La tech belge établit un record avec 1,428 milliard d’euros de capital levé

Les trois fondateurs de Lighthouse. © Emy Elleboog

À quelques jours de la fin de l’année, il est d’ores et déjà possible d’affirmer que 2024 a été une année exceptionnelle pour les entreprises de la tech belge. Avec près de 1,5 milliard d’euros de capital-risque levé (hors secteur biotech), le secteur établit un nouveau record, dépassant celui de 2022, après il est vrai une forte baisse en 2023. La plus grande levée de fonds a été réalisée par l’entreprise gantoise Lighthouse, spécialisée dans les technologies hôtelières.

Selon les calculs de la fédération de l’industrie technologique Agoria, qui suit depuis des années ces levées de fonds, le montant total de capital levé en 2024 atteint aujourd’hui 1 428 milliard d’euros. Ce chiffre représente quasiment le double des 738 millions d’euros collectés en 2023 et dépasse de justesse le précédent record de 1,411 milliards d’euros établi en 2022.

En effet, entre 2018 et 2022, les capitaux levés par les entreprises en croissance belges ont augmenté de manière continue, atteignant un sommet en 2022. L’année suivante, ce montant avait été réduit de moitié… Mais aujourd’hui l’écosystème belge semble avoir retrouvé un bel enthousiasme. « Ce rebond s’est fait à un rythme plus rapide que dans de nombreux autres écosystèmes européens », observe Frederik Tibau, expert en innovation digitale et croissance chez Agoria.

« Nous avons ressenti la crise économique, survenue après 2021, un peu plus tard que le reste de l’Europe, mais nous nous en sommes aussi remis plus rapidement », explique Frederik Tibau. « Cela s’explique en partie par la grande résilience de notre secteur, mais aussi par le fait que les investisseurs belges sont généralement plus prudents et privilégient les entreprises dotées de fondamentaux solides. Sur les grands marchés, comme Paris et Berlin, les valorisations des entreprises étaient souvent trop élevées avant la crise, ce qui était moins le cas en Belgique. Les Pays-Bas ont également connu une année plus difficile en matière de financement et se redressent plus lentement que nous. Ce sont surtout les petits écosystèmes, comme ceux de la Belgique, de l’Irlande et de l’Europe du Nord, qui montrent une capacité de rebond plus rapide. »

Plus de capital, moins de transactions

Quels sont les acteurs ayant contribué à cette reprise ? Agoria a établi un classement des vingt entreprises ayant marqué l’année (voir tableau).

TOP 20 des investissements en millions d’euros :

Les entreprises de biotechnologie n’ont pas été incluses dans cette analyse, car ce secteur constitue un écosystème à part entière.

« Les cessions d’actions, comme celles de team.blue pour 550 millions d’euros et d’Odoo pour 500 millions d’euros, ne figurent pas non plus dans le calcul, car elles ne concernent pas de nouveaux capitaux levés », précise Frederik Tibau. « En revanche, certains cas spécifiques ont été intégrés. Par exemple, les plateformes de colocation comme Cohabs et Coloc Housing investissent une grande partie de leurs fonds levés dans l’immobilier, mais elles restent incluses dans le classement puisqu’elles opèrent comme des marketplaces numériques. Ecostal, qui a réalisé la plus importante levée de fonds en Wallonie cette année, est à l’origine un distributeur de panneaux solaires. Cependant, son orientation vers des solutions innovantes de stockage d’énergie et d’infrastructures de recharge intelligentes justifie son inclusion. Quant à Tree Energy Solutions, spécialisé dans l’hydrogène vert via des projets technologiques de pointe, il fait partie intégrante du secteur « cleantech », qui contribue à la transition énergétique et à la protection de l’environnement. Dans ce cas également, la technologie occupe une place centrale. »

Un écosystème qui gagne en maturité

Malgré le fait que les capitaux levés ont quasi doublé en 2024, le nombre de transactions a diminué par rapport à 2023. Agoria a recensé 125 levées de fonds cette année, contre 155 en 2023 et 191 en 2022. « Cette baisse du nombre de transactions s’accompagne d’une augmentation des montants levés par opération, un signe que l’écosystème gagne en maturité. C’est une tendance que nous observons dans toute l’Europe », analyse Frederik Tibau.

