L’appétit pour les vélos électriques d’occasion

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le marché de la bicyclette à assistance électrique est en pleine formation. Il s’organise comme celui de la voiture d’occasion, avec une start-up comme Upway qui industrialise le processus. La demande est forte car le vélo neuf à batterie est plutôt cher.

Le marché du vélo s’est transformé avec l’électrification, il en va de même pour le marché de l’occasion. Une start up-française, Upway, a ouvert en début d’année une plateforme à Malines, pour les marchés du Benelux. Elle rachète, reconditionne et revend des vélos électriques en ligne. “Ils sont vendus jusqu’à 60% moins cher que leur prix neuf”, assure Gregory De Vroey, territory manager pour le Benelux, qui nous reçoit dans un bureau construit dans un conteneur, installé dans un hangar de 2.500 m2 où s’alignent des centaines de vélos prêts à être reconditionnés et d’autres, révisés, prêts pour livraison et emballés dans de grands cartons plats. Le bâtiment comprend un atelier et un mini studio pour photographier les vélos sur un fond blanc et sous tous les angles, afin de nourrir le catalogue en ligne.

Environ 30% moins cher

Le prix va varier selon l’âge et le kilométrage du vélo. Un rapide coup d’œil sur le site web indique plutôt un tarif 30% moins élevé pour des vélos de ville ayant peu roulé, style Kalkhoff ou Riese&Müller. Un Cube Touring Hybrid Pro de 2023 (514 km) y était vendu à 2.399 euros au lieu de 3.199 euros (-25%), un speed pedelec KTM Moto GPS+ de 2021 (8.233 km) était proposé à 2.149 euros contre 4.899 euros (-53%), tous assortis d’une garantie d’un an.

Le vélo d’occasion n’est pas une nouveauté, le marché est modeste et très local. “Les utilisateurs gar­dent facilement 10 ou 15 ans les vélos non électriques, alors que les vélos électriques sont renouvelés plus souvent”, indique Filip Rylant, porte-parole de la fédération Traxio, qui réunit les entreprises de service et de distribution automobile et de bicyclette. “Avant, on achetait un vélo à 500 ou 600 euros, c’était difficile de le revendre, dit Karl Lechat, qui dirige la chaîne de magasins de vélos Lucien (groupe D’Ieteren). Mais si on revend un vélo acheté 3.000 ou 4.000 euros, il garde de la valeur, ça vaut la peine.” Lucien travaille avec Upway pour la reprise de vélos électriques.

Cette valeur élevée des vélos électriques ouvre la voie à des modèles d’affaires nouveaux. Un vélo de ville “normal” neuf atteint vite les 4.000 euros, et les speed pedelecs, vélo ultra-rapides (45 km/h), peu­vent valoir 10.000 euros. Si certains salariés bénéficient de ces vélos à un tarif très bas, de la moitié ou du tiers du prix, grâce aux plans cafétéria, ce n’est pas le cas de tout le monde. La seconde main est alors une solution. L’occasion donne aussi accès à des types de vélos très chers neufs, comme les vélos-­cargos ou les long tail bikes.

Forte croissance du “speed pedelec” d’occasion

Le marché est demandeur. Traxio a relevé que le marché du speed pedelec de seconde main a augmenté de 23,8% en mars 2024 : 781 unités contre 581 en mars 2023. Ces données précises sont dues au fait que les speed pedelecs doivent être obligatoirement imma­triculés, ce qui est une exception pour le marché du cycle. Ce chif­fre donne une petite idée de la progression du marché général du vélo électrique d’occasion, toutes catégories confondues.

Ce produit intéresse différentes enseignes de distribution, comme Lucien (D’Ieteren), Bike Republic (Colruyt Group) ou Decathlon, qui a des rayons “seconde vie, seconde main” pour beaucoup d’articles. Les marques de vélos sont aussi intéressées indirectement. Ainsi, Stromer intègre la possibilité de reprise de vélos pour ses revendeurs via une application et un partenariat avec Upway. Cela peut aider à vendre des vélos un peu plus cher.

La chaîne Lucien a même racheté une boutique spécialisée dans la seconde main à Waterloo, en face de la maison communale, Lucien Recycle. Elle vend surtout des vélos de fin de série, ou des mar­ques que Lucien ne distribue pas habituellement, mais qui se retrou­vent dans son stock lors du rachat d’un magasin, dans le cadre du développement de l’enseigne. La chaîne propose néanmoins aux acheteurs le rachat d’un vélo électrique, s’ils en ont un, un peu comme cela se fait dans l’automobile. Mais généralement ce vélo est repris par Upway, qui va le reconditionner et le revendre sur son site web.

Le vélo doit être encore utilisable

La vente de vélos électriques d’occasion semble constituer un nouveau business à part entière, un peu comme les centres de reconditionnement des voitures d’occasion. Avec une grande surface pour stocker et reconditionner un grand nombre de vélos dans des zones stratégiques.

“Nous acceptons plus de 200 marques”, explique Philippe De Schutter, head of expansion d’Upway. Les vélos sont acceptés s’ils sont en état de rouler. L’entreprise ne reconditionne pas les vélos dont le cadre est endommagé ou le moteur en panne. Pour travailler sur les vélos, Upway bénéficie d’accords avec un grand nombre de marques. Les sources d’approvisionnement ? Les particuliers, qui proposent leur vélo via le site, les magasins comme Lucien. Et les sociétés de leasing qui, de plus en plus, proposent des vélos notamment à travers des plans cafétéria.

Pour Upway, le marché est très vaste. La start-up française, fondée par des anciens d’Uber, dispose de plusieurs bases de reconditionnement: à Paris (Gennevilliers), Malines pour le Benelux, Berlin pour l’Allemagne, New York. “Nous allons en ouvrir en Suisse, en Espagne, au Portugal, en Italie, à Los Angeles”, continue Philippe De Schutter. Et aussi aux Pays-Bas.

Le reconditionnement porte sur les pièces d’usure (freins, roulement, réglage de la tension des rayons, lubrification). La capacité de la bat­terie est mesurée. L’élément est remplacé si le niveau se situe sous les 80% de la valeur d’origine. Des griffes peuvent subsister sur le cadre, elles sont signalées à la vente avec des photos.

Revendu en ligne dans les 30 jours

“Notre objectif est de revendre le vélo dans les 30 jours, précise Philippe De Schutter. Nous ne faisons pas de trading, ne rachetons pas un stock de vélos invendus pour les vendre dans six mois, à une saison où ce type de vélo sera davantage demandé.”

En revanche, Upway va tirer parti de son implan­tation dans plusieurs pays. “Nous pouvons avoir des vélos électri­ques à assistance faible vendus en quantité en Autriche, et les revendre aux Pays-Bas où il sont très demandés. Et inversement, des moutain bikes acquis aux Pays-Bas se vendront très bien en Autriche.” Le site globalise l’offre de tous les pays.

“Notre objectif est de revendre le vélo dans les 30 jours.” – Philippe De Schutter (Upway)

L’ambition est d’arriver à plus de 2.000 vélos par mois à Malines. “Notre objectif est d’avoir une offre de 2.500 vélos sur le site, mais avec la demande, qui est forte, nous arrivons à un millier actuellement.” En 2023, Upway a vendu 20.000 vélos. La société n’indique pas de chiffre d’affaires, mais nous l’évaluons autour des 40 millions d’euros, en partant d’un prix moyen de 2.000 euros par vélo.

Toute la difficulté est de dégager une marge. Upway, qui n’est pas encore rentable, espère y arriver en industrialisant et en globalisant le processus. C’est plus compliqué que pour des voitures, dont la valeur, plus élevée, dégage plus de moyens pour le remarketing.

Prix d’achat moyen en Belgique : 3.700 euros

Les chiffres sur les vélos en Belgique sont compliqués à obtenir, car, hormis les speed pedelecs, les vélos ne font pas l’objet d’une déclaration au SPF Mobilité. La fédération du secteur, Traxio, cherche à réunir les chiffres. Elle a publié ceux des livraisons aux réseaux de ventes (voir graphique), qui marquent une baisse en 2023. Car en 2022, une relative pénurie avait poussé tout le monde à commander beaucoup de vélos. Traxio estime que le marché du vélo reste dans un schéma de croissance structurelle.
Des chiffres d’estimation sur les ventes seront collectés par GfK, à travers une enquête. Ce bureau bien connu du monde de la distribution a sorti quelques premières statistiques sur les prix de vente moyens. En Belgique, le vélo neuf moyen est payé 2.808 euros (3.700 euros pour un vélo électrique), alors qu’aux Pays-Bas, le chiffre moyen est de 1.810 euros.

Source : Traxio avril 2024. Evaluation sur la base d’une enquête avec L!NK New Mobility Consultancy.

Les promesses du marché du leasing

Pour financer une croissance rapide, Upway est parvenu à lever, fin 2023, 30 millions de dollars de fonds supplémentaires, malgré un marché difficile pour le venture capital. Parmi ses actionnaires figurent Sequoia Capital, un joueur important de la Silicon Valley qui a financé Airbnb et Apple, ou Exor Ventures (famille Agnelli).

“Nous avons démontré que nous pouvons être potentiellement rentables”, poursuit Philippe De Schutter, qui va de pays en pays pour lancer de nouveaux centres de reconditionnement. Mais la rentabilité est une affaire de volume, donc de développement de nouvelles bases de reconditionnement. La marque doit aussi être plus connue des clients potentiels. “La confiance est un élément clef. Nous nous battons sur un marché qui man­que de confiance.”

Pour trouver des vélos à vendre, Upway espère mieux s’approvisionner dans le marché du leasing. En Allemagne, ce marché est déjà considérable, avec un parc d’environ 1,5 million de vélos. En Belgique, il doit dépasser les 100.000 vélos, mais ce n’est qu’un début. “Après trois ans, en fin de contrat, ils sont supposés revenir chez les loueurs. Ceux-ci préfèrent souvent encourager l’utilisateur à racheter le vélo pour éviter d’en gérer la revente, jugée trop compliquée.” La valeur résiduelle est souvent fixée à 15%, ce qui est généralement en dessous de la valeur potentielle du vélo. Upway espère encourager les entreprises de lea­sing à faire davantage appel à elle.

Si les loueurs s’organisaient pour récupérer les vélos en fin de contrat, et les revendre, “il y aurait moyen de relever la valeur résiduelle en fin de contrat, à 30% par exemple”, affirme Karl Lechat, ce qui permettrait alors de proposer une location meilleur marché. Cela permettrait d’élargir le marché à tous les secteurs, pour un plus large public.

20.000 – Nombre de vélos reconditionnés 
vendus 
par Upway 
en 2023.

30 millions
 – En dollars, montant levé fin 2023 par la start-up Upway

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