Jean-Paul Van Avermaet (bpost): “La crise sanitaire, une période passionnante”

© Karel Duerinckx

Souvent, les CEO aiment consacrer les 100 premiers jours qui suivent leur entrée en fonction à tâter le terrain et à se familiariser avec leur nouvel environnement. Même à cette habitude, la crise sanitaire a apporté du changement. Comment Jean-Paul Van Avermaet, fraîchement nommé à la tête de bpost, a-t-il vécu son intégration ?

Jean-Paul Van Avermaet a officiellement pris les rênes de bpost à la fin du mois de février. A cette époque, l’entreprise de droit public ne voyait pas spécialement la vie en rose. Après une reprise américaine chèrement payée et plusieurs changements à sa tête, elle lançait un sérieux défi à Jean-Paul Van Avermaet.

A peine quelques jours plus tard, les premières mesures de lutte contre le Covid-19 ont été annoncées. La mise au courant s’est donc apparentée à un baptême du feu. ” En fait, j’ai adoré, nous avoue l’homme. Pic d’adrénaline et prise de décisions extrêmement rapide : la période a été passionnante. Une crise comme celle-là, c’est, pour une direction, une activité de team building gratuite. ”

TRENDS-TENDANCES. Reste que vous vous étiez sans doute imaginé vos 100 premiers jours autrement ?

JEAN-PAUL VAN AVERMAET. Il a im- médiatement fallu se retrousser les manches et foncer. Heureusement, j’avais déjà, avant mon entrée en fonction officielle, rendu toute une série de visites. Je voulais profiter de cette phase préparatoire pour apprendre à connaître l’entreprise de l’intérieur. Le 13 mars, lorsque les premières mesures ont été annoncées, les trois quarts des rencontres planifiées environ avaient eu lieu. Je m’étais également rendu aux Etats-Unis, j’avais transporté du courrier et passé du temps dans les centres de tri. Tout cela m’a permis de récolter une masse énorme d’informations qui ont aidé à la prise de décisions pendant le confinement.

Le traitement des flux de colis n’a posé de problèmes que pendant une semaine.

Nous avons très vite basculé en mode crise. Ce dont, a posteriori, j’ai tout lieu de me réjouir. Nous avons organisé une réunion quotidienne d’une durée d’une heure avec le comité de direction, plusieurs fonctions opérationnelles clés et les responsables de la prévention et de la communication. Cette organisation, mise en place quelques jours avant le confinement, a pris fin il y a deux semaines environ. Le nombre de réunions est alors tombé à trois par semaine, et à deux depuis juin.

Toutes nos décisions ont été prises en tenant compte de cinq priorités, dont la toute première était la santé du personnel et des clients. La deuxième était la solidarité, en interne, mais aussi avec la société et avec la clientèle. Nous voulions, troisièmement, rester aussi opérationnels que possible et continuer à assurer le service. Les répercussions de la pandémie sur la situation financière de bpost n’occupaient que la quatrième place. Nous n’avons effectué aucune dépense qui n’était pas réellement nécessaire. Enfin, toute décision se voulait sociétale et empreinte de civisme. Nous avions, par exemple, constaté que les magazines et les journaux remportaient un succès croissant : nous avons continué à les distribuer comme avant.

Vous êtes allé prendre le pouls du terrain. Cela a-t-il suffi à peser sur les décisions du comité de direction pendant cette période ?

Les visites effectuées sur le terrain à partir du mois de janvier ont sans conteste été utiles. Quant à savoir si elles ont suffi, c’est une question qu’il faut poser au comité de direction. J’ai plusieurs fois entendu parler de ma capacité à m’approprier le sujet mais de toute façon, cette gestion de crise a relevé d’un véritable travail d’équipe.

Toute la direction s’est-elle réunie physiquement chaque jour ?

La moitié de l’équipe était connectée, l’autre était physiquement présente. Mais compte tenu, toujours, des distances obligatoires : les chaises de la salle de réunion n’entourent plus toutes la table et une partie d’entre elles sont désormais installées le long des murs. Nous avons également modifié l’aménagement des bureaux pour tenir compte des mètres carrés nécessaires par personne.

