Le constat est amer ; le défaut de performance commerciale se situe bien plus souvent au niveau de la motivation que de la compétence.
Je me retrouve systématiquement confronté à des équipes qui savent comment vendre, mais qui peinent à vouloir réellement s’y consacrer. Les moyens sont là, les techniques semblent connues et maîtrisées, mais le passage à l’acte est faible, inconstant, toujours sujet à la procrastination.
On vous a probablement bassiné les oreilles avec un concept aux allures new age, décliné depuis 30 ans sous diverses formes : la mission, si vous êtes un disciple de Peter Drucker ; le why, si vous préférez Simon Sinek ; la raison d’être ou purpose si vous penchez du côté de Daniel Pink, ou encore l’ikigaï avec sa touche d’exotisme oriental. Toutes ces dénominations interrogent le sens de nos actions.
Dans la précédente décennie, une courte majorité d’entreprises se sont pliées au jeu, croyant devoir céder à un effet de mode, et ont pondu, après une intervention d’un prestigieux cabinet-conseil ou une mémorable mise au vert du comité de direction, des valeurs et des slogans déclinés par la suite en pages web, en signatures mails et en cadres à suspendre aux murs de la salle de réunion. Et voilà comment une louable intention finit en papier peint.
On essaye d’exprimer la génétique d’une entreprise et on se retrouve à en faire de la cosmétique. Malheureusement, ces belles promesses ne s’impriment ni dans les cœurs ni dans les mémoires. De mon propre constat, seul un commercial sur 20 peut à peine me citer correctement la mission de son entreprise ou ses valeurs principales. Faites le test, c’est édifiant. Quant au reste des entreprises, elles font l’impasse sur ce volet, persuadées (probablement en ayant observé les premières) que l’exercice ne sert à rien.
Le sens, besoin primaire
Exprimer, faire vivre le sens, la contribution d’une entreprise, n’est ni une mode managériale ni un exercice littéraire en vase clos. C’est l’obligation fondamentale de renouveler dans les consciences et dans les émotions de toutes les personnes qui participent au projet de l’entreprise l’engagement qu’elles prennent chaque jour pour le bien d’autrui. C’est le socle indispensable de la motivation et de la mobilisation collective de vos équipes, l’élément clé qui permet à un commercial d’aller chaque jour pousser des portes, essuyer les rejets, digérer les refus, rassurer les doutes et obtenir les succès dont la boîte a besoin pour se développer.
Les travaux de Deci & Ryan sur la motivation intrinsèque confirment depuis le siècle dernier que l’absence de sens fragilise l’engagement à long terme. Dan Ariely a récemment démontré qu’un salarié privé de lien entre ce qu’il fait et son utilité perçue finit par décrocher, même en présence d’avantages financiers conséquents.
Quand le “dark why” s’installe
C’est ce que j’ai découvert bien malgré moi, lorsqu’au démarrage d’une formation de technico-commerciaux spécialisés dans les systèmes d’électro-mécanisation, des participants m’ont répondu sans ciller que leur métier consistait à “fabriquer des chômeurs”. En cherchant à comprendre, ils m’ont expliqué, à contrecœur, qu’un déploiement d’automatisation dans une industrie entraînait généralement des suppressions de postes parmi les ouvriers. Quelques semaines plus tard, dans une entreprise leader des équipements de géopositionnement de véhicules, les vendeurs m’ont avoué qu’ils se sentaient obligés de “vendre du flicage”, tant les chauffeurs équipés par les entreprises de ces systèmes se sentaient sous surveillance permanente.
Et c’est ainsi que, peu à peu, en prenant l’habitude de sonder les âmes, j’ai découvert qu’énormément de commerciaux reconstruisent et nourrissent un “dark why“, une vision négative de leur contribution, une déclinaison différente pour chaque métier d’un principe sinistre général qu’on peut articuler comme ceci (biffez les mentions inutiles) : “On vend des produits ou des services inutiles, de mauvaise qualité et forcément trop chers à des personnes ou des entreprises qui n’en ont pas besoin et qui n’en ont pas les moyens,. Tout cela pour le profit d’un actionnaire qui nous méprise, en général au détriment de la nature, du climat, de la santé et/ou de la société, le tout dans un marché où nos concurrents sont forcément meilleurs et moins chers que nous.”
Dissonance cognitive sous vernis commercial
Grattez un peu, et vous verrez rapidement apparaître, sous le vernis des apparences, ce type de croyances nocives, profondément ancrées. C’est ce que les neuroscientifiques appellent un récit prédictif compensatoire (Karl Friston, 2010). Faute de repères cohérents, le cerveau fabrique les siens. Et le récit négatif est toujours plus contagieux et persistant que la fable édulcorée du service com’.
Qui pourrait blâmer les commerciaux de tomber dans ce travers ? Après tout, c’est bien à eux que s’en prennent les clients déçus, aussi peu nombreux soient-ils, à eux que les prospects font l’éloge de leurs concurrents ; à eux qu’arrivent, par les réseaux de communication officieux de la boîte, toutes les informations et rumeurs sur les défaillances, les insatisfactions, les manquements…
Pendant que les directions ont les yeux rivés sur l’évolution des chiffres, marges et profitabilité, les forces commerciales baignent dans un flux permanent d’informations négatives au sujet de ce qu’elles vendent. Le filtre de la motivation s’encrasse, pendant que ces croyances délétères se cristallisent. Elles tuent en silence la flamme et la foi des vendeurs, provoquant le départ des meilleurs et faisant basculer ceux qui restent, au mieux, dans une posture cynique et défaitiste, au pire, dans une profonde dépression.
Ce n’est pas en dévoilant à l’occasion d’une grand-messe un slogan qui claque que l’entreprise peut résoudre cette gangrène de l’envie de vendre.
Ce n’est pas en dévoilant lors d’une grand-messe un slogan qui claque, trois valeurs et un plan de com’ sur slides, ni en fustigeant la “négativité” des équipes, que l’entreprise peut redonner l’envie de vendre. Il ne s’agit là ni d’une mission de marketing, ni d’un travail de management, mais bien de l’essence même de ce qui fait le leadership. Qui plus est, travailler concrètement le sens est très rentable : plusieurs études montrent qu’une mission d’entreprise claire booste la performance, avec jusqu’à 33% de revenus supplémentaires et un engagement renforcé des équipes.
Réenchanter le réel
Si le négatif se répand inévitablement, le positif, lui, se cultive avec persévérance. Pour éviter de tomber dans ce marasme, il est essentiel de contribuer à réenchanter au quotidien ce que fait l’entreprise pour ses clients, de dire et faire dire en interne tout le bien qu’on procure aux autres, par voie de partages, de témoignages, de communication systématique des succès, humains, émotionnels, et pas seulement chiffrés. Il s’agira de visiter souvent les clients les plus heureux, sans autre ambition que de les amener à exprimer les raisons qui fondent leur fidélité, et chaque jour agir pour que les équipes commerciales retrouvent et conservent les indispensables sentiments d’utilité et de fierté qui font la signature des plus grandes entreprises.