Le nouveau destin de Brussels Airlines
La compagnie belge, filiale du groupe Lufthansa, a survécu au covid et vole avec une base financièrement plus saine. Sa CEO, Dorothea von Boxberg, espère toujours améliorer ses résultats, malgré un été qui s’annonce plus concurrentiel qu’en 2023.
Après quelques années de turbulences parfois très rudes, Brussels Airlines semble partir sur une base plus favorable que jamais. Elle est toutefois la compagnie la moins rentable du groupe Lufthansa, avec 3,4% de marge d’exploitation (*) sur les ventes en 2023, soit 53 millions d’euros.
“C’est le meilleur bénéfice jamais enregistré par la compagnie”, tient à préciser Dorothea von Boxberg, CEO de la compagnie, qui espère faire mieux cette année. C’est que le groupe Lufthansa assigne à ses filiales une marge à l’Ebit de 8%, “nous espérons y arriver d’ici trois ans”, poursuit Dorothea von Boxberg. Les cousines du groupe, Swiss, Lufthansa et Austrian Airlines atteignent respectivement 13,7%, 5,3% et 5,4% de marge.
Un retour terni par des grèves
Ce n’est pas simple car les bénéfices créent des aspirations au niveau du personnel fortement mis à contribution pendant les mois difficiles du covid. Il a demandé sa part. A travers des revendications, des grèves en janvier et février. Une autre grève annoncée par les pilotes, pour mars, a été annulée après la conclusion de négociations salariales. “Nous sommes heureux d’être parvenus à un accord raisonnable, confie la CEO de la compagnie. Pour finir, nous n’avons pas eu beaucoup de grèves cette année, mais il suffit que des projets de grèves soient annoncés pour que cela ait un effet négatif sur les passagers.” Pour le premier trimestre, la perte pour cause de grève est évaluée à 14 millions d’euros. D’autres compagnies ont également connu ce type de tensions sociales post-covid.
Le résultat global est que la compagnie est devenue rentable l’an dernier en transportant quasiment 2 millions de passagers en moins qu’en 2019, l’année juste avant le covid, où elle perdait près de 26 millions d’euros. La raison ? “Nous avons moins d’avions (44 vs 48 en 2020), nous les remplissons correctement, à plus de 82%”, explique Dorothea von Boxberg. La compagnie compte actuellement 3.475 salariés.
“Il suffit que des projets de grèves soient annoncés pour que cela ait un effet négatif sur les passagers.”
Dorothea von Boxberg , CEO de Brussels Airlines
C’est l’effet des plans Reboot successifs. Le premier, lancé fin 2019 par Christina Foerster, alors CEO de Brussels Airlines, visait 8% de marge pour 2022 (120 millions d’euros en Ebit), en augmentant les synergies avec le groupe Lufthansa, et par des départs volontaires dans les services centraux.
Moins d’un an plus tard, le successeur de Christina Foerster, Dieter Vranckx, devra fortement durcir le plan, rebaptisé Reboot Plus, avec la crise du covid et le gel temporaire des vols. Un vrai remède de cheval, qui réduira la flotte (-30%) et l’effectif (-25%), alors de 3.750 équivalents temps plein (4.200 salariés). Avec un coup de pouce fédéral, un prêt de 290 millions d’euros de l’Etat belge, remboursé anticipativement.
Une compagnie structurellement plus saine
Cette rude réduction de la taille de la compagnie l’a rendue structurellement plus saine. Avec un profil de clientèle différent, encore inférieure de 20% à 2019. Les passagers d’affaires sont moins nombreux. “Ils formaient 60% du total des passagers”, précise Dorothea von Boxberg. En revanche, les clients loisirs sont proportionnellement plus nombreux. Ils sont enclins, du moins certains d’entre eux, à payer un peu plus pour davantage de confort. “Nous avons alors mis des business class sur les Canaries par exemple.”
Les voyageurs loisirs ont toutefois un inconvénient. “C’est un trafic avec des pics importants, note la CEO. La demande est très forte en été, nettement plus basse en hiver.” Le voyageur d’affaires a l’avantage de se déplacer toute l’année, c’est plus simple pour gérer une flotte.
La rude réduction de la taille de la compagnie l’a rendue structurellement plus saine.
En 2023, l’été avait été une très belle saison pour le secteur et pour Brussels Airlines. “Cette année, l’appétit pour les voyages est encore très grand, mais il y a beaucoup plus de capacité sur le marché.” Il est plus difficile de trouver des avions supplémentaires pour affronter les pointes. Les loueurs sont déjà très occupés à fournir les compagnies qui ont des avions bloqués pour des raisons techniques. Plus de cent Airbus A320 dotés de moteurs Pratt & Whitney sont en cours de rappel pour modification technique, ce qui sature la demande de locations d’avions.
L’Afrique, axe unique de développement long-courrier
Hormis l’Europe et les pays environnants, le grand axe de développement de la compagnie est l’Afrique. Et rien que l’Afrique. Il n’est plus question de développer un réseau nord-américain, lancé par un ancien CEO de la compagnie, Bernard Gustin (New York, Washington et Toronto). Les deux premières destinations sont toujours en service et continuent, mais il n’y en aura pas d’autres.
