Le succès grandissant du mécénat de compétences

L'Arc Majeur, inauguré récemment le long de la E411, est un bel exemple de mécénat collectif et de compétences. L'oeuvre imaginée par l'artiste Bernard Venet a été réalisée par des ouvriers de John Cockerill, avec le concours d'une douzaine d'autres entreprises. © fernand letist

Une entreprise belge sur deux investit dans le mécénat ou le sponsoring, constate une étude de Prométhéa. De plus en plus, elles impliquent directement leur personnel dans ces actions sociétales.

Le mécénat, c’est bien plus qu’un virement bancaire. Une part croissante du mécénat n’est d’ailleurs plus monétisée mais passe par des dons en nature ou, de plus en plus, par la mise à disposition des compétences d’une entreprise au profit d’une action sociétale. ” Ce mécénat de compétences représente aujourd’hui 15% du volume global du mécénat, commente Benoît Provost, directeur de Prométhéa, une association qui sensibilise le monde de l’entreprise au mécénat pour la culture et le patrimoine. De plus en plus d’entreprises offrent du temps de travail de leurs équipes pour soutenir des causes ou des projets. ” C’est l’un des éléments qui ressort d’une étude sur le mécénat d’entreprises en Belgique, réalisée par Prométhéa, l’Observatoire des politiques culturelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et le bureau Sonecom auprès d’un échantillon de 638 entreprises.

” Il y a une demande énorme, y compris au sein des équipes des entreprises, poursuit Benoît Provost. Le mécénat de compétences est un facteur de fidélisation du personnel et permet de créer de véritables crossovers. Le gain est très souvent des deux côtés. ” Il est tellement convaincu des attentes en la matière que Prométhéa travaille à la mise en place d’une plateforme destinée à connecter l’offre et la demande en la matière. Rien que parmi ses membres (110 entreprises), elle a identifié quelque 5.200 heures de travail susceptibles d’être mises à disposition d’associations. Un bémol toutefois : la loi sur le détachement de travailleurs est un peu lourde pour de tels cas. ” Il serait utile de la revoir et, pourquoi pas, de prévoir un incitant fiscal ou parafiscal pour le mécénat de compétences “, ajoute le directeur de Prométhéa. Malgré cette réserve, quatre entreprises sur dix déclarent consacrer au mécénat de compétences un budget équivalent à celui dévolu au mécénat financier.

L’implication du personnel

L’un des atouts du mécénat de compétences est bien entendu l’implication des équipes. Il permet de sortir d’une certaine routine professionnelle et de mener des projets collectifs, avec une vraie finalité sociétale. ” L’image de la danseuse du patron, c’est fini, confirme Sabrina Marinucci, communication & event manager chez Prométhéa. Les entreprises cherchent de la cohérence entre le mécénat et leurs stratégies économiques. Cela peut renforcer l’ADN, les valeurs de l’entreprise. ” ” Dans les petites entreprises, la sensibilité personnelle du patron joue toujours, ajoute Benoît Provost. Mais ce qui a changé, c’est que les boss cherchent à entraîner leurs équipes, à faire participer le personnel. ” Et de citer l’exemple d’EVS où les choix de mécénat sont déterminés au suffrage universel des collaborateurs.

Chez Prométhéa, on est convaincu que de telles actions génèrent ” un cercle vertueux “, qu’elles contribuent à rendre l’entreprise mécène plus attractive tant auprès de ses (futurs) travailleurs que de ses clients. Dans le secteur culturel, les entreprises mécènes sont 66% à impliquer leur personnel et 60% leur clientèle. L’étude réalisée par Prométhéa pointe en outre ” une grande fidélité ” des entreprises dans le soutien aux structures ou événements. Elles préfèrent les partenariats inscrits dans la durée aux initiatives ponctuelles. ” Notre rôle est de les attirer dans la sphère du mécénat, de les convaincre que c’est porteur de valeurs, explique Benoît Provost. Une fois que l’entreprise a fait le pas, elle est entraînée par la dynamique positive du mécénat. ”

