Le “live shopping” au secours des commerçants
Alors que de nombreux consommateurs sont toujours réticents à l’idée de remettre les pieds dans un magasin, les commerçants cherchent à dynamiser leurs ventes en ligne. Le ” live shopping ” peut leur permettre de renforcer le taux d’engagement de leurs clients et de déclencher des achats d’impulsion. Coup de projecteur sur cette tendance venue de Chine.
En temps normal, Mégane travaille au MediaMarkt de Gosselies, où elle conseille les clients du rayon photo. Mais ce samedi matin, elle passe devant l’objectif. Il est 10 heures. Le live, sur le site web du spécialiste allemand de l’électroménager, vient de commencer. Interrogée par l’acteur flamand Christophe Stienlet, qui tente tant bien que mal de faire le show, la jeune femme présente tour à tour différents appareils photos, dont elle détaille les principales caractéristiques. Les articles sont déballés, vantés, comparés. Objectif ? Faire découvrir des nouveautés… et déclencher l’acte d’achat. Le client peut en effet à tout moment cliquer sur les produits qui apparaissent au bas de l’écran au fil de la présentation ; il est alors redirigé vers la page correspondante sur le site de la chaîne, où il peut passer commande tout en continuant à regarder le live. S’il a des questions spécifiques, il peut les poser aux intervenants, via un chat prévu à cet effet dans l’interface de live shopping.
Instagram propose déjà aux marques de “tagger” des produits sur des photos, pour rediriger ensuite l’utilisateur vers la page correspondante de leur site d’e-commerce.
Le mot est lâché… Et il pourrait bien bouleverser le commerce en ligne. Certains voient même dans cette nouvelle pratique la prochaine révolution du retail. Très répandu sur la plupart des grandes plateformes d’e-commerce asiatiques, le live shopping est tout doucement en train de faire son apparition en Europe. Plusieurs événements du genre ont d’ores et déjà été organisés par des marques bien connues chez nos voisins français mais en Belgique, c’est la première fois qu’une enseigne décide de se lancer dans l’aventure. La période si particulière que nous traversons n’y est certainement pas pour rien.
Reproduire en ligne l’expérience physique
Avec le confinement et la fermeture des commerces non essentiels du printemps, les ventes à distance ont bénéficié d’un sacré coup d’accélérateur. D’autant que bien que les magasins aient désormais rouvert leurs portes, beaucoup de clients préfèrent ne pas encore s’y rendre et continuent d’acheter sur Internet. Et ce n’est pas la reprise de la pandémie qui va inverser la tendance. Pour les commerçants, l’enjeu est énorme : il s’agit de tenter de reproduire, en ligne, l’expérience physique – la découverte, le conseil, l’achat d’impulsion, etc. “Lorsque nous avons pu rouvrir, nous avons constaté la présence d’immenses files dans certains rayons comme les télécoms, les machines à lessiver, les frigos, etc., soit les achats assez chers, relate Janick De Saedeleer, porte-parole de MediaMarkt. Pas mal de gens avaient attendu la réouverture pour pouvoir poser des questions et voir les articles. Si un nouveau confinement devait être décidé, il serait très important que nos clients puissent avoir un contact virtuel avec des vendeurs qui leur feraient découvrir les produits et les conseilleraient.”
La chaîne d’électroménager, qui a collaboré avec l’agence flamande de marketing digital Intracto pour la mise en place de sa plateforme de live shopping, a programmé quatre sessions thématiques en ce mois d’octobre. Après les smartphones et la photographie, une séance consacrée au gaming sera organisée ce samedi 24 ; le dernier événement, autour de la beauté et des soins personnels, clôturera le tout le 31. “Nous procéderons ensuite à une évaluation et déciderons de continuer ou pas, sur une base hebdomadaire ou mensuelle”, explique la porte-parole.
Le taux d’engagement, c’est-à-dire le pourcentage d’internautes qui posent des questions, répondent à un sondage, etc., est supérieur de 30% à un simple site d’e-commerce.”
Madison Schill (Livescale)
Un taux de conversion six fois plus élevé
Voilà qui pourrait bien marquer le début d’une vraie tendance dans le paysage belge du retail. Pour Robin Coulet, en tout cas, la crise va certainement accélérer un mouvement qui aurait tôt ou tard fait son apparition chez nous, après être quasiment devenu la norme en Asie. “Cette période a vraiment mis en avant la vidéo, le live et les technologies numériques d’une manière générale, explique le fondateur de l’agence digitale française Conversationnel, qui signait récemment sur le Journal du Net une chronique intitulée “Live shopping : la prochaine révolution retail“. Avec la crise, tout l’enjeu pour les marques est de conserver la relation avec des clients qui ne poussent plus nécessairement la porte des magasins. Parce qu’il permet de rapprocher le moment de la découverte virtuelle du moment de l’achat, le live shopping est une solution intéressante ; il recrée de l’immédiateté, ce qui favorise les achats d’impulsion.”