Je suis venu chaque jour au bureau. Cela me paraissait important. Il est difficile de demander aux gens de rester à leur poste tout en donnant des instructions depuis son domicile exclusivement. Moi, en tout cas, je trouve cela compliqué à admettre.

Le confinement a accéléré l’activité colis. Cette croissance sera-t-elle pérenne ?

Le modèle d’affaires n’a pas changé. Certes, on a assisté à un glissement : les mails et mailings publicitaires sont tombés à zéro au début de la crise, pour reprendre ensuite. L’activité courrier a elle aussi cédé du terrain. La distribution de journaux s’est maintenue. Quant au pôle colis, il a effectivement explosé, tout comme d’ailleurs nos activités étrangères dans la logistique du commerce virtuel. Aux Etats-Unis, la croissance s’est montrée vigoureuse également.

Nous nous sommes très rapidement adaptés : le traitement des flux de colis n’a posé de problèmes que pendant une semaine. Ce qui, sur une période d’une dizaine de semaines, n’est pas si mal. Faire face, au pied levé, à des volumes comparables à ceux enregistrés en fin d’année n’a certes pas été facile : on parle d’un demi-million de colis par jour. Nous avons les capacités nécessaires mais alors que le pic de fin décembre se prépare trois mois à l’avance, tout s’est fait, ici, du jour au lendemain. Nous avons recruté 800 personnes et affecté au terrain plus de 250 membres des services de support.

Cette main-d’oeuvre supplémentaire nous a permis d’élargir notre organisation. Mais la capacité dépend également des quantités que les machines des centres de tri peuvent absorber. Elles ne sont pas infinies. Or là, elles étaient proches de leur maximum. Ce qui nous a incités à investir plus tôt que prévu dans deux nouvelles machines, qui arriveront cet été. Cela nous permettra de faire facilement face à de telles accélérations à l’avenir.

N’êtes-vous pas trop optimiste ? Certains clients se sont plaints des délais de livraison. Qu’en est-il de la satisfaction de la clientèle ?

Nous avons au contraire le sentiment que les clients se sont montrés extrêmement satisfaits. Il est évidemment toujours possible que l’une ou l’autre livraison se soit mal déroulée. Des clients mécontents, il y en a partout. Je préfère m’appuyer sur le paramètre objectif qu’est notre Net Promotor Score ( outil de mesure de la satisfaction du client au moyen d’une seule question, Ndlr), calculé en fonction des réponses données par les destinataires de colis. Il se trouve que ce score n’a jamais été aussi élevé. Les réactions positives sur les réseaux sociaux se sont multipliées également. Je pense donc vraiment que nous avons fait du bon boulot.

Jean-Paul Van Avermaet (bpost):
© Karel Duerinckx

La concurrence est de plus en plus rude. Début mai, PostNL a réitéré son intention d’ouvrir un centre de tri à Willebroek.

J’ai lu ça, en effet ( rires). Bpost dispose de cinq centres de tri et, comme je viens de le dire, elle investit dans deux machines supplémentaires. La concurrence est incontestable mais sur un marché des colis en croissance, il y a de la place pour tout le monde. Jusqu’à nouvel ordre, c’est toujours bpost qui est leader sur son marché. Du reste, son fichier de clientèle s’est étoffé à la faveur de la crise.

Je ne suis pas capable de prédire l’avenir, mais je pense que de nombreux Belges ont découvert le commerce virtuel. Il faut toutefois relativiser le rythme de croissance actuel : le pays accusait tout simplement du retard en matière d’e-commerce. La vitesse ralentit désormais graduellement, mais les volumes ne retomberont jamais à ce qu’ils étaient l’an dernier, ou durant la période pré-Covid. Je pense personnellement qu’ils se maintiendront à 75 % de ce qu’ils ont été au plus fort de l’activité.

Les marges suivent-elles ?