Des collectifs de mécènes

La réalité de cette dynamique se vérifie à travers deux évolutions dans les pratiques du mécénat. Tout d’abord, on constate que la plupart des entreprises mécènes aiment se retrouver dans des collectifs, à travers lesquels elles financent ensemble des projets. Prométhéa gère actuellement cinq et bientôt six de ces collectifs, qui regroupent de 8 à 26 sociétés (75% des 110 membres de Prométhéa participent à au moins un collectif). Cette technique permet évidemment à des petites entreprises de participer avec des mises de fond modestes. ” Mais cela va au-delà, reprend Benoît Provost. Les entreprises apprécient le travail collectif de soutien d’un projet ou d’une cause. Cela forge une sorte d’esprit de club. ”

Le succès grandissant du mécénat de compétences

La seconde évolution est le speed coaching. Des entreprises envoient des juristes, des architectes et autres directeurs de marketing à la rencontre d’acteurs culturels. En un après-midi, ces derniers peuvent ainsi discuter avec quatre ou cinq partenaires potentiels. ” Un tel accès est évidemment précieux pour le monde de la culture, indique le directeur de Prométhéa. Mais les entreprises apprécient aussi. Nous n’avons aucun mal à les convaincre de participer à ces séances. C’est une sorte de bain régénérant pour ces personnes, qui vont entendre parler de création pendant plusieurs heures. ”

Les PME ne négligent pas le mécénat

L’étude menée avec le concours de l’Observatoire des politiques culturelles révèle que près d’une entreprise sur deux (48,3%) fait du sponsoring ou du mécénat. La proportion grimpe jusqu’à 69,2% pour les entreprises qui affichent une politique de RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Cela tend à montrer que, quand elle s’est lancée dans une démarche d’interaction avec son environnement et la société en général, une entreprise y trouve une certaine utilité (par exemple le renforcement de l’adhésion du personnel) et multiplie alors les leviers d’action. Benoît Provost se réjouit en tout cas de ces chiffres jugés ” très positifs ” et de ” la forte corrélation ” entre le mécénat et la RSE.

Le mécénat est sans surprise surtout l’apanage des grandes entreprises (75% déclarent en faire) mais il est intéressant de noter que 44% des très petites entreprises (moins de 10 personnes) suivent le mouvement, désormais bien installé dans le monde économique. Plus de 60% des entreprises confient avoir maintenu leurs dépenses de mécénat durant l’exercice 2018 et près de 20% d’entre elles les ont même augmentées. Seules 5,7% les ont, à l’inverse, réduites.

Une législation encore un peu rigide

Quels budgets les entreprises consacrent-elles au mécénat ? C’est un peu la bouteille à encre. L’étude de Prométhéa révèle que le don moyen est de 21.000 euros pour une TPE, de 33.000 pour une PME et de 74.000 pour une grande entreprise. Les dons médians vont, eux, de 4.251 euros pour une TPE à 15.000 euros pour une grande entreprise. Ce dernier chiffre semble particulièrement bas. Faudrait-il revoir la législation pour gonfler les budgets du mécénat ? Lors de la législature précédente, plusieurs propositions de loi avaient été déposées en ce sens. Tantôt pour relever le plafond des dons déductibles, tantôt pour augmenter le taux de déductibilité, tantôt pour ouvrir le mécénat aux artistes et pas seulement aux structures. Aucune n’avait toutefois abouti.

Actuellement, la législation distingue le sponsoring du mécénat. Le premier implique un véritable retour (visibilité, notoriété) pour l’entreprise et les dépenses sont donc déductibles. Le second relève plutôt du don sans contrepartie. L’objectif du mécène est d’agir pour le bien commun, pas de réaliser une opération de marketing. Les dons sont alors déductibles, jusqu’à 500.000 euros ou 5% du bénéfice, à condition toutefois que l’argent soit octroyé à une institution agréée. Un assouplissement des conditions d’agréation des institutions (voire la possibilité de financer directement un artiste, comme l’ont proposé des députés) permettrait d’augmenter sensiblement les dons, estime Prométhéa. Les dons ou libéralités déductibles restent à ce jour relativement modestes. L’inventaire des dépenses fiscales de l’Etat nous indique ainsi que les libéralités ont privé l’Etat de 7,94 millions d’euros à l’impôt des sociétés et de 70 millions à l’impôt des personnes physiques. Ces chiffres ne représentent pas le volume des dons mais le coût pour l’Etat de la déductibilité des dons.

