“Le prix du carbone doit être notre boussole”

Gérard Mestrallet © Belga

Le patron de GDF Suez, Gérard Mestrallet, plaide pour davantage de visibilité sur la politique de l’énergie en Europe, l’incertitude empêchant les entreprises d’investir. En particulier, il milite en faveur d’un relèvement des prix des certificats carbone et pour la constitution accélérée, dès 2017, d’une banque centrale des certificats CO2 en Europe.

Mardi, pour la deuxième fois depuis la création de ce lobby, le groupe Magritte, qui réunit onze grand énergéticiens européens, avait rendez-vous avec les instances européennes dont le parlement et le vice-président de la commission en charge de l’union de l’énergie en Europe (Maros Sefcovic). Parmi ces grands patrons ambassadeurs, Gérard Mestrallet, de GDF Suez.

Le groupe Magritte (qui doit son appellation au fait qu’il a donné sa première conférence de presse au Musée Magritte) né voici deux ans.

“Ce groupe voulait pousser un cri d’alarme sur la politique énergétique européenne, rappelle Gérard Mestrallet. Nous allions dans le mur, en raison d’un triple échec, explique-t-il”.

Triple échec

Echec sur la compétitivité d’abord : à l’époque, les prix de l’énergie montaient en Europe alors qu’ils baissaient aux Etats-Unis. Echec sur le climat, ensuite : les émissions de CO2 remontaient dans certains pays, comme l’Allemagne qui avait fait redémarrer ses centrales au charbon. Echec sur la sécurité d’approvisionnement enfin : elle était en danger avec des sous-capacités ici, des surcapacités là-bas et une politique incitant les producteurs d’énergie à fermer les centrales au gaz devenues non rentables. “On a fermé l’équivalent de 50.000 MW de capacité, soit l’équivalent de 50 centrales nucléaires”, note Gérard Mestrallet.

“Aujourd’hui, poursuit-il, nous avons fait une partie du chemin”. En octobre dernier, les 28 Etats membres de l’Union européenne ont adopté un “paquet énergie” qui reprend la proposition des grands énergéticiens européens qui voulaient réduire (par rapport à ce qu’elles représentaient en 1990) les émissions de CO2 de 40% d’ici 2030.

Tout n’est pas encore parfait cependant.

Sur le plan de la compétitivité, le groupe Magritte fait remarquer que la facture énergétique n’est pas encore, pour le consommateur, d’une transparence cristalline : les prix à la consommation élevés qui sont pratiqués en Europe (alors que sur les marchés, les prix sont en baisse) résultent de taxes et impôts supplémentaires qui représentent parfois 50% du coût final payé par le consommateur. Un phénomène qui annule les mesures prises pour faire converger les prix de l’énergie en Europe.

Du côté de la sécurité d’approvisionnement également, il y a encore du travail. Il faut diversifier les sources d’approvisionnement en gaz, travailler sur le stockage de l’électricité, renforcer l’intégration des réseaux électriques entre les pays, réduire et rationnaliser les subsides à l’énergie renouvelable…

Mais un point important, souligne Gérard Mestrallet, concerne le climat et le problème des émissions de CO2, surtout à quelques mois de la grande conférence sur le climat, qui va réunir à la fin de l’année 135 pays à Paris.

Relancer le marché du carbone

“Aujourd’hui, une question importante est celle du marché carbone, affirme le patron de GDF Suez. Le marché du CO2 s’est effondré parce qu’il était complètement rigide”. En 2009, l’Europe a en effet émis trop de certificats carbone (des “droit à polluer, NDLR). Il y a 900 millions de certificats excédentaires et les géants de l’énergie ne désirent pas qu’ils soient remis sur le marché.

Le prix du carbone a atteint un niveau tellement bas qu’il n’encourage pas la transition vers une énergie sobre en carbone en Europe. “Nous militons pour faire remonter les prix du carbone, via la constitution d’une réserve de stabilité du marché. Les quotas d’émissions excédentaires seraient mis dans cette réserve, qui agirait comme une sorte de banque centrale, explique Gérard Mestrallet. Elle pourrait modifier le nombre de certificats émis en fonction de la croissance économique, ce qui permettrait de donner au secteur de l’énergie davantage de prévisibilité. Sur le principe de création de cette banque centrale, tout le monde est d’accord, assure encore Gérard Mestrallet. La question principale est la date. Le conseil européen a requis 2021. C’est trop tard. Nous militons en faveur de 2017.”

Le moment est propice à quelques mois de la conférence de Paris sur le climat. ” Nous, entreprises, nous souhaitons un accord, poursuit le patron de GDF Suez. L’absence d’accord signifierait l’incertitude, un certain désordre, une absence de visibilité”. Or, sans visibilité, les entreprises n’investissent pas. ” Nous préférons avoir des lignes de conduite ambitieuses et claires, souligne Gérard Mestrallet. Pour nous le prix du carbone est la bonne boussole pour nous permettre de nous diriger”.

“La prolongation de Doel 1 et 2 devra répondre à nos critères de rentabilité”

Difficile de rencontrer le patron de GDF Suez sans aborder également la situation belgo-belge et la problématique des centrales nucléaires. Où en est-on ?

“Il y a deux centrales à l’arrêt (Doel 3 et Tihange 2, en raison de défauts découverts sur la cuve des réacteurs, NDLR). Elles font l’objet de travaux pour voir si elles peuvent repartir rapidement (les dossiers pour le redémarrage devraient être remis le mois prochain, NDLR). Mais, ajoute Gérard Mestrallet, la décision ne sera prise ni par le gouvernement, ni par nous, mais par les scientifiques de l’agence nucléaire belge”.

Autre sujet : les discussions sur la prolongation (jusqu’en 2025) des centrales de Doel 1 et Doel 2.

“Vous avez vu que le cas de Tihange 1 a été réglé lors du précédent gouvernement. Au-delà d’un certain niveau de rentabilité, il y a un partage : 60% pour l’Etat, 40% pour GDF Suez. Il y a des discussions sur l’allongement de Doel 1 et Doel 2 sur le même principe, affirme le patron de GDF Suez. L’allongement de la durée de vie de Tihange a coûté 600 millions. La prolongation de Doel 1 et Doel 2 représenterait un investissement de 700 millions”, poursuit-il. Il ajoute que pour que GDF Suez se décide à mettre cet argent sur la table, il devra être sûr que cet investissement “obéisse à nos critères de rentabilité”. Un avertissement au gouvernement pour qu’il ne soit pas trop gourmand dans les négociations ?

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