La chronique du Dr Sales : Le mur du “non”

Comme la mort fait partie de la vie, le "non" fait partie de la vente. © Getty Images

Qu’il ait été prononcé juste avant d’avoir claqué la porte, coupé la conversation téléphonique ou aimablement reconduit son interlocuteur jusqu’aux portes de l’ascenseur, tout commercial redoute d’entendre ce petit mot si lourd de sens : “non”.

Rien d’étonnant : le refus, et le rejet qu’il suppose, est difficile à intégrer pour nos cerveaux humains. Les études en imagerie cérébrale révèlent que le rejet y active les mêmes voies neurologiques que celles qui s’illuminent lorsque nous ressentons une douleur physique.

Cette réaction violente est le corollaire d’un mécanisme de survie adaptatif, hérité de notre passé de chasseurs-cueilleurs. Pendant des dizaines de millénaires, un sapiens rejeté par son groupe social se voyait quasiment condamné à mort. Ce mot minuscule est donc particulièrement riche en émotions et en conséquences sur les relations commerciales. Il mérite que l’on s’y intéresse de plus près.

Ce “non” qu’on évite

La peur primale du “non” a pour première conséquence délétère d’amener de nombreux vendeurs et commerciaux à ne pas poser le prix ou les conditions d’engagement sur la table, procrastinant ainsi la conclusion de vente pour éviter la confrontation. Un client qui finit par lentement disparaître sous une avalanche de relances par mail semble moins douloureux à notre encéphale que celui qui nous rejetterait de but en blanc.

Cette peur anticipée nous conduit donc à des comportements de sabotage passif qui, au final, nous font perdre la vente avant même de l’avoir tentée. Le vendeur oublie souvent qu’à défaut de proposer, la seule réponse qu’il possède déjà, c’est justement le “non”.

L’éducation du “non”

C’est là tout le paradoxe du “non”. Nous avons été éduqués à refuser ce que nous trouvons abusif, préparés à dire “non” à de mauvaises actions, à la tentation sociale, à la pression du groupe Nous avons appris que le “non” nous protégeait et nous permettait d’être respectés. Encore aujourd’hui, “savoir dire non” est un pilier de l’assertivité, essentiel pour se préserver.

On nous a également appris à accepter le “non” des autres, à faire s’exprimer l’accord et à respecter le refus, quitte à considérer qu’une absence de réponse ne constitue pas, en soi, un consentement.

Parallèlement, réalisons que le client lui-même n’aime pas nous dire “non” ! Il peut craindre de nous froisser, d’endommager la relation ou simplement, il peut vouloir éviter l’inconfort de la confrontation. Cette réticence peut alors le pousser à procrastiner un refus clair, en laissant traîner d’hypothétiques espoirs, espérant que nous finirons par comprendre que son silence est un “non” qui se tait.

Faut-il s’en tenir au “non” ? Oui… et non

J’ai toujours méprisé l’adage simpliste et dangereux qui affirme que “la vente commence par un non”. Cette croyance légitime des comportements agressifs et souvent contre-productifs. Un refus se respecte. Puis on peut tenter de le valider ou de le comprendre, mais jamais de le forcer.

Accueillez le refus ! Les résultats seront meilleurs en répondant : “Ok, je respecte totalement votre choix”, plutôt qu’en vous braquant et en exigeant une justification suivie d’une contre-argumentation fielleuse ! Remerciez votre interlocuteur pour son temps et laissez la porte ouverte pour l’avenir. Cela en dira long sur votre caractère.

Apprenez également à valider le “non” en vous assurant que vous l’interprétez correctement. Demandez s’il est irrévocable. En cas de doute, mettez-le vous-même en mots. Prononcez son “non” quand la situation le requiert : “C’est ‘non’, si je vous ai bien compris ?”.

