L’arrimage liégeois d’ArcelorMittal

Renaud Witmeur (Sogepa) et Matthieu Jehl (ArcelorMittal) © LAURIE DIEFFEMBACQ/Belgaimage

Fin 2013, le groupe sidérurgique signait avec les syndicats et la Région wallonne un accord de maintien des activités et de l’emploi liégeois pendant cinq ans. L’échéance approche. L’économie wallonne doit-elle en avoir peur ?

Un pincement au coeur. Matthieu Jehl admet qu’il ne tournera pas facilement la page belge. Le patron d’ArcelorMittal Belgique s’envolera en novembre pour Tarente, où il prendra la direction d’Ilva, la plus grande aciérie d’Europe, récemment rachetée par ArcelorMittal. ” Je reste dans le groupe, je vais me tenir informé de l’évolution de nos activités à Liège “, précise-t-il. Il s’en va en effet un peu au milieu du gué, puisque le plan de sauvetage des sites liégeois, conclu fin 2013, court jusqu’en février 2019. Matthieu Jehl était arrivé à la tête d’ArcelorMittal Belgique en janvier 2014, pile au moment de concrétiser cet accord passé entre le groupe, la Région wallonne et les syndicats. Il laissera à son successeur, Manfred Van Vlierberghe, un Belge qui a accompli l’essentiel de sa carrière chez ArcelorMittal, le soin de piloter le dernier tiers de ces engagements portant sur cinq ans.

” Le but de cet accord était la pérennisation des activités à Liège, en particulier sur les aciers à haute valeur ajoutée. Cela, ça fonctionne, analyse Matthieu Jehl. Maintenant, comme dans n’importe quelle activité industrielle, c’est la compétitivité de l’entreprise qui assure sa pérennité. Nous ne travaillons pas à l’horizon 2019 mais sur le plus long terme, à Liège comme ailleurs. ” ” Je ne vois pas l’horizon 2019 comme une crainte, renchérit Renaud Witmeur, président du comité de direction de la Sogepa, l’outil de la Région wallonne dédicacé aux entreprises en reconversion. Bénéficier de garanties de volumes apportait un grand confort à l’entreprise mais nous ne pouvons pas demander cela structurellement à la maison mère. Les volumes, ce sont les clients qui les décrètent. A un moment donné, le site doit retrouver une compétitivité normale. Quand je vois les investissements réalisés, je suis rassuré. ”

Profils

Matthieu Jehl

• 40 ans, originaire de Strasbourg

• Ingénieur des ponts et chaussées, master en Economie

• Il a effectué toute sa carrière chez ArcelorMittal

• Vit en Belgique depuis 12 ans.

Renaud Witmeur

• 48 ans, Bruxellois

• Juriste (ULB), il a commencé sa carrière au cabinet Uyttendaele & Gerard

• Chef de cabinet de Rudy Demotte aux Affaires sociales et à la présidence du gouvernement wallon

• Président du comité de direction de la Sogepa depuis 2013

Première mondiale à Seraing

La pérennité de la sidérurgie liégeoise repose, comme pour toute l’industrie occidentale, sur sa capacité d’innovation. C’est pourquoi l’accord tripartite prévoyait 138 millions d’euros d’investissement, un objectif déjà atteint à 90 %. La moitié de cette somme a été injectée dans le projet JVD (jet vapor deposition), une technique unique de revêtement sous vide de l’acier. La première ligne de production a été inaugurée en février à Seraing. L’événement a, assure Matthieu Jehl, attiré l’attention des clients du monde entier, tant dans l’automobile que dans l’industrie générale.

