushman & Wakefield)
En Belgique, cette tendance s’est concrétisée avec l’arrivée du Wolf, en 2019, en plein centre de Bruxelles (bien que d’autres concepts existaient déjà à Gand ou Louvain par exemple). Aujourd’hui, notre pays compte une petite dizaine de food halls avec notamment La Grand Poste à Liège ou encore De Vleeshalle à Malines. Bruxelles en compte pour le moment trois avec le Wolf situé en plein centre de la capitale, la Gare maritime à Tour & Taxis et le Fox à Watermael-Boitsfort. La chaîne Eataly, qui commercialise les produits venus de la Botte, devrait bientôt compléter la gamme d’ici 2025. “À voir si la Belgique est assez grande pour accueillir plusieurs Eataly, mais le concept a tout à fait sa place à Bruxelles”, estime le responsable retail de Cushman & Wakefield.
Pour lui, une bonne localisation est primordiale dans la réussite du concept. “C’est le critère principal pour qu’un projet fonctionne”, poursuit-il. “Cela permet d’attirer non seulement les gens qui habitent aux alentours, mais également les bureaux ou encore les touristes”, juge Simon de Vooght, qui mentionne qu’il est essentiel de tenir compte du pouvoir d’achat et du revenu moyen des habitants. À cela s’ajoute une accessibilité douce nécessaire pour les milléniaux qui se déplacent très peu en voiture. Pour François Honoré, le choix du lieu est également primordial. “Les food halls bruxellois sont installés dans des lieux emblématiques et deviennent de véritables destinations”, assure-t-il.
Un avantage pour toutes les parties
Ces concepts profitent à toutes les parties : pour le consommateur, les food halls présentent une abondance de choix et une gamme variée de produits alimentaires de grande qualité. Quant aux professionnels, participer à ces concepts présente moins d’inconvénients que dans une structure seule. Des dépenses comme les frais marketing, de logistique, de ménage, etc. sont ainsi partagées avec d’autres professionnels.
Autre atout, ces zones de forte affluence garantissent une visibilité accrue des établissements et attirent naturellement une clientèle plus nombreuse. Tous ces avantages permettent aux restaurateurs de gagner en compétitivité. “Les food halls sont aussi un très bon test pour les enseignes. Le risque est alors un peu moins grand que si le professionnel se lançait seul”, poursuit l’associé de Cushman & Wakefield. Pour elles, c’est l’occasion d’expérimenter leurs concepts : comment réagit la clientèle ? Quel est le profil des clients ? Est-ce que la carte séduit ?
Autre avantage pour les professionnels : les loyers réduits qu’offrent ces concepts. La plupart du temps, le loyer est prélevé sur base d’un pourcentage du chiffre d’affaires, généralement entre 12 à 15%. “Les baux sont généralement des contrats de courte durée qui offrent dès lors davantage de flexibilité, tant pour l’enseigne que pour le gérant”, assure Simon de Vooght. L’investissement consenti par l’enseigne est donc moindre puisqu’il se limite à l’aménagement de son propre box. Le reste : bar, tables, chaises, terrasse ou encore évènements et animations, pour ne citer que ceux-là, sont de la responsabilité du gérant.
De plus, les clients passent leurs commandes eux-mêmes, viennent chercher leur nourriture et débarrassent la table. Résultat ? Moins de personnel nécessaire. “Ce qui permet de diminuer les coûts, mais surtout de répondre à la pénurie que connaît aujourd’hui le secteur de l’horeca”, pointe François Honoré. Seul inconvénient : la concurrence directe et le risque de voir les consommateurs se ruer vers les autres enseignes et non pas chez vous.
Concrètement comment cela fonctionne ? Traditionnellement, le modèle opératoire des food halls concerne trois acteurs :
- le propriétaire des lieux,
- le gérant et
- les responsables d’enseigne qui sont généralement indépendants.
Le propriétaire des lieux est celui qui investit dans le projet, le gérant, quant à lui, loue le bail principal dans sa totalité pour ensuite le sous-louer à différentes enseignes afin de créer le concept.
Dans le cas de la Gare maritime, le propriétaire est l’investisseur et promoteur immobilier Nextensa qui loue son food hall à AB InBev, lequel assure la gérance. “Il y a un intérêt évident pour le groupe qui, grâce au bar central, peut offrir l’entièreté de sa gamme”, note Simon de Vooght. Dans le cas du Wolf en revanche, la famille Haelterman, à la tête du groupe HLS, spécialisée dans la distribution de boissons pour l’horeca, est à la fois propriétaire et exploitant du concept. Dans les deux cas, propriétaires et gérants ont tout intérêt à ce que le concept fonctionne.
Concernant les enseignes présentes dans ces halles gourmandes, deux écoles s’affrontent : celle qui mise sur des chaînes bien connues afin d’attirer les consommateurs et celle qui privilégie les indépendants, un peu comme les mercados en Espagne.
Redynamiser les centres-villes
“Aujourd’hui, les expériences food hall sont tellement positives à Bruxelles que les investisseurs cherchent déjà d’autres emplacements”, confesse Simon de Vooght. “Ces concepts intéressent fortement les acteurs de l’immobilier, confirme François Honoré. Le groupe Biltoki en France réhabilite d’anciennes halles afin de réunir les meilleurs artisans indépendants.” Le groupe est présent dans neuf villes françaises et en ouvre bientôt une dixième.
Maintenant que la tendance est installée à Bruxelles, on peut légitimement s’attendre à ce qu’elle se développe en Wallonie et en Flandre. “Des villes comme Anvers, Gand, Namur et Charleroi pourraient tout à fait convenir”, note Simon de Vooght. “Les centres-villes wallons souffrent un peu plus des centres commerciaux qui ont été installés en périphérie, faut-il dès lors chercher un emplacement en plein centre afin de profiter des autres commerces ou bureaux ou privilégier un endroit qui drive déjà un grand nombre de personnes ?”, s’interroge-t-il. De son côté, François Honoré estime qu’avec une bonne gestion de l’hypercentre-ville, les food halls pourraient redynamiser les centres-villes wallons. “Avec l’essor du food and beverage, il est tout à fait possible de créer de nouveaux lieux attractifs.”
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