Le “self-scanning” est-il vraiment rentable ?

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Si le “self-scanning” accélère les courses dans les supermarchés, il contribue aussi à augmenter le taux des vols en magasin. Telle est la thèse d’une étude britannique qui a mesuré les pertes engendrées par ce système. Elles frôlent les 4 % des ventes. Soit plus que la rentabilité de beaucoup d’enseignes.

Le sujet est délicat pour les chaînes de supermarchés : le scannage des codes-barres effectué par les clients les encourage-t-il à subtiliser des articles ? Une étude réalisée par l’Université de Leicester, menée notamment aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Belgique, le soutient. Le département de criminologie de cet établissement a réalisé une vaste enquête (1) auprès de huit chaînes de magasins. Le résultat est interpellant : le taux de pertes sur les ventes atteint 3,97 %, ” soit 122 % de plus que la moyenne des pertes, davantage que la marge bénéficiaire typique du secteur de la distribution alimentaire en Europe, qui est de 3 %”, indique l’étude publiée début août et réalisée par les professeurs Adrian Beck et Matt Hopkins.

En Belgique, les enseignes comme Delhaize ou Carrefour ont multiplié les dispositifs de self-scanning. Il en va de même dans beaucoup d’autres pays. Ils servent à la fois à fidéliser les clients en accélérant le service et à modérer les frais de personnel. Tous sont conçus pour limiter les pertes dues à des articles non scannés, volontairement ou non. Mais il semble que ces dispositifs ne soient pas toujours suffisamment efficaces. ” Certaines personnes interrogées indiquent que les offenders (clients indélicats) peuvent être attirés dans certains magasins en sachant qu’ils peuvent délibérément y oublier de scanner certains articles avec peu de risque d’être pris “, indique l’étude. L’approche du self-scanning créerait donc une ambiance qui déculpabilise les clients distraits, en particulier s’il y a peu de personnel en vue.

Un risque de sanction quasi nul

L’approche du “self-scanning” créerait une ambiance qui déculpabilise les clients distraits, en particulier s’il y a peu de personnel en vue.

Cette attitude est encouragée par le risque de sanction quasi nul. Avec ce genre de dispositif, il n’est pas aisé de déterminer si un article n’a pas été scanné de manière volontaire. L’intention délictueuse est moins claire que dans le cas d’une bouteille de champagne dissimulée dans une grosse veste lors du passage à une caisse ” normale “. Avec le scannage manuel, lorsqu’ils sont contrôlés avec des articles non pointés, ” les clients ont la possibilité de blâmer la technologie, des problèmes de codes-barres ou d’avancer qu’ils ne sont pas assez technologiquement chevronnés pour justifier des articles non scannés “. Les magasins sont réticents à envisager des procédures contre ces clients, de peur d’incriminer des erreurs de bonne foi ou des couacs techniques. Ce qui conduirait à un retour de flamme sur la réputation de l’enseigne.

Les soucis du système lui-même peuvent encourager les clients à passer à l’acte. Un sondage publié en 2014 par Voucher CodesPro.co.uk, au Royaume-Uni, indiquait que 19 % des personnes interrogées admettaient avoir subtilisé des articles en self-scanning. La majorité reconnaissait le faire régulièrement. Ils y sont en général venus parce qu’ils ne parvenaient pas à scanner un article. Ils ont alors réalisé qu’il était facile de rejoindre la sortie avec des articles non payés.

Les dispositifs de scannage par le client se sont diversifiés ces dernières années. Il y a deux types d’approche : le self-scan à des caisses fixes, comme le service Quick Scan de Delhaize, une zone où le client scanne et paie ses achats sur des caisses spéciales. La version mobile utilise des scanners portables fournis par le magasin. Le client pointe les articles à mesure qu’il les place dans son chariot ou son panier, puis paie à la sortie à une caisse spéciale. La dernière évolution consiste à utiliser une application sur smartphone. Carrefour propose cette formule sur iPhone ou téléphone Android (peu utilisée). Les courses sont de temps à autre contrôlées à la caisse, sur les indications du système. Ces audits sont générés par le système de scanning et de caisse, ils peuvent être aléatoires ou tenir compte du passé du client. S’il a oublié précédemment de scanner un article, repéré lors d’un audit précédent, il a toutes les chances d’être davantage contrôlé par la suite.

” Pas beaucoup plus de fraude avec ce système ”

Les chaînes belges contactées ne reconnaissent pas de soucis majeurs. ” Nous n’avons pas beaucoup plus de fraude avec ces systèmes “, avance Roel Dekelver, porte-parole de Delhaize. L’avis est encore plus catégorique pour Carrefour Belgique. ” Contrairement à d’autres chaînes, nous avons une hôtesse à chaque caisse de self-scan. Cela explique que nous avons un taux de vols plus bas que d’autres “, déclare Baptiste van Outryve, porte-parole de Carrefour Belgique. Le numéro un du marché, le groupe Colruyt, n’est guère concerné puisqu’il a évité le self-scanning dans ses magasins éponymes ou dans les Okay. Il l’a juste adopté pour Cru, un concept de magasins vendant des produits frais (présentés comme sur un marché), qui compte deux implantations.

En fait, les données sur la ” démarque inconnue ” (pourcentage du chiffre d’affaires d’une enseigne de la grande distribution correspondant au coût des produits volés, disparus ou cassés) sont assez difficiles à obtenir. Les distributeurs ne les publient pas volontiers et ne le font guère que de manière regroupée, au niveau du secteur. Il ont du mal à le calculer avec précision. ” Une grande partie des pertes ne sera découverte que lors d’un inventaire physique des stocks, ce qui varie selon les distributeurs, et est souvent annuel “, notent les deux chercheurs de Leicester.

Les méthodes pour réduire les pertes

Il existe toute une panoplie de solutions pour limiter le risque d’articles non scannés, volontairement ou non. La plus typique consiste à multiplier le personnel aux caisses comme le fait Carrefour, qui dispose aussi d’un vigile derrière les caisses, et de recourir à des agents en civil dans le magasin. Mais cela augmente les coûts. L’idéal serait de rendre le système plus intelligent, capable de détecter lui-même, à l’approche du point de paiement, que des articles n’ont pas été scannés. Et de le signaler sur l’écran du terminal ou du smartphone, pour prévenir le client distrait ou indélicat et le sommer de pointer les articles. S’il passait outre, le magasin pourrait estimer qu’il y a vol.

Certaines puces imprimées sur des étiquettes pourraient participer à ce type de dispositif. La technologie RFID (radio-identification), utilisée par Decathlon, pourrait servir de base, mais elle n’est, hélas, pas fiable pour tous les types d’articles de supermarché. Elle convient par exemple moins pour les liquides. Des progrès sont encore attendus. ” A court terme, conclut l’étude, il semble qu’un système fiable et crédible de contrôle aux caisses est le seul mécanisme à même de développer un sentiment réel de risque ” pour dissuader le client de chaparder.

(1) Pr. Adrian Beck et Dr Matt Hopkins, “Developments in Retail Mobile Scanning Technologies, Understanding the Potential Impact on Shrinkage & Loss Prevention “, University of Leicester, Department of Criminology.

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