L’Afrique et rien que l’Afrique
La stratégie long-courrier de Brussels Airlines est totalement centrée sur l’Afrique. La compagnie n’envisage pas d’élargir son autre secteur au long cours, l’Amérique du Nord, où elle dessert Washington et New York. “Nous misons plutôt sur nos partenaires dans une alliance pour les vols transatlantiques”, indique la CEO. Cette joint-venture sur l’Atlantique inclut aussi United, Air Canada, Lufthansa, Swiss et Austrian Airlines. Il s’agit d’une stratégie du groupe Lufthansa, où Brussels Airlines constitue un centre de compétence pour l’Afrique. Brussels Airlines préfère multiplier les destinations en Afrique, notamment pour attirer des clients nord-américains, via United et Air Canada par Bruxelles, qui n’ont quasiment pas de vols directs depuis leur pays vers ce continent.
Le dixième long-courrier, un Airbus A330, desservira en juin une nouvelle destination africaine, Nairobi. “Il y a un trafic intéressant pour les loisirs et aussi les affaires, car Nairobi est le siège d’une agence de l’Onu, il y a donc du trafic potentiel avec New York et Genève”, estime Dorothea von Boxberg. L’Afrique du Sud ? La CEO de Brussels Airlines y voit une destination intéressante, mais les avions de la flotte long-courrier n’ont actuellement pas l’autonomie nécessaire pour y arriver, à moins de réduire la charge (passagers et cargo), ce qui rendrait la ligne moins intéressante.
La flotte de longs-courriers est revenue au niveau pré-covid de 10 avions (A330). La stratégie générale consiste à pousser l’activité de Brussels Airlines avec l’œil rivé sur les marges. Pourquoi 3,4% de marge Ebit, atteinte l’an dernier, ne suffirait pas ?
“Nous sommes une industrie qui investit beaucoup, la marge doit être plus élevée”, avance Dorothea von Boxberg. Une faible marge met la compagnie en difficulté à la moindre turbulence. Il paraît difficile de renouveler rapidement la flotte si la rentabilité n’est pas au rendez-vous. Brussels Airlines a obtenu trois nouveaux moyens-courriers A320neo l’an dernier, et en attend deux cette année, “ils consomment et émettent 20% de moins, et produisent 50% de bruit en moins”. Des discussions sont en cours pour renouveler la flotte de longs-courriers dont l’âge moyen est de 17 ans, avec des modèles neufs plus économiques à l’usage avec moins d’émissions.
Par ailleurs, Brussels Airlines est un élément du groupe Lufthansa, coté en Bourse et qui cherche à séduire les investisseurs. Il est bien moins apprécié des analystes financiers que Ryanair. Sa capitalisation boursière n’atteint que 8 milliards d’euros, contre plus de 26 milliards d’euros pour le groupe irlandais, dont la marge Ebit tourne autour de 15%.
La Belgique n’est pas le pays idéal pour les compagnies aériennes, qui y sont rarement basées. Les coûts y sont élevés et la concurrence est quasi toujours basée dans des pays moins chers. Il n’y a guère que TUI Airlines Belgium qui a généralement été rentable, mais ne l’est plus depuis le covid (perte de 57,5 millions d’euros en 2023, exercice clôturé fin septembre 2023 sur un chiffre d’affaires de 747 millions d’euros). Elle transporte les voyageurs du tour opérateur homonyme. Air Belgium, lancé en 2018, a eu toutes les peines du monde à trouver des actionnaires en Belgique, hormis surtout des acteurs publics, et perd tant d’argent qu’elle est en PRJ.
Réponse d’ici six mois pour le recours contre Charleroi
Dorothea von Boxberg refuse de considérer que le pays soit inadapté pour y baser des compagnies aériennes. “Partout, les compagnies aériennes sont confrontées à la balance délicate des dépenses et des recettes”, dit-elle. La CEO met plutôt en avant la concurrence qui lui paraît déséquilibrée avec les compagnies actives à l’aéroport de Charleroi – sous-entendu Ryanair – et a déposé l’an dernier un recours à la Commission européenne.
Il porte sur la prise en charge par les pouvoirs publics des frais d’approche (contrôle aérien) à Charleroi, que les compagnies paient à Zaventem, et sur d’autres sujets, comme le “financement des investissements de l’aéroport de Charleroi”. Un recours surprenant car la Commission européenne a déjà recadré l’aéroport hainuyer en 2014, en imposant une hausse de 12 millions d’euros par an de la redevance payée par la société gestionnaire de l’aéroport, BSCA, à la Sowaer, l’entreprise publique wallonne qui est propriétaire des terrains, des pistes et de la majorité des bâtiments. Ce “loyer”, jugé trop faible, constituait donc implicitement un subside caché pour la Commission européenne.
Brussels Airlines revient à la charge. “Nous espérons une réponse d’ici environ six mois, indique notre interlocutrice. Avec 9,3 millions de passagers, cet aéroport ne peut plus être qualifié de régional.” Dorothea von Boxberg vise indirectement les conditions dont le premier bénéficiaire est Ryanair, premier opérateur de l’aéroport hainuyer, qui y a basé 18 avions et a réduit ses activités à Zaventem, donc la progression et la rentabilité est un souci pour beaucoup de concurrents.
(*) marge d’exploitation ou EBIT (bénéfice avant intérêts et taxes)
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