“Leonidas a des projets avec de grands acteurs de l’e-commerce”

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Jérémie Lempereur Journaliste Trends-Tendances - retail, distribution, luxe

Il a fait le tour de la maison, il a rencontré ses collaborateurs, il s’est penché sur les résultats du groupe. Six mois après son arrivée à la tête de Leonidas, Philippe de Selliers a finalisé son plan d’action pour booster les affaires du chocolatier familial belge. Réenchantement de la marque, percée en Chine et aux Etats-Unis, coup d’accélérateur dans l’e-commerce. Le nouveau patron nous livre sa stratégie.

” Il y a un potentiel énorme dans cette société, inexploité. ” A 50 ans, Philippe de Selliers a pris les rênes de cette vénérable maison familiale qu’est Leonidas. Cet ancien de chez Coca-Cola arrive à un moment charnière pour l’entreprise. Alors que les CEO se sont succédé à la barre ces dernières années, le groupe connaît une croissance atone. Son chiffre d’affaires (84 millions d’euros en 2016) stagne tandis que son résultat d’exploitation est passé de 6,2 millions d’euros en 2015 à 3,1 millions d’euros l’année dernière en raison de frais d’exploitation qui augmentent très vite. Dans ce contexte difficile, le nouveau patron doit trouver rapidement des relais de croissance.

PHILIPPE DE SELLIERS. Il faut demander cela aux dirigeants. Il y avait probablement plein de gens capables de faire le job. Il y a peut-être trois choses qui ont fait la différence. Je dispose d’un mix d’expériences à la fois en corporate company pour amener des processus de grandes sociétés, mais aussi en société familiale, avec Van Marcke. Je connaissais donc aussi cette approche différente. Ensuite, il y a le fait que j’ai dirigé la vente et la logistique de Coca-Cola pendant 10 ans. J’avais une équipe de 1.700 personnes et nous avions une excellence dans l’exécution. Leonidas doit également chercher cette excellence dans le détail, chaque jour. J’ai cela dans mon ADN. Je suis extrêmement rigoureux, exigeant avec les autres et avec moi-même. Enfin, je suis quelqu’un d’assez pragmatique. Je ne vais pas réinventer les choses. Probablement que mes prédécesseurs ont beaucoup inventé, sans doute très bien. Moi, je pense qu’on doit d’abord faire ce qu’on sait faire, mais mieux.

Profil

Après des études en sciences commerciales et financières à l’Ichec, Philippe de Selliers, 50 ans, débute sa carrière chez Mars Masterfoods en tant que délégué commercial. Il y restera six ans.

– Le Belge rejoint ensuite Coca-Cola Entreprises. C’est là qu’il passe la majeure partie de sa carrière (17 ans). Après avoir occupé diverses fonctions commerciales, il prend la direction d’un business unit avant de devenir vice-président Belux, responsable des ventes et de la logistique.

En 2014, Philippe de Selliers quitte la multinationale pour l’entreprise familiale Van Marcke, active dans les sanitaires, les salles de bains et le chauffage. Il en reste le COO pendant deux ans, avant de rejoindre Leonidas en mars dernier.

On sait que vos prédécesseurs, justement, se sont succédé à un rythme effréné à la tête de l’entreprise. Leonidas a connu sept CEO en 12 ans ! Vous êtes là pour durer ?

Je crois. En tout cas, c’est la volonté du conseil d’administration. Je pense que c’est aussi la volonté de la société et des employés. C’est la volonté de notre réseau et enfin, c’est la mienne. Je suis très vite tombé amoureux de la marque, de l’entreprise et des collaborateurs. Je pense qu’il y a un potentiel énorme dans cette société, inexploité, aussi bien dans notre région de coeur – le Benefralux – qu’à l’international où nous avons de bons contacts avec certains grands pays pour l’instant.

Au niveau des résultats, dans quel état avez-vous trouvé l’entreprise à votre arrivée ?