En 2024, c’est Gand qui s’est imposée comme la capitale incontestée de la tech belge. Vingt-six entreprises gantoises ont levé ensemble 520 millions d’euros, soit un tiers du montant total collecté en Belgique (hors biotechnologie). « On pourrait penser que la levée record de 350 millions d’euros réalisée par Lighthouse tronque cette statistique, mais ce n’est pas le cas », affirme Frederik Tibau. « Même sans cette opération, Gand reste en tête en termes de capital levé cette année. »

La Wallonie et Bruxelles, malgré des entreprises phares comme Odoo, continuent d’afficher des performances quelque peu en retrait par rapport à la Flandre. « La Flandre représente un peu plus d’1 milliard d’euros des capitaux levés, tandis que la Wallonie et Bruxelles atteignent respectivement 190 millions et 150 millions d’euros, explique Frederik Tibau.. Ces chiffres reflètent une dynamique d’investissement plus lente, suggérant que ces écosystèmes n’ont pas encore atteint le même niveau de maturité et de résilience que celui de la Flandre. »

La Belgique n’est plus le pays de la fintech

Quels secteurs performent en 2024 ? « Tout ce qui est lié à l’énergie, la cleantech et la climate tech domine nettement, comme ailleurs en Europe », souligne Frederik Tibau. Il cite notamment les levées de fonds réalisées par Tree Energy Solutions, Ecostal, Entropia, Bnewable et MobilityPlus. Les technologies liées à l’hôtellerie (Lighthouse) et à l’immobilier (Cohabs, proptech) ont également le vent en poupe.

Cependant, une absence notable marque l’année : aucune grande levée de fonds n’a été réalisée dans le secteur fintech (technologies pour le secteur financier). « C’est particulièrement frappant, car l’Europe est considérée comme un continent fintech », observe Frederik Tibau. « La Belgique, autrefois un pilier dans ce domaine grâce à des entreprises comme Swift, Euroclear, Clear2Pay, ou plus récemment Qover, iBanfirst et Keyrock, a perdu de son influence ces dernières années. La question se pose de savoir si la Belgique pourra regagner ce rôle de leader, d’autant que plusieurs entreprises fintech belges ont été rachetées par de grands groupes étrangers. »

Parmi les acquisitions récentes figurent Dexxter et Bizzcontrol par le groupe norvégien Visma, Isabel par le Néerlandais Wolters Kluwer et Metamaze par le Britannique Duco. « D’autres entreprises belges vont-elles se faire absorber, emportant avec elles l’expertise locale ? » s’interroge Frederik Tibau.

Un fossé se creuse entre les entreprises technologiques leaders et celles qui progressent plus lentement. Ce décalage est particulièrement visible dans la transition entre les levées de fonds initiales (« seed rounds », souvent plus risquées et avec des montants souvent inférieurs à un million d’euros) et les premières grandes levées de capital.

« De nombreuses start-up rapportent que les investisseurs exigent de plus en plus souvent des revenus récurrents annuels d’au moins 500 000 euros pour accéder à une levée de fonds d’amorçage », observe Frederik Tibau. « Cela complique la tâche des jeunes entreprises pour lever des fonds, tandis que les investisseurs en capital-risque se concentrent surtout sur les start-up avec des bases solides. Par ailleurs, dans la plupart des cas, les (très) importantes levées de fonds (de l’ordre de 40 millions d’euros et plus, ndlr) ne peuvent pas encore être soutenues par des fonds belges», déplore l’expert d’Agoria.

Perspectives pour 2025

Frederik Tibau aborde l’année 2025 avec optimisme, s’appuyant sur l’analyse récente du réseau d’investisseurs Syndicate One, qui a dressé dans son rapport State of the Belgian Tech un tableau précis de l’écosystème. Bien que la tech belge n’ait pas encore atteint le niveau de maturité de certains autres écosystèmes internationaux, elle connaît une croissance rapide et montre des signes de maturité naissante. « Nous observons des levées de fonds plus importantes, des entrepreneurs expérimentés qui reviennent en tant qu’investisseurs, et une implication croissante du capital-risque international », se réjouit Tibau.

Cependant, il reste des marges de progression, notamment en ce qui concerne la disponibilité des fonds de croissance. « C’est un défi structurel à l’échelle de l’Europe, explique-t-il, où des marchés de capitaux sous-développés limitent le développement des grandes entreprises technologiques.»

Un autre facteur clé pour l’avenir est le rôle croissant des entrepreneurs en série devenus investisseurs. Parmi eux, les anciens fondateurs d’entreprises technologiques à succès telles que Henchman, Silverfin, Showpad, Netlog/Twoo et Rydoo. « Non seulement ils sont prêts à prendre davantage de risques en soutenant de jeunes entreprises, mais ils apportent également leur expertise et leurs réseaux », précise Tibau.

Des fonds d’investissement et des start-up studio comme Pitchdrive, Syndicate One, Entourage, StarApps et Welovefounders illustrent selon lui ce qui est possible lorsque l’expérience et le capital se rejoignent. « Le résultat ? Des écosystèmes comme celui de Gand connaissent un véritable essor, avec l’incubateur pour start-up  Wintercircus comme cerise sur le gâteau », conclut l’expert d’Agoria.

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