La guerre des petits prix fait rage sur les vols lointains

DE NOUVELLES COMPAGNIES LOW COST opérant des longs-courriers débarquent sur le marché. Norwegian, l'un des leaders en la matière, pourrait arriver l'an prochain en Belgique. © BELGA IMAGE

L’arrivée de compagnies low cost dans le marché long-courrier est laborieuse. Celles qui tentent l’aventure, comme Wow ou Norwegian, affrontent la concurrence très agressive des compagnies installées.

Bruxelles-New York à 10 euros ? Voici 10 ans, le CEO de Ryanair, Michael O’Leary, l’avait promis, mais il a finalement abandonné son projet de se lancer dans le low cost long-courrier. Il a préféré prudemment continuer la croissance en Europe, où le marché des low cost continue à grandir, et représente 30 à 40% du marché total.

Depuis la Belgique, il n’y a guère que la compagnie islandaise Wow qui suit le modèle du low cost long-courrier, avec des vols de Bruxelles vers les Etats-Unis, via sa base de Reykjavik. Londres et Paris ont plus de chance, ces destinations voient arriver de nouvelles compagnies à bas coût, dont le numéro un est le groupe Norwegian. Celui-ci pourrait arriver l’an prochain, à Bruxelles ou Charleroi.

Bruxelles-New York à 300 euros

” L’arrivée de ces nouveaux joueurs est freinée par les compagnies régulières existantes, qui proposent des tarifs plutôt modérés “, indique Frank Bosteels, product and pricing manager de l’agence de voyage Connections, spécialiste des Etats-Unis. ” Vous pouvez parfois trouver des allers-retours sur New York autour des 300 euros, cela décourage l’ardeur des nouveaux joueurs “, ajoute-t-il. Les tarifs low cost se multiplient partout.

Un petit tour sur les sites de réservation confirme le propos. Au départ de Bruxelles, Delta ou Brussels Airlines affichent des tarifs très compétitifs. Un Bruxelles-New York peut descendre à 331 euros (Delta) en janvier, aller-retour non-stop, alors que Wow, officiellement low cost, facture 392 euros. Brussels Airlines est un peu moins chère (385,99 euros), et United propose un tarif voisin. Même lors des congés de Pâques, en saison plus haute, les compagnies établies restent intéressantes ( voir le tableau ” A partir de 257 euros pour l’A/R Bruxelles-New York ” plus bas).

Ces tarifs sont d’autant plus agressifs qu’ils incluent une part importante de frais extérieurs (taxes, redevances diverses). Ainsi l’aller-retour Bruxelles-New York avec Delta englobe 86,07 euros de taxes et droits divers, la recette de la compagnie est donc de 245 euros.

Plusieurs raisons expliquent la bonne résistance des compagnies régulières historiques. La première est qu’elles ont été promptes à proposer des options similaires aux low cost – comme un tarif très bas sans bagage en soute -, devenant ainsi des compagnies hybrides.

La guerre des petits prix fait rage sur les vols lointains

Brussels Airlines : 30% de passagers sans bagage en soute

Ainsi, Brussels Airlines a instauré en juin dernier, sur les vols nord-américains, un tarif “Economy Light 0 bag”, sans bagage en soute, avec deux sacs de cabine de 12 kg maximum (au total). Delta a suivi la même voie. ” Cette nouvelle catégorie représente déjà 30% de nos ventes transatlantiques “, indique Wencke Lemmes, porte-parole de Brussels Airlines. Repas et boissons restent compris dans le prix, ce qui n’est pas le cas chez Norwegian ou Wow pour les tarifs d’attaque. Ces deux dernières compagnies poussent plus loin le dépouillement du premier prix. Le tarif Wow “Basic” inclut un seul bagage à main, un petit (42x32x25cm) de maximum 10 kg, pas de repas. Avec l’espoir que les voyageurs craqueront pour un sandwich à 9,44 euros ou un bagage en soute à 55 euros.

La chute de Primera Air, les soucis de Wow

En octobre dernier, Primera Air a déposé son bilan, alors que cette compagnie danoise avait annoncé lancer un vol Bruxelles-New York en 2019. La compagnie Wow devait être rachetée par son concurrent, Icelandair, mais ce dernier a brutalement renoncé, jetant une certaine suspicion sur la santé réelle de la compagnie low cost. Wow a annoncé la vente de quatre avions et reconnu avoir plus de mal à se financer à long terme. Cette société née voici sept ans est encore en perte. Un fonds américain (Indigo Partners) pourrait y entrer.

Créer une compagnie low cost au départ d’un transporteur existant est une opération périlleuse sur le plan social.

Même la compagnie de référence dans le low cost long-courrier, Norwegian, donne des signes de faiblesse. Ce transporteur en forte croissance se développe entre l’Europe et l’Amérique, et l’Europe et l’Asie. Il a notamment ouvert des vols entre Londres, Paris, Barcelone, Amsterdam, Milan et l’Amérique du Nord et multiplie les vols à mesure qu’il se fait livrer de nouveaux avions. Au point d’être devenue à New York la compagnie non américaine la plus importante, devant les géants européens British Airways ou Lufthansa.

