Les ailes de Delhaize définitivement coupées
Delhaize Belgique souhaite que ses 128 grands supermarchés soient repris par des indépendants, afin que ceux-ci soient moins chers et plus flexibles. Cette décision illustre surtout la perte d’autonomie de l’un des fleurons de la Belgique. Les décisions stratégiques sont désormais entièrement dictées par le siège néerlandais d’Ahold Delhaize.
Les syndicats et le personnel de Delhaize Belgique s’étaient préparés à recevoir de très mauvaises nouvelles ce mardi. Mais celle qui a été annoncée ce matin a surpris. Lors d’un conseil d’entreprise extraordinaire, ils ont appris que l’entreprise souhaitait faire passer tous les magasins encore intégrés, soit 128 sur 764, sous franchise à des opérateurs indépendants. Delhaize possédait déjà 636 magasins gérés par des indépendants, principalement des petits supermarchés de quartier.
Cette formule est plus rentable pour Delhaize, car le rôle de l’entreprise se limiterait à celui de fournisseur de marchandises. Laissant au passage les coûts importants de l’énergie et du personnel à l’exploitant. Ce dernier devant les payer sur la marge qu’il obtient sur les produits vendus. L’exploitant indépendant bénéficie par contre de conditions moins coûteuses et plus souples pour son personnel, ce qui lui permet notamment d’ouvrir le magasin le dimanche.
Les commissions paritaires pour les indépendants ou les supermarchés intégrés ne sont en effet pas les mêmes. Le fait que tous les supermarchés se retrouvent dans la même commission paritaire est un scénario d’horreur pour les syndicats et le personnel concerné, soit environ 9 000 personnes.
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Qu’en est-il du personnel ?
Delhaize promet que les quelque 9 000 employés des 128 supermarchés anciennement intégrés conserveront leur emploi, y compris leur salaire et leurs conditions de travail actuelles. Mais nul ne sait combien de temps cette promesse pourra être tenue. Delhaize refile ailleurs la patate chaude. Le personnel des supermarchés intégrés est plus cher et moins flexible que celui des supermarchés indépendants. Les supermarchés intégrés devront de toute façon réduire leurs frais de personnel d’une manière ou d’une autre, car ils ne sont pas assez rentables pour survivre à long terme.
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Des caddies plus aussi remplis
Les supermarchés intégrés de Delhaize ont toujours été une source de problème ces dernières années. Depuis la crise financière de 2008, les supermarchés belges se livrent une concurrence féroce. Le nombre de supermarchés a augmenté de moitié et, en plus, des challengers comme Albert Heijn, Lidl et Intermarché ont mis en place des politiques de prix agressives au cours de la dernière décennie. Cette situation exerce une pression sur les marges de tous les acteurs du secteur.
Les supermarchés appartenant à Delhaize perdent du terrain. S’ils attirent encore suffisamment de clients, ils n’achètent pas assez. Cela s’explique en partie par le fait que la différence de prix avec le leader du marché Colruyt et les autres challengers est devenue trop importante. On ne voyait plus des chariots pleins que chez les concurrents.
En 2014, les supermarchés Delhaize avaient déjà fait l’objet d’une restructuration majeure en interne afin de financer les baisses de prix et de regagner des parts de marché. Mais cette réorganisation n’a jamais réussi à redonner un élan commercial à ces grands supermarchés. La rentabilité n’a jamais retrouvé celle des années fastes.
Ahold a pris le contrôle
Entre-temps, Delhaize Belgique a perdu presque tout contrôle sur son propre destin. Le Groupe Delhaize, le détaillant américano-belge issu de Delhaize, a été racheté par son homologue néerlandais Ahold (connu pour Albert Heijn) en 2016. L’acquisition a été présentée comme une fusion entre partie égale, mais dans la pratique, Ahold a pris le contrôle.
Ahold Delhaize, dont le siège se trouve à Zaandam aux Pays-Bas, s’est avéré être un patron guère conciliant pour Delhaize Belgique. La direction de Delhaize Belgique a ainsi été remplacée rapidement. C’était là l’un des premiers signes que c’était clairement Zaandam qui tirait les ficelles. D’autres vont suivre. Ainsi certaines campagnes de marketing seront de simple copié-collé de campagnes menées aux Pays-Bas et on assiste à une réduction de l’autonomie en matière de gestion de l’assortiment.
Mais tous ces ajustements n’ont pas conduit à une amélioration des résultats. Ces dernières années, à l’occasion des résultats trimestriels, les résultats décevants de Delhaize Belgique seront régulièrement jetés en pâture par le CEO d’Ahold Delhaize, Frans Muller. À l’époque, le Néerlandais était le CEO du groupe Delhaize qui avait imposé la grande restructuration de 2014.
De nombreuses questions en suspens
La franchisation des supermarchés Delhaize s’accompagne d’une deuxième thérapie de choc. Des emplois seront également supprimés au siège belge. Dans un bref communiqué, Delhaize précise que le plan a été entièrement élaboré en Belgique, mais avec la bénédiction du PDG d’Ahold Delhaize, Frans Muller.
Il ne s’agit là que du dernier épisode d’un chapitre entamé après la formation d’Ahold Delhaize. Delhaize Belgique ne peut en effet plus se prévaloir de son aura de monument du commerce belge vieux de 155 ans. Elle ne dispose plus ce lien privilégié avec la direction comme au temps du Groupe Delhaize. L’expert en commerce de détail et professeur Gino Van Ossel a souligné il y a quinze jours qu’Ahold Delhaize n’est pas sentimental. Delhaize Belgique est moins performant qu’Albert Heijn et cela doit changer.
À court terme, l’annonce va surtout provoquer des troubles sociaux. À moyen terme, la question est de savoir si Ahold Delhaize parviendra effectivement à se séparer de ses 128 supermarchés. L’agitation sociale pourra-t-elle être canalisée ? Y a-t-il suffisamment d’entrepreneurs fortunés prêts à reprendre les magasins ? Et voudront-ils encore le faire sous l’enseigne Delhaize, au vu du succès d’Albert Heijn Belgium en tant que franchisé ? Les banques voudront-elles financer ces acquisitions ? Que feront les exploitants des petits Delhaize, maintenant que les grands supermarchés peuvent également ouvrir le dimanche et devenir ainsi de redoutables concurrents ? La direction de Delhaize Belgique devra trouver des réponses à toutes ces questions. Et ce dans un contexte où il n’y a que peu de place pour les pertes de temps et les erreurs coûteuses.
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