Cette avancée technologique démontre certainement le savoir-faire des équipes liégeoises mais rien n’interdit à ArcelorMittal de dupliquer l’outil sur d’autres sites. ” La technologie lui appartient, confirme Renaud Witmeur. Se contenter d’une seule ligne n’a pas beaucoup de sens, surtout pour un fournisseur de la taille d’ArcelorMittal. Donc, oui, il y aura d’autres lignes de production quand la technologie sera mature. L’accord prévoit toutefois qu’une seconde ligne ne peut s’envisager que si la ligne de Liège est remplie. La seconde sera- t-elle installée à Liège ou ailleurs ? Ce sera le choix du groupe. ” Pour l’heure, la priorité d’ArcelorMittal n’est pas de réfléchir à la localisation de ces lignes futures mais plutôt de convaincre ses clients de l’intérêt de cette innovation, des bénéfices pour tous (y compris pour l’environnement) de ce ” produit de rupture ” qu’est le JVD.

Partout où nous sommes présents, nous avons une responsabilité sociétale et environnementale. Il est donc logique de s’impliquer aux côtés des autorités publiques ou des centres de recherche.” – Matthieu Jehl, CEO d’ArcelorMittal Belgique

” Je pense que, même sans le soutien des pouvoirs publics, nous aurions investi dans le JVD, estime Matthieu Jehl. L’accord tripartite a toutefois permis d’accélérer considérablement les choses. ” Comment ? Grâce à la création d’Arceo, une société de financement commune à ArcelorMittal et la Sogepa. Ce biais a permis à la Région wallonne de préfinancer – et donc d’accélérer – les 138 millions d’investissements prévus. Ces sommes sont logiquement remboursées avec un intérêt, lequel devrait gonfler les comptes 2017 de la Sogepa de quelque 4,7 millions d’euros.

Cela étant, le JVD ne sauvera pas à lui seul la sidérurgie liégeoise. ” Nous devons innover en permanence pour renouveler notre portefeuille de produits et continuer à offrir à nos clients des aciers nouveaux, des revêtements nouveaux, poursuit Matthieu Jehl. La moitié de nos produits actuels n’existaient pas il y a sept ans, vous voyez la vitesse de l’évolution. ” Dans cette optique, la proximité de l’ULg et les multiples projets de recherche du Plan Marshall sont des atouts pour l’arrimage d’ArcelorMittal en bord de Meuse. ” Parallèlement, nous devons aussi innover sur les processes industriels, ajoute le patron de l’entreprise sidérurgique. Nous travaillons sur la digitalisation, sur l’industrie 4.0. C’est l’un des leviers majeurs pour l’amélioration de nos performances industrielles dans les prochaines années. Cela va transformer la manière dont nous travaillons mais je ne pense pas que cela tuera l’emploi, comme certains le craignent. ”

Le sous-traitant qui prend son envol

La Sogepa et ArcelorMittal sont également associées 50/50 dans Arjemo, une société d’emballage et de manutention de produits sidérurgiques. ArcelorMittal souhaitait externaliser ces activités, jusque-là effectuées en interne, à l’occasion de la restructuration de 2013. La reprise par une société mixte fut le compromis trouvé alors. Ce compromis pouvait sembler boiteux à l’époque. Or, au fil des mois, il s’est révélé fructueux et son chiffre d’affaires excède largement le business plan. ” Les partenaires publics et privés, que l’on présente un peu trop souvent comme a priori opposés, se sont retrouvés sur des intérêts totalement liés, explique Renaud Witmeur. Il n’y aura d’emplois pérennes que s’il y a des entreprises performantes. ”

La culture de cette entreprise forte de 200 travailleurs a bien évolué et le défi désormais est de sortir de la dépendance envers ArcelorMittal, quasiment son client unique. ” La société est aujourd’hui rentable, précise Matthieu Jehl, mais nous devons encore développer son potentiel commercial. Le défi actuel est là. Il est trop tôt pour discuter des futurs actionnaires d’Arjemo. ”

