“Le changement climatique va devenir la priorité des entreprises, qu’elles le veuillent ou non”

Des progrès plus importants doivent être réalisés pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux, puisque seulement 28% des organisations des CEO belges ont pris des engagements nets zéro.

Grâce à la rapidité de l’évolution technologique, nous pouvons prendre de meilleures décisions dans le cadre de la chaîne d’approvisionnement, d’après le professeur Robert Boute (KU Leuven et Vlerick Business School). Le manque de données précises dans les entreprises constitue toutefois une pierre d’achoppement.

Les professionnels de la chaîne d’approvisionnement font face à des défis majeurs. Le changement climatique impactera de plus en plus les choix logistiques opérés par les entreprises. À cela s’ajoute la volonté d’accélérer sans cesse les mouvements logistiques afin de réduire au maximum les délais. Enfin, les tensions internationales comme le Brexit et la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine génèrent une grande incertitude au sein des conseils d’administration. Il est de plus en plus compliqué d’effectuer des choix et de prendre des décisions concernant les chaînes de valeurs internationales.

La bonne nouvelle, c’est que des solutions existent. Pour Robert Boute, spécialiste en la matière à la KU Leuven et la Vlerick Business School, les solutions sont évidentes en théorie mais difficiles à appliquer avec les méthodes classiques. Les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle (IA), le Cloud Computing (CC) et l’Internet des Objets vont aider les responsables de la chaîne d’approvisionnement à prendre de meilleures décisions.

Le climat, la priorité

Selon Robert Boute, le changement climatique va devenir la priorité des entreprises, qu’elles le veuillent ou non. “Non seulement en raison des manifestations climatiques, mais aussi parce que le secteur du transport est l’un des principaux responsables des émissions de CO2. Il est le seul secteur à avoir enregistré une hausse de ses émissions ces 25 dernières années. Dans tous les autres secteurs, des mesures ont été prises et les émissions ont baissé.” Les rejets de CO2 du transport de personnes ont ainsi augmenté de 25% durant le dernier quart de siècle et ceux du transport de marchandises ont même doublé au cours de la même période. “Les entreprises qui ne s’en préoccupent pas encore devront bientôt coopérer. Les autorités vont instaurer toutes sortes de taxes afin d’écologiser le secteur du transport”, prédit Robert Boute.

Une des solutions consiste à regrouper les charges ; une autre est de déplacer les flux de marchandises de la route vers des modes de transport plus durables comme le rail et la voie fluviale. C’est ce que l’on appelle le transfert modal.

“En théorie, il s’agit de solutions très simples, mais dans la pratique, cela s’avère très compliqué”, explique le professeur Robert Boute. La société belge Tri-Vizor d’Alex Van Breedam et de Bart Vannieuwenhuyse est une des pionnières du groupage des flux de marchandises. Ils organisent depuis dix ans déjà des collaborations entre entreprises en vue de partager la capacité de transport. Cette année, ils ont suscité l’intérêt de la presse internationale avec un projet en Norvège dans le cadre duquel les concurrents Cargill et Skretting partagent leur flotte de navires. “Il s’agit d’une des toutes premières applications de l’économie collaborative dans le secteur de la logistique”, souligne Alex Van Breedam, CEO de Tri-Vizor. “Cela montre comment des économies de coûts peuvent aller de pair avec des réductions de CO2.”

La raison pour laquelle la mise en pratique s’avère si compliquée tient, selon le professeur Robert Boute, au fait que les parties contractantes doivent renoncer à une certaine part de flexibilité. “Il s’agit là d’un des grands écueils. Elles doivent renoncer à une part de liberté au profit du transport groupé. Moins de liberté signifie davantage de stocks et donc de coûts. Et c’est précisément ce qu’un gestionnaire de la chaîne d’approvisionnement veut éviter.” Robert Boute dresse le même constat avec les plaidoyers pour le transfert modal. “Le transport ferroviaire est meilleur pour l’environnement, mais les trains sont moins flexibles car il faut tenir compte d’horaires fixes et ils requièrent des volumes importants.”

L’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique

La synchromodalité constitue une solution possible. Les biens sont livrés à temps, peu importe le moyen utilisé. Cela peut se faire en partie par la route (rapide et flexible) en combinaison avec le rail (plus rentable pour les grands volumes et meilleur pour le climat). Pour opérer les meilleurs choix et calculer les combinaisons optimales, les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique peuvent s’avérer utiles. “Nous élaborons et affinons des algorithmes pour organiser ce réapprovisionnement de manière optimale. La technique que nous utilisons à cet effet est l’apprentissage par renforcement, une forme d’apprentissage automatique qui apprend à l’ordinateur à décider lui-même des actions qu’il doit entreprendre pour obtenir le meilleur résultat”, explique Robert Boute. La technique est déjà utilisée à grande échelle par des géants comme Amazon afin d’optimaliser le transport et la logistique entre leurs entrepôts.

“Nous utilisons cette technique ici pour vérifier comment nous devons organiser le transport synchromodal. Faut-il mobiliser un groupe de poids lourds pour un flux de marchandises donné ou avoir recours au rail ? L’intelligence artificielle permet de rendre la logistique plus efficace et plus durable”, affirme Robert Boute. “Je pense que nous devons agir par rapport au changement climatique sans que cela ne coûte trop cher. La synchromodalité réunit le meilleur de deux mondes.”

La précision des données disponibles dans les entreprises constitue également un sujet de préoccupation. “Tout le monde dispose de nombreuses données, mais quel est le pourcentage réellement utilisable ? Je vois là un autre grand défi à relever pour de nombreuses entreprises”, déclare Robert Boute.

ML6 est un exemple de société technologique active dans l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique. L’entreprise gantoise de Nicolas Deruytter collabore notamment avec le constructeur belge de motos Saroléa pour le développement d’une chaîne de traction électrique intelligente. ML6 est également active dans le transport et la logistique. La société d’IA exploite des données du passé pour prédire l’avenir et permettre ainsi aux sociétés d’optimaliser leur chaîne d’approvisionnement. Sa Border Delay Prediction est un exemple d’application. En fonction de la taille, du poids, du type, etc. du chargement, il est possible d’estimer le temps nécessaire à la douane. Par ailleurs, la technologie peut être employée pour charger des navires et des poids lourds aussi efficacement que possible et planifier au mieux les itinéraires.

Quête de vitesse

Robert Boute voit une autre tendance s’imposer : le besoin de vitesse dans la chaîne logistique. “Celui-ci est stimulé par l’essor de l’e-commerce et les attentes des clients. Dans le B2B aussi, les choses doivent aller vite. Plus vous êtes en mesure de réagir rapidement, plus vous pouvez réduire le fonds de roulement”, affirme Robert Boute. Il donne l’exemple de la Speed Factory du fabricant allemand de chaussures de sport Adidas. “Il voulait pouvoir lancer rapidement des chaussures sur le marché, mais était confronté en Asie à une chaîne d’approvisionnement avec des délais de trois à quatre mois. Avec sa Speed Factory fortement automatisée située en Allemagne, il est capable de livrer de nouveaux produits en dix jours. Le concurrent Nike fait exactement la même chose aux États-Unis.” Ce n’est plus l’un ou l’autre. Il s’agit de combiner une chaîne d’approvisionnement rentable avec une chaîne logistique rapide et réactive.

Ces modèles hybrides optant pour une approche multicanale apparaissent aussi dans le commerce de détail. Ils opèrent à partir d’entrepôts centraux tout en ayant la volonté de pouvoir également livrer leurs clients rapidement à partir des magasins. “La question est de savoir comment gérer les stocks d’une manière rentable. Le besoin de rapidité peut être réglé en constituant des stocks très importants, mais c’est coûteux et c’est précisément ce que les détaillants veulent éviter”, indique Robert Boute. Pour résoudre ces problématiques complexes, il entrevoit un potentiel pour les algorithmes intelligents et les grandes quantités de données. “Adidas peut se réapprovisionner au départ de l’Asie ou d’une usine en Allemagne. Quel sera le choix retenu ? Il s’agit d’évaluer le rapport entre les coûts et la rapidité. Et les professionnels de la chaîne d’approvisionnement ont toujours su calculer. Aujourd’hui, de nombreuses nouvelles possibilités émergent grâce à la puissance informatique dans le cloud, aux algorithmes et aux données qui sont davantage récoltées qu’auparavant”, conclut le professeur Robert Boute.

Traduction : virginie·dupont·sprl

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