Norwegian recourt à des avions modernes consommant peu, à savoir des Boeing 787. Sa flotte totale est passée de 40 à 159 avions entre 2008 et aujourd’hui, dont 31 Boeing 787. La compagnie a affiché des pertes en 2017. Lourdement endettée, Norwegian a revendu cet automne cinq Airbus A320 pour rassurer les marchés. Elle n’a pas cédé aux sirènes d’IAG (British Airways) et de Lufthansa, qui ont tous deux manifesté leur intérêt pour racheter Norwegian. IAG avait même acquis 4,6% de Norwegian. Cette dernière estime avoir atteint la masse critique suffisante pour survivre aux turbulences du marché.

La guerre des petits prix fait rage sur les vols lointains

Un modèle plus compliqué en long-courrier

La transposition des atouts des low cost vers le long-courrier n’est pas si simple qu’il y paraît. L’atout clé, à savoir une plus grande utilisation quotidienne des avions, est difficile à réaliser. Un Boeing 737 de Ryanair fait jusqu’à quatre allers-retours par jour en ne restant qu’une demi-heure au sol à chaque escale. Il s’agit-là d’une productivité exceptionnelle qui s’avère quasi impossible sur un Bruxelles-New York. L’avion ne pouvant guère faire plus qu’un aller-retour en 24 heures.

Lorsque Michael O’Leary parlait de son projet de se lancer dans le long-courrier, il précisait aussi qu’il était plus difficile d’obtenir les conditions d’achat attractives qu’il reçoit pour les moyens-courriers commandés par centaines d’exemplaires.

Les gains ne peuvent jouer que sur le coût du personnel et les recettes ” ancillaires ” (bagage en soute, repas à bord, choix du siège). Le low cost le plus résolu, Norwegian, a misé sur des commandes massives, notamment de Boeing 787, appareil économique en carburant, pour jouer sur la taille. Ces avions consomment 2,27 litres par siège et par km sur l’Atlantique Nord contre une moyenne d’un plus de 3,2 litres sur le même trajet pour toutes les compagnies. A l’arrivée, Norwegian estime ainsi bénéficier d’un coût par siège et par km 45% plus bas que ceux d’Eurowings, dont fait partie Brussels Airlines, qui joue la carte ” semi low cost “.

Un péril mortel

Les grands groupes aériens comme Lufthansa, IAG (British Airways) ou Air France KLM sont conscients qu’une percée des low cost sur le long-courrier pourrait leur être très dommageable. Ce marché est, pour eux, la principale, si pas l’unique, source de bénéfices. Ils se défendent de manière très agressive, avec des tarifs de plus en plus rabotés, compensés par les recettes des business class. Ils rendent ainsi la vie difficile aux start-up à bas coût, d’autant plus que le prix du baril a plutôt augmenté ces derniers mois.

L’autre parade des opérateurs historiques consiste à développer ou racheter des compagnies low cost. IAG (British Airways), qui voulait s’offrir Norwegian, a lancé une compagnie appelée Level, basée à Barcelone, aussi active à Paris. L’Espagne est aussi la base de Vueling, un low cost européen racheté par IAG. Air France a aussi lancé son long-courrier à bas coût, Joon. Lufthansa suit une stratégie similaire en développant Eurowings, une filiale à coût plus réduit. Elle est le fruit de l’intégration de plusieurs compagnies, dont une partie d’Air Berlin, une compagnie low cost allemande qui s’est effondrée, active en long- et moyen-courrier. Rachetée à 100% par le groupe Lufthansa, Brussels Airlines est en cours d’intégration au sein d’Eurowings, où elle conserve provisoirement son nom et constitue le pôle de compétence long-courrier, avec ses vols au départ de Bruxelles sous la marque Brussels Airlines, et de Düsseldorf, sous le nom d’Eurowings.

PRIMERA AIR. La compagnie danoise a déposé son bilan en octobre, alors qu'elle avait annoncé un vol Bruxelles-New York pour 2019.
PRIMERA AIR. La compagnie danoise a déposé son bilan en octobre, alors qu’elle avait annoncé un vol Bruxelles-New York pour 2019.© BELGA IMAGE

Créer une filiale à petit prix

Créer une compagnie low cost au départ d’un transporteur existant est une opération périlleuse sur le plan social. Les syndicats de ces entités acceptent mal la création de filiales aux conditions salariales réduites. Le groupe Lufthansa a essuyé des grèves et Eurowings est actuellement en pertes. Air France a rencontré les mêmes soucis. Plus malin, IAG préfère l’acquisition. Le groupe avait ainsi racheté un low cost européen, Vueling, basé à Barcelone. Il n’est pas parvenu à ses fins avec Norwegian, mais a pris soin de créer une filiale low cost long-courrier à Barcelone, loin de Londres et de British Airways, la compagnie principale du groupe, qui compte aussi Iberia et Aer Lingus.

Les low cost ont toutefois un nouvel atout, l’arrivée des avions longs-courriers de nouvelle génération, plus petits, dérivés des moyens-courriers (Boeing 737 ou Airbus A321). Ceux-là permettent d’ouvrir des lignes avec moins de passagers, desservant des villes secondaires. Un long-courrier classique transporte 290 à plus de 400 personnes. Les nouveaux ” petits ” longs-courriers vont de 172 à 200 places. Norwegian et Wow ont misé sur cette évolution pour ouvrir des lignes peu ou pas desservies. Là aussi, les compagnies régulières historiques pourraient suivre, mais les low cost les précèdent. En commandant des dizaines de ” petits ” longs-courriers, Norwegian espère avoir une longueur d’avance avec un nombre important d’avions.

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