Il est sans doute trop tôt pour crier victoire mais ces premiers mois de partenariats public-privé semblent très positifs, tant pour l’activité économique que pour l’emploi. Ils contribuent à arrimer l’entreprise en Wallonie, grâce aux relations qui se tissent (Caterpillar est ici le dramatique contre-exemple). ” Partout où nous sommes présents, nous avons une responsabilité sociétale et environnementale, explique Matthieu Jehl. Il est donc logique de s’impliquer aux côtés des autorités publiques ou des centres de recherche, comme nous le faisons avec l’Université de Gand ou le Centre de recherche en métallurgie de Liège. ”

Faudrait-il donc chercher à dupliquer ce modèle un peu partout ? ” Je ne crois pas aux règles générales, répond Renaud Witmeur. Chaque entreprise a sa réalité particulière. Nous devons avoir l’agilité nécessaire pour nous adapter aux besoins de chacun et à l’évolution dans le temps de ces besoins. Ne négligeons pas non plus le facteur humain : ça marche ici avec ArcelorMittal car de part et d’autre, on veut que ça marche. ” C’est pourquoi, sans préjuger des qualités de son successeur, le départ de Matthieu Jehl ne fait pas plaisir à tout le monde.

Arcelor Mittal en Wallonie

• AM Liège : 1.220

• Industeel Charleroi : 964

• AM Ringmill (Seraing) : 90

• Mosacier, Steel Coat et TBL : 201

• Arjemo (50 % AM) : 170

• Retrimeuse (90 % AM) : 89

330 ha en attente

Vous voulez encore un exemple de ces partenariats Sogepa-ArcelorMittal ? Voici La Foncière liégeoise. Cette société est chargée de la reconversion des sites victimes de la restructuration du groupe sidérurgique. Une partie de ces sites ont été placés ” sous cocon “, une appellation délicate pour signifier qu’ils subsistent avec une activité ultra-minimale jusqu’en 2019 (toujours cet accord tripartite) afin de préserver un vague espoir de redémarrage. ” Nous respectons l’accord et nous réfléchissons, avec La Foncière liégeoise, au destin de ces sites sous cocon, précise Matthieu Jehl. Pour l’instant, il n’y a toutefois pas de projets concrets. ” Le bourgmestre de Liège Willy Demeyer (PS) a cependant appelé, en début d’année, à une levée du cocon du site de Chertal (200 ha) en vue d’une extension du trilogiport de Liège.

Renaud Witmeur regrette cette mise sous cocon de 330 ha. ” Ces sites ne connaissent ni activité économique réelle ni politique de reconversion, dit-il. A cause de cette mise sous cocon, on ne peut pas y amener dès maintenant de nouvelles entreprises, de nouveaux types d’activités. Quand on voit tout l’enjeu sur le foncier dans le dossier Caterpillar, il est un peu dommage de rester ici en stand-by, alors que tout avait été prévu dès le début dans une logique de partenariat. ” Un partenariat presque naturel : ArcelorMittal apporte les terrains et les moyens pour leur dépollution, tandis que la Sogepa finance l’équipement des sites et les travaux nécessaires en cas de réaffectation non économique. La fusion annoncée de la Sogepa avec la Spaque (société régionale chargée notamment de l’assainissement des sols) renforce a priori la cohérence du partenariat avec ArcelorMittal sur le devenir du foncier.

L’accord tripartite stipulait aussi la création du Fonds d’investissement et de croissance industrielle, pour soutenir le développement de sociétés innovantes dans le bassin liégeois. ArcelorMittal et Meusinvest (à nouveau un partenariat public/privé) y ont placé chacun 25 millions d’euros. ” Cela répond-il vraiment à un besoin impérieux ? , interroge Renaud Witmeur. Il y a du capital-risque en Wallonie. Je ne connais pas de bons projets qui ne trouvent pas de financement auprès de l’un ou l’autre outil régional. Le besoin impérieux, c’est plutôt les moyens pour activer les projets de reconversion territoriaux. C’est là qu’il faut mettre les moyens pour réussir le redéploiement. ”

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