La douceur des meilleurs: ces vendeurs qui engagent sans contraindre le client

"Dans un monde de plus en plus tenté par la brutalité, la tendresse et la patience ont encore un bel avenir." © Getty Images

Loin des clichés douteux du vendeur arrogant, beau parleur et imbu, je constate que les meilleurs commerciaux sont souvent ceux qui adoptent une attitude sympathique, simple, souple et engagent en douceur le client dans son parcours d’achat.

À analyser de plus près leurs comportements et les effets qu’ils produisent chez leurs interlocuteurs, j’ai pu observer qu’une position basse, en posture de service, rehaussée d’une touche d’humour et d’un brin de maladresse, gage d’authenticité, amène bien plus de résultats et de fidélisation que les attitudes agressives, rigides et autoritaires qu’on nous donne parfois en modèle chez certains auteurs ou sur les réseaux.

Ce n’est pas tant que les clients apprécient particulièrement les vendeurs plus tendres, mais que la confiance repose aussi, en partie, sur une impression de maîtrise, de contrôle. Plus un client a le sentiment que le fil de la vente, ou de son propre engagement lui échappe, plus il aura tendance à se méfier et à vouloir reprendre la main sur la transaction.
À l’inverse, en lui laissant subtilement une sorte d’avantage dans la relation, le commercial adroit et bienveillant peut guider, avec beaucoup moins de résistance et bien plus d’engagement, le client dans son parcours d’achat.

Ce mécanisme psychologique est bien documenté. Les travaux sur le Locus de Contrôle (Rotter, 1966) et la théorie de l’autodétermination (Deci & Ryan, 1985) confirment que les individus sont plus enclins à coopérer, décider et s’engager quand ils se sentent acteurs de leur choix plutôt qu’influencés.

Comment ces vendeurs s’y prennent-ils concrètement ? Quels gestes, phrases et réflexes traduisent cette posture délicate ? Voici quelques-unes des approches qu’ils utilisent.

Je vais vous raconter…

Régulièrement, ils commencent par partager une histoire personnelle. Ce récit, qu’il soit anodin, intime ou amusant, casse la distance, baisse les défenses, et humanise l’échange. Il peut s’agir d’une difficulté surmontée, d’un moment de doute, d’un détail vécu et sincère, raconté sans effet de manche.

Ce moment, bien amené, ouvre un espace relationnel différent, dans lequel le client se sent autorisé, lui aussi, à faire tomber le masque, à s’exprimer au-delà de la retenue protocolaire. Le rapport s’inverse en douceur : on ne s’adresse plus à un rôle, à une fonction, mais à quelqu’un.

Les recherches sur le self-disclosure en attestent : ce type de dévoilement personnel, lorsqu’il est authentique, active la réciprocité, renforce la confiance et favorise la coopération (Jourard, The Transparent Self, 1971).

Non peut-être ?

Ils temporisent dès le départ. Pas de pitch d’entrée engageant et fracassant, pas d’enthousiasme suspect. Juste une phrase simple, presque prudente : “Je ne suis pas encore tout à fait certain que notre solution soit faite pour vous, c’est justement ce qu’on va voir ensemble” ou “Je ne vous ferai une proposition que si je suis convaincu que cela vous correspond vraiment”, ou encore “Je suis tout à fait à l’aise avec l’idée que vous ne preniez pas de décision aujourd’hui”.

Ce genre de déclaration tranche avec les schémas attendus. Elle réduit d’emblée la pression perçue par le client. Elle active un mécanisme bien connu en psychologie sociale : l’effet de réactance (Brehm, 1966). Lorsqu’on sent qu’un choix risque de nous échapper, l’envie de le revendiquer s’intensifie. En laissant entendre que l’offre n’est peut-être pas pour lui, le vendeur ravive paradoxalement l’attention, l’intérêt, parfois même le désir. Un bon vendeur n’essaie pas de convaincre à tout prix. Il propose d’examiner ensemble s’il y a, ou non, un terrain commun. Et cette forme de retenue, loin d’amoindrir l’impact commercial, le renforce.

Vous permettez, monsieur ?

Ils utilisent, souvent sans le savoir, ce que les Anglo-Saxons appellent le permission-based selling.

À chaque étape un peu délicate, ils demandent l’autorisation. Pas pour se justifier, mais pour impliquer. “Est-ce que vous me permettez de vous faire une suggestion ?” “M’autorisez-vous à vous poser une question un peu gênante ?” “Puis-je être franc avec vous ?”

Ces formules, simples et directes, préparent le terrain. Elles signalent qu’un point potentiellement sensible va être abordé, sans brutalité. Subtilement, elles restaurent un équilibre : le client garde la main. Il peut dire oui, ou pas. C’est précisément cette marge de manœuvre qui crée l’adhésion et le client acquiesce dans l’absolue majorité des cas. La recherche en psychologie comportementale le prouve : plus une personne sent qu’elle est libre de refuser, plus elle se montre réceptive.

Plus une personne sent qu’elle est libre de refuser, plus elle se montre réceptive.

L’étude fondatrice de Guéguen et Pascual (2002) a démontré que la simple formule “vous êtes libre de…” multipliait les taux d’acceptation en désamorçant les mécanismes de défense. Dans la vente, demander la permission fluidifie la relation, facilite le questionnement et permet d’aborder courageusement des sujets que d’autres évitent : les objections tacites, les points de tension, les vrais enjeux. Et ce, toujours sans forcer.

L’art de la chute

Certains savent se permettre une petite maladresse. Un mot de travers, un lapsus, un détail qui échappe au contrôle, un stylo qui chute, une présentation qui tarde à démarrer. Ce genre d’instant, quand il survient naturellement, crée un léger relâchement du cadre. La tension tombe, le client se détend, l’échange devient plus vrai. C’est l’effet Pratfall, mis en évidence par Elliot Aronson en 1966. Lorsqu’une personne jugée compétente laisse apparaître une faille mineure, elle devient plus sympathique, plus crédible, plus proche. Non pas parce qu’elle choit, mais parce qu’elle n’essaie pas de tout contrôler.

D’autres ajoutent un brin d’humour discret, jamais dirigé contre l’autre, mais plutôt dans le registre de l’autocritique amusante. Une remarque sur l’absurdité de certaines expressions commerciales, une pique personnelle sur son addiction aux post-it, ou un clin d’œil sur un fond d’écran désuet. C’est un réflexe relationnel qui fonctionne. Des études ont montré que l’humour bienveillant augmente la confiance perçue (Leigh & Rethans, 1984), améliore la mémorisation des arguments (Hackley, 2003), et favorise les suites commerciales (Romero & Cruthirds, 2006).

Faire baisser la vigilance

Ne vous y trompez pas, tout drôles, prévenants, polis et maladroits qu’ils soient, ces vendeurs sont d’une redoutable efficience. Tout chez eux contribue à faire baisser le niveau général de vigilance de leurs clients pour les amener à s’engager graduellement, en toute confiance. Et la qualité de relation qu’ils installent avec leurs interlocuteurs leur permettent d’être plus confrontants, plus assertifs et plus fermes à certaines étapes clés du processus de vente et de pouvoir obtenir des accords là ou d’autres se seraient fait simplement rejeter. Ils possèdent l’art de ne jamais rien forcer, ce qui leur permet souvent de tout obtenir.

Lao Tseu écrivait il y a 25 siècles déjà que la douceur triomphe de la dureté. Au vu de l’actualité, il est important de se rappeler que, dans un monde de plus en plus tenté par la brutalité, la tendresse et la patience ont encore un bel avenir.

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