C’est une entreprise qui fonctionne, qui fait du profit depuis 100 ans. Les process fonctionnent : les produits sont bons, la production fonctionne, on vend dans différents réseaux de distribution, etc. La base du business est bonne. Maintenant, les résultats ne sont pas satisfaisants. Il ne faut pas se voiler la face : ça ne bouge pas depuis des années. Ça ne descend pas, ça ne monte pas, ce n’est pas spectaculaire. Les attentats ont plombé les résultats de deux années car une grande partie de notre business se fait à Bruxelles et à Paris. C’est aussi pour être moins dépendant de ces deux villes que je veux étendre à l’international.

Les attentats ont plombé les résultats de deux années car une grande partie de notre business se fait à Bruxelles et à Paris.”

Le chiffre d’affaires est en légère hausse mais les frais d’exploitation augmentent plus rapidement, ce qui fait que votre résultat d’exploitation baisse fortement en 2016. Comment expliquez-vous cela ?

Les prix de certaines matières premières ont très fort augmenté il y a deux ans. Le beurre explose. Le cacao, cela va mieux. Je ne peux pas vous en dire plus. Tout ce que je peux dire, c’est que les résultats de 2017 par rapport à 2016 sont plus ou moins flat.

Quand on regarde vos comptes, on voit qu’une forte plus-value sur réalisation d’actif vient redresser le résultat final et le cash-flow. Il s’agit d’une session brute pour 11 millions d’euros. Qu’est ce qui est vendu ?

Nous avons vendu une usine en Slovaquie pour rapatrier toute la production en Belgique. Mais l’objectif n’était pas du tout de redresser le résultat. En ce qui me concerne, j’ai demandé au conseil d’administration de nous baser uniquement sur le récurrent. S’il y a de bonnes ou de mauvaises nouvelles en raison d’une vente ou d’une acquisition, cela n’aura pas d’impact sur l’évaluation du business.

Comment booster les résultats ?

Nous devons réinvestir dans la marque, la rajeunir et communiquer beaucoup plus ! Ensuite, nous devons renforcer notre service. Je veux que chaque contact avec le consommateur soit unique. Il n’est pas évident d’obtenir cette uniformité du service lorsque vous travaillez principalement avec des franchisés. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, mais je veux vraiment travailler là-dessus. Les gens ont besoin de récurrence. Il faut le même sourire, la même connaissance du produit, la même gentillesse dans toutes les boutiques. Enfin, l’international va booster les résultats. Nous allons investir tout en améliorant les processus de fonctionnement. Chaque euro doit être réfléchi.

Quelles leçons tirez-vous de vos six premiers mois à la tête de l’entreprise ?

J’ai rencontré presque 100 personnes sur les 400, individuellement, à la fois en Belgique et dans les autres pays où nous sommes présents. J’ai par ailleurs ren- contré chaque gros client individuellement et je vais aussi physiquement deux-trois fois par semaine dans l’usine pour rencontrer les collaborateurs. Je suis un homme de terrain, et c’est probablement ce qu’il faut aujourd’hui à Leonidas. La marque est très connue. Mais il faut probablement montrer plus d’attention dans l’exécution de tout ce que nous faisons.

La première leçon, c’est que tout le monde a besoin de stabilité, d’une direction et d’une ligne de conduite.

Ensuite, j’ai appris qu’il était nécessaire de remettre au clair notre mission, notre vision et nos valeurs afin que tout le monde sache exactement pourquoi nous travaillons. Cela existait déjà, mais ça ne ” vivait ” absolument pas. Les collaborateurs ne connaissaient même pas les valeurs. Aujourd’hui, je veux que tout le monde sache ce que l’on va faire, mais aussi ce que l’on ne va pas faire. Ce qu’il faut chez Leonidas, c’est se donner des priorités précises, accepter de ne pas tout faire. Je suis un fan de la philosophie ” freedom with a framework “, à savoir déterminer un cadre et ensuite donner la possibilité aux collaborateurs d’inventer et de créer dans ce cadre.

Enfin, il est nécessaire d’améliorer la communication entre nous, dans les différents départements, et avec notre réseau.

