La consultation sociale se passera-t-elle désormais au tribunal ? Les syndicats sentent que leur pouvoir faiblit
Il est de moins en moins rare qu’un conflit social soit porté devant les tribunaux. On l’a encore vu cette semaine avec Decathlon. Ce durcissement du climat social est dû à une concurrence accrue sur le marché, estime l’avocat spécialisé Herman Craeninckx. Pour lui le dialogue social doit être adapté à la nouvelle réalité économique.
Les syndicats de la chaîne de magasins de sport Decathlon ont saisi le tribunal du travail, estimant que la direction ne respectait pas les règles de concertation sociale. Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Les conflits entre employés et employeurs semblent se régler de plus en plus souvent devant les tribunaux. “Cela a aussi été le cas pour Delhaize, ING et AXA”, explique l’avocat d’affaires Herman Craeninckx, spécialiste du droit du travail et de la concertation sociale au bureau Strelia. “En soi, ce n’est pas inhabituel. Le droit pénal social prévoit des sanctions en cas d’infraction à la législation sur les relations de travail. Le cadre juridique existe donc. A ceci près que les syndicats y ont davantage recours qu’auparavant.”
Comment cela se fait-il ?
“une concurrence accrue met de nombreuses entreprises au pied du mur, ce qui les oblige à prendre des mesures plus radicales pour survivre. Il y a vingt ans, je voyais encore des plans sociaux où l’employeur versait des indemnités de licenciement deux fois supérieures à celles prévues par la loi. Cette époque est révolue. Cela frustre les syndicats. Ils sentent que leur pouvoir s’affaiblit et se tournent vers une autre arme : les tribunaux du travail ou les tribunaux correctionnels, espérant y trouver un soutien. Sauf que des entreprises comme Decathlon, Delhaize, ING ou AXA ne décident pas cela dans la précipitation. Leur direction doit rendre des comptes aux actionnaires. Elle ne peut pas se permettre d’enfreindre la législation sociale.”
Delhaize est-il également resté dans les limites de la légalité en franchisant ses magasins ?
«Que l’on aime ou non le fait de franchiser des magasins, il n’y avait rien d’illégal là-dedans. C’est précisément cela qui a frustré les syndicats. Par cette opération, Delhaize voulait éviter les licenciements collectifs. Les syndicats voulaient un plan social, mais Delhaize n’y était pas obligé. Les syndicats ne devaient pas se sentir mis à l’écart. Au contraire même puisqu’un licenciement collectif a été évité, avec une garantie des conditions salariales existantes.
Si l’on en croit les bruits de couloirs chez Decathlon, cette entreprise a effectivement fait preuve de brutalité. Par exemple, en coupant les microphones lors des sessions numériques du conseil d’entreprise.
“Je ne conseille pas Decathlon, je ne connais donc pas les détails de l’affaire. Mais, quoi qu’il en soit, il est parfaitement légal d’organiser des conseils d’entreprise via Zoom ou Teams. La direction a-t-elle effectivement coupé les microphones des employés critiques ? Si c’est le cas, c’est aller un pont trop loin. D’un autre côté, lors d’un tel conseil d’entreprise, la direction devrait toujours laisser l’église au milieu du village. J’ai connu des comités d’entreprise où les questions n’arrêtaient pas de fuser. À un moment donné, la direction doit avoir le courage de dire : ‘Nous pensons avoir reçu suffisamment d’informations'”.
LES SYNDICATS MÈNENT DÉSORMAIS DES COMBATS D’ARRIÈRE-GARDE SUR LE PLAN JURIDIQUE
Herman Craeninckx
Est-ce que je dois comprendre que les syndicats ont peu de chances dans l’affaire Décathlon ?
“A en juger par les médias, je ne pense pas que cette affaire ait un bel avenir judiciaire. Sauf si les syndicats parviennent à prouver que les micros ont été systématiquement coupés pour boycotter les travailleurs critiques. Pour pouvoir peser dans une telle affaire, il faut être en mesure de prouver qu’il y a eu des violations réelles des lois sociales. J’ai également lu que les syndicats pensent que Decathlon ne respecterait pas la loi Renault sur les procédures de consultation en cas de licenciement collectif. Mais à mon avis, il n’y a tout simplement pas de licenciement collectif ici”.
Pour échapper à la loi Renault, les entreprises peuvent étaler une vague de licenciements sur une période supérieure à 60 jours. C’est pourquoi le ministre fédéral du Travail, Pierre-Yves Dermagne, souhaite étendre cette période à 120 jours. Qu’en pensez-vous ?
“Cela ne changera pas grand-chose. Les entreprises qui veulent éviter la loi Renault vont simplement étaler les licenciements sur une période plus longue que 120 jours. Le problème de la loi Renault réside principalement dans la première phase de la procédure : le cycle d’information et de consultation. Cette phase n’est pas limitée dans le temps. Cela conduit à des abus de la part des syndicats, qui prolongent parfois cette phase pendant des mois. La loi Renault a 25 ans et doit être révisée en profondeur. Nous ne sommes plus en 1998. Je n’ai pas besoin de vous expliquer que depuis lors, la situation socio-économique a complètement changé, tant au niveau national qu’international”.
Le problème fondamental ne réside-t-il pas dans le déclin du pouvoir des syndicats ?
“La distribution a été pendant très longtemps l’un des bastions des syndicats. Mais la concurrence acharnée dans le secteur a affaibli leur force de frappe. Je n’ai rien contre les syndicats. Ils sont nécessaires. Chaque travailleur a le droit d’être représenté. Mais les syndicats ne s’adaptent pas l’époque qui évolue rapidement. Il suffit de penser à la numérisation et à l’intelligence artificielle. Les syndicats mènent aujourd’hui des combats juridiques d’arrière-garde qu’ils savent qu’ils ne gagneront pas. Je leur demande de changer de tactique et de penser à des solutions avec les entreprises. Pourquoi ne pas travailler sur des systèmes où les bénéfices des entreprises sont partagés avec les employés et les autres parties prenantes ? Il est effectivement temps d’avoir un débat de fond, mais il ne faut pas se tromper de sujet. Les discussions sur l’extinction des micros ne nous mèneront pas très loin.
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