“Le taux de conversion moyen est de 9,5%, soit six fois plus que sur un simple site d’e-commerce ; le taux d’engagement, c’est-à-dire le pourcentage d’internautes qui posent des questions, partagent une info, répondent à un sondage, etc. est, lui, de 30%, assure Madison Schill, communications manager chez Livescale, une entreprise canadienne qui conçoit des plateformes de live shopping pour les marques et qui souhaite s’étendre en Europe. Ses équipes viennent notamment de commencer à travailler pour NYX France (L’Oréal).
Cette volonté que manifestent les marques de reproduire à tout prix en ligne l’expérience pouvant être vécue dans les points de vente ne vient-elle pas justement prouver l’importance – encore et toujours – du magasin physique ? ” Cela montre surtout que tout ce qui constitue un magasin est important, nuance Robin Coulet. Pas nécessairement le côté physique proprement dit, mais plutôt ce qu’il permet, à savoir le conseil, le service, la relation. C’est cela que le live shopping essaie de répliquer.”
Quels liens avec les réseaux sociaux ?
Attrayante sur le papier, cette nouvelle tendance place les marques devant toute une série de défis. “Le principal d’entre eux, c’est l’éducation du consommateur, affirme la responsable de Livescale. En Europe, c’est souvent la première fois que les gens entendent parler de live shopping. La communication des marques est donc très importante.” C’est qu’il faut faire connaître l’événement et parvenir à fédérer une communauté suffisamment importante à un moment précis. Or, aujourd’hui, la plupart de ces séances se déroulent sur les sites des enseignes et pas directement sur les réseaux sociaux, où se trouvent pourtant les clients. Certes, les marques peuvent poster un lien sur Facebook ou Instagram voire y diffuser leur live – MediaMarkt propose par exemple ses événements en direct sur Facebook. Mais le client doit basculer sur le site de l’enseigne pour pouvoir profiter de la plateforme de live shopping dans son ensemble, à savoir le live lui-même, le carrousel de produits et le chat.
Instagram propose déjà aux marques de tagger des produits sur des photos, pour rediriger ensuite les utilisateurs vers la page correspondante de leur site d’e-commerce. Mais il ne s’agit pas du tout d’une expérience de live shopping. “En Chine, c’est un tout autre monde, témoigne Robin Coulet. Les réseaux sociaux intègrent tout l’écosystème, du live au passage de commande et même au paiement. C’est certainement vers cela que nous nous dirigeons également, avec une intégration toujours plus forte des marques sur les plateformes sociales, jusqu’à l’achat proprement dit. Cela pose évidemment les questions de la dépendance des marques aux plateformes et de la maîtrise des données des clients.”
Il faut que ce soit sympa, pédagogique. Si l’on est trop proche d’une démarche de vente, ce ne sera pas plus intéressant qu’un télé-shopping.”
Robin Coulet (Conversationnel)
Un parcours client “sans couture ”
Autre grand défi : la modernisation de l’outil. Nous avons tous en tête l’image vieillotte du télé-shopping, qui constitue en quelque sorte l’ancêtre du live shopping. Pour les marques, il est primordial de ne pas tomber dans le poussiéreux et de dynamiser les événements pour attirer le chaland. “Il y a une vraie question de scénarisation de ces moments de live, assure notre interlocuteur. Il faut que ce soit sympa, pédagogique. Si on est trop proche d’une démarche de vente, ce ne sera pas plus intéressant qu’un télé-shopping.” On peut imaginer la présence d’un influenceur, la possibilité de se promener dans les rayons, l’organisation d’un concours, etc.
Enfin, il est nécessaire de proposer au client un parcours “sans couture”, comme on dit. Comprenez : sans frictions, sans frustrations, fluide. Le fait de devoir s’inscrire pour pouvoir poser des questions ou finaliser sa commande, de ne pas être autorisé à commenter sur les réseaux sociaux directement ou à inviter des amis, etc. : tout cela peut rapidement décourager le client. Il faut donc parvenir à faire des événements de live shopping des moments agréables, durant lesquels l’internaute vit une véritable expérience sociale qu’il peut liker et partager avec sa communauté. “Si ces séances pouvaient se tenir sur les réseaux sociaux, ce serait beaucoup mieux, affirme Robin Coulet. Cela permettrait de rapprocher le monde de la vente de celui de la relation, pour aboutir à une vraie expérience de shopping social.”
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