Dans quels pays souhaitez-vous vous renforcer aujourd’hui ? Comptez-vous conquérir de nouveaux marchés ?

Nous sommes dans environ 40 pays aujourd’hui, ce qui ne veut pas dire que nous sommes bien représentés dans tous ces pays. Là où nous sommes clairement bien représentés, c’est la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas. Nous avons des marchés en croissance intéressante, comme le Portugal et la Roumanie. Nous sommes très bons au Japon. Nous allons maintenant nous concentrer sur la Chine – où nous ne sommes plus présents – et sur les Etats-Unis, où nous sommes présents mais de manière beaucoup trop limitée. En Europe, on doit vraiment se développer en Allemagne et au Royaume-Uni.

Dans notre usine actuelle, nous sommes capables de doubler la production.

Vous avez récemment déclaré vouloir que vos activités internationales deviennent plus importantes que vos activités nationales…

Ce que nous considérons comme international, c’est tout ce qui est en dehors du Benefralux. Nous réalisons dans ces quatre pays 85 % de notre chiffre d’affaires. Je crois que l’on peut inverser. On est en contact avec quelques développeurs potentiels de business dans des grands pays comme la Chine et les Etats-Unis. Si ça marche, on ne va pas parler de 25 tonnes… Ça peut aller très vite.

Qu’en est-il, en termes de création d’emplois ?

L’usine se trouve en Belgique. Donc, si on fait plus de volume, on engagera ici. Au niveau des équipes commerciales, en revanche, ce sera à l’étranger. Je suis un homme de terrain. Je ne crois pas qu’on puisse faire du bon business en Chine au départ de Bruxelles. Il faut des équipes sur place. On est en train de recruter deux personnes en Asie. Aux Etats-Unis, on recrute une petite dizaine de personnes. L’erreur du passé, c’est qu’on faisait tout au départ de Bruxelles.

Toute votre production se fait encore exclusivement à Anderlecht. La capacité actuelle est-elle suffisante au vu de ces projets ?

J’aimerais bien qu’un jour, il n’y ait pas suffisamment de capacité. Cela voudrait dire que nous faisons vraiment un énorme business. Dans notre usine actuelle, nous sommes capables de doubler la production. Nous pourrions, par exemple, travailler toute l’année en deux shifts, ce qui n’est pas encore le cas. Nous réalisons par ailleurs pas mal d’investissements. Mais la vraie question, c’est de savoir si notre usine est la bonne pour le futur. C’est une question qui est à l’ordre du jour, que je n’ai pas encore analysée dans le détail. De toute façon, elle restera en Belgique. Cela pourrait être une reconstruction, éventuellement ailleurs. Tout dépendra de Bruxelles, de la capacité de faire tourner une usine en en construisant une autre, etc.

Vous pourriez, à terme, quitter Anderlecht ?

Nous pourrions.

Comment pouvez-vous garantir la même qualité que vos concurrents à des prix plus bas ?

Les matières premières sont des ingrédients absolument incontournables en termes de qualité. On utilise du beurre alors que d’autres utilisent de la margarine. Tous nos produits sont frais, aucun n’est réfrigéré, ce qui n’est pas le cas de certains concurrents. La qualité est donc tout à fait irréprochable. On a un système de production efficace, une structure relativement petite, des volumes très importants et on accepte de ne pas prendre une marge importante. C’est un choix. Afin que les détaillants fassent la même marge qu’avec des produits plus chers, nous limitons relativement notre propre marge. Ce n’est pas un problème parce que c’est notre philosophie et parce que c’est compensé par les volumes que nous vendons.

Vos concurrents (Godiva, Neuhaus, etc.) se font donc plus de marge ?

Ce que je constate, c’est qu’en volume, nous sommes probablement beaucoup plus gros qu’eux, mais qu’en chiffre d’affaires, ils sont bien souvent plus importants que nous. Ceci dit, ce ne sont pas vraiment nos concurrents : ils sont positionnés différemment. Ils n’ont pas de meilleure qualité de chocolat que nous, ils ont simplement d’autres recettes. Le marché de la praline a un potentiel fou. Si on vend davantage demain, ce ne sera pas aux dépens de Neuhaus. Nous avons tous un potentiel énorme pour devenir plus importants. Il y a d’ailleurs aussi un nouveau CEO chez Neuhaus. Je suis assez content qu’une nouvelle dynamique se mette en place, qui fasse que le marché de la praline revienne dans la tête du consommateur.

Quelle est votre stratégie en matière de distribution ?

La plus grande partie de notre business s’effectue dans nos boutiques, majoritairement en franchise. Deux mille familles vivent grâce à Leonidas. C’est une responsabilité sociétale importante. On doit bien faire notre boulot pour que ces personnes puissent continuer à bien vivre et à percevoir leur salaire. Je ne vais donc pas mettre ces gens en danger en rentrant dans des canaux de distribution qui seraient concurrents de leurs boutiques. Cela en exclut toute une série. Par contre, je vais rentrer dans des canaux qui feront que la disponibilité de nos produits sera plus grande et qui apporteront une plus-value : si les consommateurs se retrouvent plus souvent en contact avec nos produits, ils vont probablement se rendre plus souvent dans les boutiques pour en racheter. Par exemple, nous sommes présents aujourd’hui dans certains hôpitaux. Je nous vois bien un jour l’être aussi dans les cinémas, dans l’horeca, etc. Je n’exclus pas non plus d’autres types de canaux de distribution plus généralistes dans les pays où nous ne sommes pas présents ou très peu présents.

Nous voulons créer des moments de bonheur, et pas simplement en mangeant du chocolat. Où est l’émotion lorsqu’on achète un pré-emballé dans une grande surface à côté de la viande ou des légumes ?

Vous parlez de la grande distribution ?

Rien ne l’exclut dans certains pays. Mais ce ne sera pas le cas dans les pays où nous avons des boutiques qui fonctionnent bien, avec des détaillants qui font confiance à Leonidas depuis des années.

Godiva vient d’annoncer sa volonté de se lancer dans la grande distribution. C’est un coup dur pour vous ?

Pas du tout ! Enfin, on verra bien à l’autopsie. Nous avons refusé de le faire, c’est notre responsabilité. Nous pouvions le faire car des distributeurs étaient venus nous le demander. Mais nous voulons créer des moments de bonheur pour tous, et pas simplement en mangeant du chocolat. Où est l’émotion lorsqu’on achète un pré-emballé dans une grande surface à côté de la viande ou des légumes ? Sans vouloir établir de jugement, l’expérience de shopping est très différente de celle vécue en boutique. En boutique, il y a l’odeur du chocolat, on peut choisir ses pralines, etc. Nous pourrions envisager d’aller un jour dans la grande distribution si c’est sous forme de corner, où nous pourrions préparer les ballotins, comme cela se fait déjà avec les sushis.

Quelle part de votre business l’e-commerce représente-t-il ? Avez-vous des projets en la matière ?

C’est assez faible aujourd’hui. Mais nous avons des projets avec de grands acteurs de l’e-commerce. En Chine par exemple, nous allons vendre sur Alibaba. Nous avons aussi notre propre site de vente en ligne, et nous allons probablement encore adapter beaucoup de choses. Je ne peux pas en dire trop car nous sommes en négociations, mais oui, nous allons être très présents sur le Web.

Vous parlez de plusieurs grands acteurs e-commerce… Lesquels ?

Vous connaissez les grands acteurs… (rires) Je n’en dis pas plus pour l’instant. On sait bien que l’e-commerce est très important pour toutes les marques. Nous allons donc y être de manière très sérieuse et très professionnelle. Nous ne sommes pas en retard, mais pas en avance non plus. Il faut qu’on y aille maintenant. Et notre stratégie reste la même. Que les gens soient plus facilement confrontés à notre marque pour qu’à terme, ils viennent quand même goûter l’expérience dans nos boutiques.

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