Nous n’avons pas voulu modifier nos prix. Nous avons juste demandé une contribution de solidarité temporaire de 25 centimes à nos clients contractuels. Elle est loin de couvrir nos dépenses additionnelles mais nous voulions absolument éviter d’avoir à refuser des clients. Certains utilisateurs étaient même disposés à payer davantage pour avoir la certitude que leur livraison serait effectuée. Le secteur comprend que la multiplication par deux des volumes entraîne des surcoûts -en termes de location au débotté de véhicules supplémentaires et de recrutements imprévus, en plus des mesures de sécurité sanitaire elles-mêmes.

Quelle influence l’épidémie a-t-elle eue sur les relations avec les syndicats ?

La collaboration s’est très bien passée. Dès le début, nous nous sommes entretenus tous les jeudis avec les partenaires sociaux, au sujet des mesures à prendre. Chacun a bien sûr un rôle à jouer mais la volonté de collaborer était tangible. Je ne pense donc pas que nos relations se soient détériorées, tant s’en faut.

L’absentéisme, chez bpost, est généralement assez élevé. La situation s’est-elle aggravée pendant l’épidémie ?

L’absentéisme a au départ été multiplié par deux. Cela semble beaucoup mais il faut relativiser : chacun avait peur. Il n’était pas non plus très difficile d’obtenir un certificat médical. C’est la raison pour laquelle nous avons accordé, aux mois de mars, avril et mai, une prime aux personnes qui restaient fidèles au poste.

Dans l’ensemble, je pense que les chiffres ont été très bons. Ce sont surtout les premières semaines qui ont suivi le confinement qui ont posé problème. Le personnel se posait beaucoup de questions. D’où, d’ailleurs, l’ouverture d’un centre d’appels dédié. Cela fait par ailleurs trois semaines environ que l’absentéisme est retombé à son niveau de l’an passé.

Lors de la présentation des résultats trimestriels, le mois dernier, vous avez annulé le solde sur dividende, de même que tous les pronostics en matière de bénéfices. La situation va-t-elle s’améliorer ?

Il y a des choses plus agréables à annoncer mais je veux absolument pouvoir tenir mes promesses. Je pense que personne n’aurait pu deviner ce qui vient de se passer. De même, l’évolution de la situation est difficile à prédire. C’est la raison pour laquelle le conseil d’administration et moi-même avons décidé d’abandonner l’ancienne politique en matière de dividendes pour en annoncer une autre dès que nous en saurons plus sur les chiffres et les répercussions de la crise. Il en va de même des bénéfices prévisionnels pour l’exercice 2020 : il est trop tôt encore pour se prononcer. Avant de fixer de nouveaux objectifs, il faut que leur faisabilité soit certaine à 90 % ; annoncer des chiffres sur lesquels il faudrait revenir dans moins d’un mois parce que le coronavirus aurait finalement eu des retombées plus graves que prévu n’aurait aucun sens.

La concurrence est incontestable mais sur un marché des colis en croissance, il y a de la place pour tout le monde.

Les analystes se montrent depuis quelques jours plutôt négatifs à propos des perspectives de bpost…

Je leur laisse la responsabilité de leur réaction. J’ai annoncé que la crise a pesé en mars à concurrence de près de 17 millions d’euros sur notre chiffre d’affaires, je suppose qu’ils ont tenu compte de cette donnée. Il faut toutefois savoir que pendant cette période, l’absenté- isme a été intense et que le chiffre d’affaires des mailings commerciaux est tombé à zéro. Les dépenses supplémentaires diminuent désormais. Rappelons également qu’en mars, les activités colis et commerce virtuel n’avaient pas encore pris un réel essor – celui-ci n’a été constaté qu’en avril. Les choses ne seront sans doute plus jamais aussi graves que ce qu’elles ont été, mais on ne retrouvera pas non plus la situation d’avant la crise.

Profil

52 ans

Master en ingénierie commerciale de la KU Leuven et MBA de la Vlerick Business School.

Plusieurs postes exécutifs dans les secteurs de la restauration pour des compagnies aériennes et ferroviaires, du commerce de détail et de l’hôtellerie.

De 2016 à 2020 : CEO de G4S Belgium

Février 2020 : CEO de bpost

Président du Voka Brabant flamand

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content