” L’art nous aide à sortir du cadre ”

Gérard Sevrin, patron de Macors, à l'occasion d'un vernissage de l'un des artistes accueillis en résidence au sein de l'entreprise.
Gérard Sevrin, patron de Macors, à l’occasion d’un vernissage de l’un des artistes accueillis en résidence au sein de l’entreprise.© pg

Tout est parti d’un bête terrain. L’entreprise de construction Macors (Hamois, province de Namur) avait besoin de nouveaux locaux et elle a jeté son dévolu sur un site avec un vaste terrain. ” Il fallait l’aménager pour être dans un environnement agréable, raconte Gérard Sevrin, patron de l’entreprise. L’idée d’en faire un parc où des artistes viendraient travailler a fait son chemin et tout s’est enchaîné. Nous n’avions vraiment aucune arrière-pensée en lançant cela. ”

L’initiative a fait mouche puisqu’elle a d’emblée été repérée par Prométhéa qui a décerné à Macors l’un de ses tout premiers prix Caïus, qui récompensent les entreprises mécènes. Gérard Sevrin l’avoue sans détour : à l’époque, il ne savait pas trop ce qu’était le mécénat et, d’ailleurs, ce terme l’ennuie toujours un peu. ” Pour moi, ce n’est pas un don mais un échange, dit-il. Oui, nous apportons des matières, des machines, un cadre d’exposition ; mais l’essentiel, c’est la rencontre entre nos équipes et l’artiste. ”

Macors a décidé de prolonger l’expérience au-delà de l’aménagement de son parc. Chaque année, l’entreprise sélectionne un jeune artiste, invité en résidence dans ses ateliers pour y produire une série d’oeuvres. Au départ, cela intrigue mais, très vite, la glace se brise. ” Nous avons un métier assez carré, reprend Gérard Sevrin. La présence d’un artiste va nous pousser à sortir du cadre, à ouvrir nos esprits et je peux vous assurer que cela laisse des traces dans la tête de nos gars. Je n’avais jamais imaginé cela au départ mais, oui, c’est bénéfique pour nous. ” Le patron de Macors sait que son entreprise – forte d’une soixantaine de salariés et de 70 à 80 prestataires extérieurs – ne peut rivaliser avec la main-d’oeuvre à bas coût venant de l’Est. Son salut, elle le doit à la qualité et la fréquentation des artistes y contribue. ” Cela nous pousse à aller plus loin, à faire preuve d’audace, explique Gérard Sevrin. Nos équipes vont oser proposer des choses innovantes aux clients et aux architectes. ” Pour développer les aptitudes professionnelles, Macors mise aussi sur la formation, à laquelle elle consacre le double du budget prévu par les normes sectorielles. ” Mais quand vous avez des jeunes ouvriers de chez nous primés dans les concours internationaux des métiers techniques, c’est une fameuse récompense, sourit Gérard Sevrin. C’est toujours la même chose : monter le niveau et sortir du cadre. ”

Les artistes en résidence doivent laisser une oeuvre dans l’entreprise. L’idée n’est évidemment pas de constituer progressivement une collection d’art contemporain mais de ” conserver le souvenir du passage des personnes “. A Hamois, il y a donc des oeuvres dans le parc, dans les couloirs ou sur les murs. ” Grâce à cela, on se démarque de nos confrères qui garnissent leurs locaux de maquettes ou de photos de chantier, sourit Gérard Sevrin. Il faut toujours se démarquer, cela impacte les équipes et les clients. ”

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