Comprendre le “non”

Sans l’amener à se justifier, comprenez à quoi, ou à qui s’adresse le “non” de votre client. Est-il circonstanciel ? Un “Non, pas maintenant”, qui permettrait de retenter votre chance un peu plus tard, en respectant le tempo du client ? Ce “non” est-il personnel ? Un “Non, pas vous”, auquel cas une remise en question sur votre offre, votre attitude, vos méthodes ou même vos valeurs pourrait être salutaire ? S’agit-il d’un “Non, pas moi”, une erreur de casting, vous signalant que vous avez mal qualifié votre interlocuteur, vous obligeant à chercher un meilleur contact décisionnel.

Osez interroger votre client afin de connaître le destinataire réel de son “non” : Lui ? Vous ? Et si c’est toujours “non”, tenez-le-vous pour dit ! Campez sur le respect, restez sur la sympathie. Si la transaction finit en “non”, préservez la relation autant que possible : elle pourrait vous servir plus tard.

Désirer le “non” ?

Certains auteurs américains spécialisés en vente font parfois cette déclaration d’amour au “non” : “No is my second favorite answer“. Évidemment, toute notre profession veut entendre un “oui”, et recherche toujours l’engagement qui transforme l’offre en business sonnant et trébuchant ! Mais le “non” a des vertus insoupçonnées ! Il permet de mettre un terme clair au travail, et évite de se perdre dans des conjectures, des suppositions, des relances sordides, du ghosting chronophage et éreintant. Avec cette balise, on sait au moins à quoi s’en tenir, et réallouer l’effort commercial sur d’autres fronts ! Il soulage et permet d’avancer.

De même, faites du refus potentiel un sujet ouvert avec votre client ! Dites à votre client qu’il peut toujours dire “non” et que vous respecterez toujours son choix. Obtenez de lui un accord sur le fait que vous avancerez ensemble vers une décision, positive ou négative, et que vous vous épargnerez les affres d’une indécision.

Compter les “non”

Il y a des “non” qui comptent parce qu’on les compte. Le “No Ratio” est un indicateur commercial bien connu des forces de vente les plus aguerries. Il traduit le nombre moyen de refus à essuyer avant de tomber sur un client qui marque son accord. Dans cette conception, chaque “non” est un cran qui rapproche inévitablement d’un “oui” ! Les plus motivés vont même jusqu’à en faire un objectif prioritaire !

Un commercial qui aurait comme objectif quotidien d’obtenir dix “non” plutôt que deux “oui” par jour ne s’arrêterait pas si, par chance, il engrangeait tôt ses deux succès, générant ainsi beaucoup plus d’affaires et beaucoup plus d’opportunités. Ceux-là savent qu’il faut viser l’effort, pas seulement le résultat !

Le “non” du vendeur

N’oubliez jamais que le client n’a pas le monopole du “non”. Le commercial aussi a le droit, et parfois le devoir, de l’utiliser, pour fixer ses limites en négociation comme éviter d’investir trop de temps sur des leads peu qualifiés et énergivores. Il peut aussi s’en servir stratégiquement pour provoquer un sursaut de désir et d’action chez son client puisque, selon le principe de réactance, ce qui nous est refusé suscite beaucoup plus d’envie et d’intérêt que ce qui nous est acquis. Le “non” appartient à tous !

Comme la mort fait partie de la vie, le “non” fait partie de la vente. L’admettre et s’y préparer est indispensable si vous souhaitez une belle et longue carrière commerciale. Car si le “oui” fait avancer la vente, le “non” fait avancer le vendeur.

Un refus se respecte. Puis on peut tenter de le valider ou de le comprendre, mais jamais de le forcer.

Retrouvez la chronique de Laurent De Smet, alias Dr Sales, spécialiste dans l’expérience commerciale, managériale et marketing B to B, tous les deuxièmes jeudis du mois dans Trends-Tendances.

Suivez Trends-Tendances sur Facebook, Instagram, LinkedIn et Bluesky pour rester informé(e) des dernières tendances économiques, financières et entrepreneuriales.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire